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Les grandes écoles sont-elles des lieux de débauche ?

Fêtes mouvementées, sexe, beuveries et drogues en tout genre… Les grandes écoles méritent-elles leur réputation sulfureuse ? Réponses d'étudiants.

Article rédigé par Tatiana Lissitzky
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Depuis 2009 et la loi Bachelot, les open bars sont interdits. (FRANEK STRZESZEWSKI / AFP)

Bizutages, comas éthyliques, viols… Les débordements graves, lors de soirées ou de week-ends d'intégration de grandes écoles, reviennent régulièrement sur le devant de la scène et alimentent l'image sulfureuse des soirées étudiantes. Un sujet qui reste sensible, car dans les écoles qui forment les élites de demain, les excès sont des rites de passage incontournables. 

Le film La Crème de la crème, de Kim Chapiron, est une plongée dans ce monde très fermé. Trois élèves d’une célèbre école de commerce prennent leurs cours sur les lois du marché au pied de la lettre et montent un réseau de prostitution pour répondre à la misère sexuelle de certains étudiants. Le film dépeint des orgies régressives où les jeunes se droguent et frisent le coma éthylique. Alors, caricature ou réalité ? Francetv info a interrogé des étudiants de ces écoles.

Non, "les gens boivent beaucoup partout"

Ces étudiants ont entre 20 et 25 ans et comme la plupart des jeunes de leur âge, ils font la fête, boivent beaucoup et couchent ensemble. Les soirées médecine sont elles aussi connues pour leurs excès. "Et puis c'est de notre âge, c'est normal. Il n'y a pas qu'en école qu'on fait la fête",relativise Estelle*, 24 ans, en école de commerce à Lyon.

"On a un rythme très soutenu, alors en soirée tout le monde se lâche, mais il faut arrêter de dramatiser, ça reste toujours bon enfant ! raconte Carine, 23 ans, étudiante dans une école de commerce parisienne. Les gens boivent beaucoup partout. Il suffit de se rendre en club le week-end pour le constater."

Non, "on ne boit pas plus d'alcool qu'avant"

L'absorption massive d'alcool en soirée étudiante n'est pas un phénomène nouveau et les exemples d'accidents ne manquent pas, bien que le gouvernement ait multiplié, ces dernières années, les tentatives d'encadrement. En 2008, la loi Bachelot a interdit les open bars, après un long débat provoqué par la mort d'un étudiant de l'école Centrale Paris, retrouvé avec plus de quatre grammes d'alcool par litre de sang. 

HEC, à laquelle le film La Crème de la crème fait clairement référence sans jamais la citer, a aussi régulièrement fait parler d'elle pour des accidents liés à l'alcool, et a dû, en 2010, suspendre ses soirées, après une série de beuveries qui avaient mal tourné. Un étudiant avait ainsi failli s'étouffer dans son vomi et un autre, par ailleurs petit-fils d'Edouard Balladur, avait été sévèrement blessé à la tête, avait rapporté à l'époque Le Parisien.

La même année, le viol présumé de deux étudiantes d'écoles de commerce de Nantes et de Grenoble, raconté par Le Figaro, ont poussé Valérie Pécresse, alors ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, à tenter de faire interdire les week-ends d'intégration (WEI - prononcez "ouailles"). Sans succès. Récemment, en octobre 2013, un étudiant de l'Edhec de Lille est tombé du toit d'un immeuble après un bizutage. Des accidents "plus médiatisés qu'avant, mais qui ont toujours existé et qui restent rares, souligne Nicolas*, 27 ans, un ancien de l'école des Mines. On ne boit pas plus qu'avant. Ces soirées existaient déjà il y a cinquante ans et on y buvait autant d'alcool que maintenant."

Oui, parce qu'"on teste nos limites entre étudiants"

"Après deux ans de prépa intensive, les étudiants qui arrivent à l'école relâchent la pression, analyseArthur, 24 ans*, ancien élève d'une prestigieuse école d'ingénieurs. On s'est battus pour entrer dans ces écoles, le plus dur est derrière nous. On peut profiter." 

"On teste nos limites entre étudiants. L'école, c'est aussi apprendre à se sociabiliser, à s'adapter, à réfléchir rapidement même si on a bu toute la nuit et dormi deux heures", temporise Thomas, 28 ans, ancien étudiant de l'EM Lyon, qui voit dans les beuveries des rites de passage formateurs. A l'inverse, d'autres estiment que les écoles vont trop loin et que les administrations ferment les yeux. "C'est aussi une pression de groupe, on est constamment poussé à boire. Il y a même un local au sein de l'école pour stocker l'alcool et faire la fête", rapporte Arthur.

Aucun bureau des élèves (BDE) n'a souhaité répondre aux questions de francetv info. Un ancien membre du BDE d'une école de commerce parisienne explique : "Ces écoles fonctionnent sur le réseau, on ne peut pas témoigner ou critiquer à visage découvert sans se retrouver grillé professionnellement."

Oui, parce que "les marques d'alcool cassent les prix"

Dix euros l'entrée en club avec cinq tickets consos. Puis des tickets vendus 50 centimes à l'intérieur. Plutôt attractif. Ces tarifs très bas, pratiqués dans les soirées étudiantes où l'alcool coule à flots, sont financés directement par les fabricants d'alcool. Pourtant, le sponsoring est formellement interdit par la loi Evin. 

"Les marques cassent les prix sur les bouteilles ou avancent le stock d'alcool en mettant gratuitement des bouteilles à la disposition du BDE, qui remboursera en fonction de ce qui a été consommé lors de la soirée", révèle un ancien président de BDE d'une école d'ingénieursEn échange, les marques peuvent librement faire leur publicité, distribuer bons de réductions et échantillons gratuits toute la nuit.

Ces approvisionnements en alcool, facilités par les fabricants, permettent de proposer des prix très bas et de se rapprocher du système des open bars, interdit par la loi Bachelot. Un ancien président du BDE de l'école des Mines confirme : "Les open bars étant interdits, nous proposions un système de tickets. On en distribuait une cinquantaine par personne."

* Les prénoms ont été changés

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