Le Sénat a adopté lundi 22 février un projet de loi réformant la "diplomatie culturelle" de la France
La "diplomatie culturelle", c'est ce qu'on appelle plus crûment la "diplomatie d'influence" d'un pays au travers de ses actions culturelles. Ce que les Anglo-Saxons appellent joliment "soft power" ou "smart power".
Le texte du Sénat créé un "Institut français" pour aider à y voir plus clair dans le maquis du réseau culturel français à l'étranger.
A l'origine, la nouvelle entité devait s'appeller "Institut Victor Hugo". Histoire de lui donner un nom symbole, celui d'un grand intellectuel poète de la République, opposé à l'esclavage et à la peine de mort, très populaire en France et célèbre dans le monde entier. Une appellation donnée sur le modèle de l'Institut Goethe en Allemagne (grand écrivain du tournant des XVIIIe et XIXe siècles), Cervantès (l'auteur de Don Quichotte) en Espagne, Confucius (le philosophe) en Chine... Les sénateurs ont longuement débattu sur le sujet et ont donc préféré "Institut français".
La nécessité d'une réforme
A l'heure actuelle, l'action culturelle de la France est extrêmement dispersée entre un réseau de 144 centres culturels français à l'étranger, 154 services culturels des ambassades de France. Mais aussi l'association CulturesFrance (qui pilote des grands évènements), les alliances françaises (qui dispensent des cours de la langue de Molière dans le monde entier)... Difficile de s'y retrouver !
L'ensemble manque donc de visibilité face aux rivaux étrangers, britannique, allemand, espagnol qui, tous, disposent d'une institution unique. Et dont le budget, dans certains cas, augmente: de 2005 à 2009, l'Institut Goethe a ainsi vu ses moyens croître de 30 %. L'institut portugais Camoes dispose en 2010 d'un budget en hausse de 40 millions d'euros. Alors que le réseau français a subi une baisse de 20 % de ses financements entre 2007 et 2009, selon un rapport, le sénateur UMP des Français de l'étranger, Louis Duvernois.
Il faut aussi parler des "nouveaux entrants sur le marché du soft power", comme le dit joliment le patron de CulturesFrance, Olivier Poivre-d'Arvor, dans Le Monde. En l'occurence la Pologne, avec les instituts Adam-Mickiewicz, et surtout la Chine avec le réseau des instituts Confucius, né en 2004 et comptant déjà près de 300 antennes dans plus de 80 pays. "Face à cette tornade, le Japon, la Corée, Taïwan et l'Inde réfléchissent à de nouvelles stratégies d'influence. Le Brésil, mais également Abou Dhabi, le Qatar investissent dans le champ de cette diplomatie culturelle", note Olivier Poivre d'Arvor.
Le contenu de la réforme
Le nouvel "Institut français" sera chargée de rendre plus cohérente l'action culturelle de la France dans le monde. L'agence reprend les activités de CulturesFrance (jugé par certains "trop élitiste, trop décalé, trop parisien", selon ), qui sera transformé en établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC). Ses activités de promotion culturelle seront notamment élargies à la langue et à la formation permanente des personnels. Est également instauré un "conseil d'orientation stratégique" pour associer le ministère de la Culture et les autres ministères à la politique culturelle extérieure.
Le rattachement à l'Institut français des 154 services culturels des ambassades et centres culturels français à l'étranger (donc leur fusion) a été reporté de trois ans par le gouvernement notamment en raison de l'opposition de certains ambassadeurs. Lesquels redoutent un "dépeçage" du ministère des Affaires étrangères et entendent "garder la main sur le secteur culturel" des ambassades, rapporte Le Figaro. De fait, si ledit secteur quitte le giron des représentations diplomatiques, celles-ci pourraient perdre 35 % de leurs effectifs et près de la moitié de leur budget.
Le débat au Sénat
Lors du débat, de nombreux sénateurs ont regretté le "manque d'audace" du gouvernement. Ils ont également protesté contre la "baisse constante" des crédits du réseau culturel à l'étranger.
"Cela aurait coûté 50 millions supplémentaires" de procéder autrement, a expliqué le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner. "Notre diplomatie d'influence traverse une crise de sens. Parfois, elle ne sait plus très bien sa raison d'être, ses moyens et son but. Ouvrons les yeux" a-t-il lancé. "Comment nier notre déception, ce texte est très en deçà de toutes les préconisations", "vous vous êtes arrêtés en chemin", a critiqué Catherine Tasca (PS)
"L'un des non-dits est de réaliser des économies et de permettre à l'Etat de se désengager financièrement d'une partie de ses activités", a estimé Robert Hue (PCF) critiquant le statut d'EPIC. "C'est une armature, un squelette, il reste à le muscler, à lui donner de la chair, à l'animer", a relativisé de son côté Adrien Gouteyron (UMP).
"Réformette" ?
Pour autant, à écouter certains observateurs, la montagne semble avoir accouché d'une souris. D'"une réformette", comme le dit un bon connaisseur du dossier...
L'idée première, inspirée du modèle britannique avec le British Council, "était d'inclure dans le périmètre de la nouvelle agence le bras armé de la diplomatie culturelle: un réseau unique au monde, présent dans 160 pays", rapporte Le Figaro. Il s'agissait, "dans un contexte de diète budgétaire", de "rendre cette agence plus efficace et plus souple dans sa gestion, en créant une entité autonome par rapport au pouvoir régalien", en l'occurence les ambassades, poursuit le Figaro. Ce qui aurait permis de nouer des partenariats avec les entreprises et les collectivités territoriales.
Tout au long de l'élaboration du projet de loi, le ministre des Affaires étrangères a eu fort à faire pour imposer ses vues. En juillet dernier, il décide de confier la direction de la nouvelle agence à une personnalité connue, en l'occurence l'ambassadeur au Sénégal, Jean-Christophe Rufin, par ailleurs écrivain (prix Goncourt en 2001 pour "Rouge Brésil") et ancien médecin humanitaire.
Mais les ambassadeurs, plus que réticents face au projet de Bernard Kouchner, ont su se faire entendre en haut lieu, notamment à l'Elysée. Conséquence: le patron du "Quai" doit revoir sa copie et accepter de reporter de trois ans la fusion des services culturels et des instituts. Résultat: Jean-Christophe Rufin constate qu'au bout du compte, la grande agence n'en sera pas une. Il décide donc de renoncer.
Au ministère des Affaires étrangères, on jure aujourd'hui que l'objectif reste la fusion. Mais pour certains observateurs, on a assisté à l'"enterrement" d'une grande idée. Rendez-vous dans trois ans pour en avoir le coeur net.
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