Apprentis jihadistes devant la justice : "J'étais pour Al-Qaïda mais pas pour la violence"
Interpellés début 2013, deux jeunes hommes liés par une connaissance commune rencontrée derrière les barreaux, ont comparu devant le tribunal correctionnel de Paris, vendredi.
Il est le tout premier apprenti jihadiste français de retour dans l'Hexagone à s'être fait pincer par la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur), le 28 janvier 2013. Flavien Moreau, 27 ans, coréen aux joues creuses et imberbes, cheveux ras et menton rentré dans une veste sombre, a entraîné Farid Djebbar, grand costaud brun de 26 ans, longue barbe frisée et catogan, jusqu'à la barre du tribunal correctionnel de Paris, vendredi 17 octobre.
C'est par R., un ami commun, rencontré lors de leurs fréquents passages en prison, que Flavien Moreau aurait envoyé un itinéraire pour mener Farid Djebbar aux combats en Syrie. Des peines de sept ans de prison ferme, à l'encontre du premier et de quatre ans, dont un avec sursis, contre le second ont été requises par le procureur notamment pour "association de malfaiteurs en vue de préparer un acte terroriste". Le jugement sera rendu le 13 novembre.
"Un goût pour la justice d'Allah"
Né en Corée du Sud et adopté par un couple français à l'âge de 15 mois, Flavien Moreau se convertit en prison grâce à un "collocataire arabe" à 18 ans. "Au début, j'savais pas pourquoi, après, j'ai trouvé ça bien, voilà", explique-t-il, avançant un "goût pour la justice d'Allah". Détenu pour vols avec violence et détention d'armes notamment, il se radicalise "à l'isolement, avec la télé".
De ses différents passages derrière les barreaux, les surveillants retiennent un détenu agité, qui porte la djellaba et mange à la fois hallal et végétarien. Il s'est aussi fait exclure des cours de physique après avoir manifesté de "l'intérêt pour la chimie des explosifs". Sous son mince matelas, Flavien Moreau cache des ouvrages sur l'Afghanistan et le terrorisme. Mais aussi des armes artisanales "de type brosses à dents taillées en pointe".
Flavien est "peut-être pour Al-Qaïda, mais pas pour la partie violence". Une chose est sûre, ce titulaire d'un CAP boulangerie, fait tout pour rejoindre la Syrie, entre début novembre et fin décembre 2012. Sans médicaments ni aucun contact avec une ONG. Bien renseigné en revanche sur le prix d'une kalachnikov, "1 000 dollars", d'un chargeur, 60 dollars, et des balles, 2 dollars l'unité.
Zurich, Francfort, Istanbul, la Bulgarie, Chypre, le Liban...
"L'islam vrai c'est le jihad. Le reste, c'est bidon", résume-t-il alors au journal Le Temps. Le quotidien suisse suit, mi-novembre 2012, une semaine de ses préparatifs à Antakya, dernière ville turque avant la Syrie. Guidé par des passeurs, "Abu Suleyman le Coréen" finit par réussir son pari. Il rejoint une brigade islamiste mais assure n'y avoir fait qu'"un peu de surveillance et un peu de police"."Et puis aussi aider les blessés avec [son] brevet de secouriste." Il y reste dix jours, et repart. "Ben ouais, j'avais mal fait mon paquetage et j'avais envie de fumer", "j'aurais dû me sevrer avant", justifie-t-il officiellement. En fait, il s'intègre mal à la katiba et rentre en Europe.
L'article suisse a mis la puce à l'oreille du renseignement français qui ne le lâche plus. Début décembre, Flavien, alias "Abu Suleyman le Coréen", alias "Kim", cherche à regagner le front. Depuis Zurich (Suisse) d'abord, puis depuis Francfort (Allemagne), il atterrit à Istanbul (Turquie) d'où il se fait refouler par les douanes. Le jeune Nantais tente ensuite de passer à pied la frontière turque via la Bulgarie. Nouvel échec. Puis via Chypre et le Liban onze jours plus tard. Encore raté. C'est quand il cherche à se procurer des faux papiers en France que Flavien Moreau est interpellé fin janvier 2013.
Quelques semaines auparavant, il griffonne, sur du papier à en-tête de l'hôtel Excelsior de Francfort, où il séjourne, un itinéraire précis et détaillé pour relier l'aéroport Atatürk d'Istanbul à la frontière syrienne. "Appelle de la part de Adam" (un autre de ses pseudos), précise la note à grand renfort de numéros de passeurs, de noms d'hôtels, d'adresses raturées et de délais de trajets en bus. Et l'incontournable "guide du Routard Turquie". Destinataires des indications, via "le parloir", "Inch Allah" : "Farid et R". Le premier vient de sortir de prison. Le second, qui a joué les entremetteurs après avoir initié Jonathan/Farid à l'islam, y est toujours, jusqu'à aujourd'hui.
Sur Google, "fabriquer bombe téléphone" et "agenda François Hollande"
Mi-décembre 2012, pendant que Flavien grenouille autour des frontières du "Cham" (la Syrie), Farid et lui s'appellent jusqu'à quatre fois par jours en moyenne. Le récent converti "se chauffe tout seul" en regardant des vidéos jihadistes. Obsédé par le combat religieux, il modifie son testament de musulman pour léguer une partie de ses biens "aux frères et familles des frères qui font le jihad".
Afin d'"étudier l'arabe et les sciences islamiques", il décolle pour l'Egypte début 2013. Mais il finit dans "un appartement sans eau chaude, sans douche et en collocation avec des cafards". Déçu, il rentre au bout de quelques jours chez sa mère, au fin fond de la campagne entre l'Indre et le Cher, où il passe son temps à regarder des vidéos "d'émirs" salafistes et à faire des recherches sur la fabrication de bombes artisanales.
L'analyse de ses données révèle 870 requêtes Google et Youtube sur la préparation d'une bombe ou d'un attentat dont "fabriquer bombe téléphone" ou "tutoriel détonateur". Mais aussi 449 sur "l'entraînement militaire ou physique", 209 au sujet des moudjahidins ou les martyrs, 367 sur Al-Qaïda et Aqmi et 193 sur l'entraînement au jihad. Farid Djebbar se renseigne aussi activement sur l'agenda de François Hollande : 42 recherches en l'espace de cinq semaines.
"C'était ma conception erronnée de l'islam"
Dans sa chambre traînent des feuilles mentionnant les différents numéros de Flavien et des indications pour rallier la Syrie qui coïncident au détail près avec celles consignées par ce dernier dans son hôtel allemand. "J'étais à fond dans cette idéologie, seul, pas encadré par quelqu'un pour m'épauler dans ma conversion", explique Farid tour à tour doucereux, à l'aise et agacé par les questions sur "cette période".
"C'était ma conception erronée de l'islam, mélangée à mon rapport particulier à la mort", justifie-t-il : son père s'est suicidé peu après ses 3 ans et il a été condamné pour homicide involontaire après avoir causé la mort de son meilleur ami dans un accident de voiture, qu'il conduisait sous l'emprise de stupéfiant. "Je me désavoue totalement du comportement que j'avais dans cette période", martèle-t-il encore, toujours très fidèle au "vrai islam". Il ponctue ses démonstrations de sonores "voilà! Fin".
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