Cet article date de plus de six ans.

L'imbroglio diplomatico-judiciaire du procès des jihadistes français arrêtés en Syrie

Selon les informations de franceinfo, environ 70 Français – hommes, femmes, enfants - sont en ce moment aux mains des forces kurdes, essentiellement en Syrie. Certains de leurs avocats veulent qu’ils soient jugés en France, tandis que le gouvernement prône, lui, un procès sur place.

Article rédigé par Jérôme Jadot
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
La Cour anti-terroriste de Qamishli. (ERIC AUDRA / RADIOFRANCE)

Où faut-il juger les jihadistes français arrêtés dans le nord de la Syrie ? Selon nos informations, ils seraient environ 70 à être détenus. Des hommes, des femmes, des enfants, en ce moment aux mains des forces kurdes, essentiellement en Syrie. Si certains de leurs avocats souhaitent les voir jugés en France, le gouvernement français, lui, prône plutôt un procès sur place. Pour mesurer les enjeux, il s’agit de voir à quoi ressemble la justice dans cette région autonome, parfois appelée le "Kurdistan syrien".

Le reportage de Jérôme Jadot, envoyé spécial de franceinfo dans le nord de la Syrie, avec Eric Audra aux moyens techniques.

Huis clos sans avocat ni possibilité d'appel

À la Cour anti-terroriste de Qamishli, un lourd portail blindé, de hauts murs d’enceinte, des barbelés. Derrière, une salle d’audience. Petite, à peine plus grande qu’un bureau. On y trouve trois fauteuils pour les juges, un pour le procureur. Et une chaise pour l’accusé. Sept-cent terroristes présumés s’y sont assis : parmi eux, essentiellement des étrangers et quelques Irakiens. Les procès sont rapides : une à trois heures, maximum. Les peines prévues par la loi anti-terroriste vont de un à vingt ans de prison, peine maximale à laquelle ont été condamnés une vingtaine de jihadistes l’année dernière, notamment pour avoir commis des attentats. Le procès a lieu à huis clos, l’appel est impossible et les accusés n’ont pas d’avocat.

>> VIDEO. Au nord de la Syrie, dans ces camps où les déplacés cohabitent avec les femmes et enfants de jihadistes étrangers

Les autorités locales promettent une évolution : cela fait moins de quatre ans que ces tribunaux ont été mis en place…Les associations de défense des droits de l’Homme considèrent, elle, que les conditions d’un procès équitable ne sont évidemment pas réunies.

Une solution à deux procès ?

C’est aussi ce qu’arguent les avocats parisiens des jihadistes français, qui réclament un procès en France. Ce n’est pas si simple… ni si complexe. "Ces Français appartiennent à un groupe terroriste. Ils ont commis des crimes ici, donc ils doivent être jugés ici, plaide Bedran Ciya Kurd, influent cadre du régime autonome nord syrien. "Mais en France aussi ils ont commis des crimes, poursuit-il. Donc selon la loi française, ils devront rendre des comptes là-bas."

Si jamais le gouvernement français ne voulait pas les reprendre, ce serait une position de faiblesse !

Bedran Ciya Kurd

franceinfo

Cette solution à deux procès permettrait aux éventuelles victimes des deux pays d’assister aux audiences. C’est pour autant s’affranchir de la règle non bis in idem, un principe classique de la procédure pénale, d'après lequel nul ne peut être poursuivi ou puni deux fois à raison des mêmes faits. Certains rétorqueront que la ligne de crête est ténue pour ceux qui n’auraient "que" rejoint l’État islamique.

D’un point de vue politique, un tel procès organisé dans le nord de la Syrie permettrait d’éviter de froisser à Paris une opinion publique peu encline à voir revenir des jihadistes. Cela pourrait l’obliger à reconnaître sous une forme ou sous une autre le système judiciaire local et donc à légitimer les autorités de la région autonome. Ces dernières en tireraient un gain politique.

Un manque de moyens du Kurdistan syrien

C’est pourtant, dans la pratique, particulièrement difficile. "Au regard de nos moyens limités, nous préfèrerions que les Français soient pris en charge par le gouvernement français, estime Omar Abdulkarim, chargé des Affaires étrangères de la région de Djézireh. On a des centaines de terroristes ici, il faut des prisons, de la nourriture, de la sécurité. Nous avons contribué à sauver l’humanité en combattant le terrorisme : maintenant, il faudrait que chaque pays qui a des membres de l’État islamique les reprenne et les juge. Cela nous aiderait vraiment."

L’instabilité politique locale fragilise aussi les éventuels jugements qui seraient rendus par des tribunaux locaux. Que se passerait-il par exemple si Bachar Al-Assad reprenait le contrôle de la région, intention qu’il ne cache plus désormais ? Il faut enfin considérer une dimension historique. Les procès servent à rendre la justice mais contribuent aussi à écrire l’histoire, pour peu qu’ils soient publics. Ou en tout cas sérieusement consignés.

"Ces procès joueraient un rôle très pédagogique et pourraient être une conclusion à ces crimes horribles", estime Nadim Houry, observateur de l’ONG Human Rights Watch, en visite actuellement dans le nord de la Syrie. L'avenir des jihadistes français est évident pour l'humanitaire. "Si l’on veut un procès équitable dans les conditions actuelles, il faut que ces gens soient jugés en France." Sauf à ce que Paris ne s’investisse dans un soutien financier, technique, juridique, auprès des tribunaux du nord de la Syrie pour en élever les standards.  

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.