Plus de 5000 personnes ont rendu hommage mardi à Jean Ferrat, lors de ses obsèques dans son village en Ardèche
La cérémonie que la "famille a voulu simple et sobre" s'est faite sans messe et a mêlé poésie et chansons.
Mardi peu après 14H30, après l'arrivée du cercueil entouré de la famille, le maire d'Antraigues, Michel Pesenti, a lu à la foule, rassemblée sur la place, les dernières volontés du poète.
Il voulait être enterré "aux côtés de son frère André" dans le cimetière municipal. "Sans discours, sans manifestation, dans la plus stricte intimité", a-t-il poursuivi, citant Jean Ferrat, ajoutant qu'il ne "serait pas toutefois contre l'idée que les gens du pays puissent venir (lui) dire au revoir une dernière fois".
Le frère de Jean Ferrat, Pierre Tenenbaum, a souhaité quant à lui parler de "l'homme", à qui des admirateurs du monde entier envoyaient des lettres adressées simplement à "Jean Ferrat, poète". "Je suis certain, mon Jean, que ta voix résonnera encore dans la vie et dans les coeurs", a-t-il déclaré, ajoutant: "Je crois que tu résisteras à la terrible épreuve du temps."
La secrétaire nationale du PCF, Marie-George Buffet, était présente, tandis que le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, s'était fait représenter par son directeur de cabinet. Deux proches du chanteur, Isabelle Aubret et Francesca Solleville ont interprété des chansons de l'artiste.
L'inhumation du corps s'est faîte en privé, dans le caveau familial, sur lequel "tous ceux qui le veulent pourront venir se recueillir, après la cérémonie".
Emissions spéciales sur France 2 et France 3
France 3 a proposé une émission spéciale lundi à 20h35, retraçant sa carrière en images, chanson et interviews. France 2 a également proposé mardi à 22h30 une "soirée spéciale en hommage à Jean Ferrat", animée par Michel Drucker, qui a notamment diffusé l'émission télévisée "Ferrat 80", enregistrée il y a trente ans.
Sauvé enfant par des militants communistes
Né Jean Tenenbaum le 26 décembre 1930 à Vaucresson (Hauts-de-Seine) dans une famille juive, Jean Ferrat perd son père à 11 ans, lorsque ce juif émigré de Russie est déporté à Auschwitz. L'enfant est sauvé grâce à des militants communistes, ce qu'il n'oubliera jamais. Dès ses premières chansons au début des années 60, il exprime sa "nature rebelle" quitte à s'attirer les foudres de la censure.
Son étiquette communiste dérange: en 1965, "Potemkine" est privée d'antenne et en 1966, il est interdit de petit écran en raison de sa candidature sur la liste PCF aux élections municipales d'Antraigues (Ardèche).
Compagnon de route du parti communiste, mais pas inconditionnel
Les chaînes boudent également "Ma France" (1969), où il dénonce les dirigeants qui "usurpent le prestige" d'un "air de liberté qui donnait le vertige aux peuples étrangers". Sans jamais avoir pris la carte du parti, Jean Ferrat sera conseiller municipal (1970-1983) à la mairie communiste d'Antraigues, soutiendra la candidature de Georges Marchais pour la présidentielle de 1981, et sera inscrit sur la liste communiste de Robert Hue aux européennes de 1999.
Mais il a aussi dénoncé l'invasion russe de la Tchécoslovaquie en 1968 et conspué en 1980 "les staliniens zélés" de "Prague à Budapest" qui "nous ont fait avaler des couleuvres", dans la chanson "Bilan", une réponse au "bilan globalement positif" dressé par le PCF à propos des pays de l'est.
Le chanteur qui a popularisé Aragon
Aussi prolifique que discret, notamment à la télévision, il a composé, mis en musique et interprété de sa belle voix grave quelque 200 chansons, mêlant textes engagés et déclarations d'amour à l'Ardèche, sa région d'adoption...
Il a aussi popularisé certains des plus beaux poèmes d'amour de Louis Aragon ("Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre/ Que serais-je sans toi qu'un coeur au bois dormant/Que cette heure arrêtée au cadran de la montre/Que serais-je sans toi que ce balbutiement ...").
Parmi ses chansons les plus connues : La Montagne, Nuit et Brouillard, Ma Môme, Ma France, Potemkine, Aimer à en perdre la raison, La femme est l'avenir de l'homme, C'est beau la vie...
Un refuge en Ardèche
L'homme à la crinière blanche et aux moustaches généreuses s'était fait, peu à peu, de plus en plus rare. Il n'a jamais tellement aimé la scène, "trop dure physiquement". Il la quitte en 1972 après le Palais des sports, puis fuit volontairement la télévision, cette "machine à vendre".
Son havre de paix s'appelle Antraigues, petit village ardéchois immortalisé par un de ses plus grands succès ("La Montagne"), où il s'installe en 1973 avec sa femme, la chanteuse Christine Sèvre, décédée en 1981.
Jean Ferrat sort peu de sa tanière mais chaque apparition, chaque nouvel album est un événement médiatique, et souvent l'occasion d'un nouveau "coup de gueule": contre la grande industrie du disque et de la communication qui condamne le pluralisme et la liberté, contre le PAF qu'il juge "obscène", contre le nucléaire ou contre la condamnation du contestataire José Bové qu'il soutient en 2007 comme candidat "antilibéral" à l'élection présidentielle. Il a soutenu le Front de Gauche dans la campagne des élections régionales.
Encore en tête des ventes en 2010
Lauréat du prix de l'académie Charles Cros en 1963 et du grand prix de la chanson de la SACEM en 1994, Jean Ferrat faisait toujours partie des chanteurs les plus appréciés du public et la dernière compilation de ses succès, publiée fin octobre 2009, était déjà certifiée disque de platine.
"Jean Ferrat Best Of" (Strategic Marketing/Sony Music), une compilation en trois CD rassemblant 57 de ses chansons de "La Montagne" à "Potemkine", avait été un des succès de l'automne. Un mois après sa sortie, elle était déjà certifiée disque de platine, soit plus de 100.000 exemplaires vendus, et elle s'était classée parmi les 10 compilations les plus vendues en 2009 juste derrière Michael Jackson, Vanessa Paradis, Salut les Copains, Gregory Lemarchal et les NRJ Music Awards.
Au cours de la première semaine de mars, le disque figurait encore à la troisième place des compilations les plus vendues, selon le classement du Syndicat national de l'édition phonographique (SNEP), qui ne donne pas de chiffres de vente.
Les réactions à l'annonce de sa mort
Pour son ami le chanteur Georges Moustaki, Jean Ferrat était "quelqu'un d'exemplaire. "Il n'a rien sacrifié de ce qui lui tenait à coeur", a-t-il dit sur LCI. Le président de la République Nicolas Sarkozy a estimé qu'"avec Jean Ferrat, c'est une conception intransigeante de la chanson française qui s'éteint". Et la secrétaire nationale du PCF, Marie-George Buffet, s'est déclarée "bouleversée" samedi par sa disparition.
Pour l'animateur de télévision Michel Drucker, "c'est un des derniers géants qui disparaît" et "toute une page de la chanson française qui se tourne". "C'est une partie de la France, toute une génération qui a beaucoup de chagrin aujourd'hui", a-t-il dit sur France Info. "Il y avait (Jacques) Brel, (Georges) Brassens, (Léo) Ferré et puis il y avait Jean, c'était le dernier des mohicans."
"C'est une déchirure après tant d'années, de bons temps et de belles chansons", a confié lors d'une représentation à Tours la chanteuse Isabelle Aubret, proche de Jean Ferrat, tandis que Pierre Perret saluait l'"oeuvre magnifique" de celui qui avait "choisi de se retirer" et n'était plus remonté sur scène depuis 1972.
Marie-George Buffet a écrit dans un communiqué: "Notre ami, notre camarade Jean Tenenbaum dit Jean Ferrat est parti ce samedi rejoindre ses amis les poètes." Soulignant que "son compagnonnage critique avec le Parti communiste était utile et exigeant", la numéro un du PCF ajoute que "Jean Ferrat, c'est le chanteur dont le sens de l'humanité et de la justice a accompagné l'engagement de générations de militants". C'est aussi "la voix qui a transmis, interprété et popularisé les voix d'Aragon, Prévert, Lorca. Jean Ferrat, c'est les valeurs d'amitié, d'amour et de générosité faites de chansons".
Pour la première secrétaire du Parti socialiste Martine Aubry, Jean Ferrat "restera comme un militant infatigable de la justice sociale". Dans un communiqué, Mme Aubry fait part de sa "très grande émotion". "Il avait tiré de sa passion des mots et d'Aragon un don pour la composition. Chacune de ses chansons était un hymne à la résistance. Elles resteront longtemps dans nos mémoires."
Le président Nicolas Sarkozy a appris "avec beaucoup de tristesse" la mort de Jean Ferrat. "Chacun a en mémoire les mélodies inoubliables et les textes exigeants de ses chansons, qui continueront encore longtemps, par leur générosité, leur humanisme et leur poésie, à transporter les âmes et les coeurs, à accompagner aussi les joies et les peines du quotidien", pouvait-on lire dans un message de l'Elysée après l'annonce de la mort de Jean Ferrat. Le président de la République estime qu'"avec Jean Ferrat, c'est une conception intransigeante de la chanson française qui s'éteint".
Le Premier ministre François Fillon a aussi fait part de son "émotion". "Sa mort est un deuil pour la chanson française et tous les artistes français, dont il était le maître incontesté", a-t-il écrit dans un communiqué.
"Je suis bouleversé et j'ai encore du mal à me faire à cette disparition brutale, Jean était mon ami", a confié Robert Hue à l'AFP. "Chacun sait bien qu'il était un immense artiste, un poète, un humaniste, il a mis en musique Aragon mais il a lui-même chanté la France comme personne, la vie des petites gens", a ajouté l'ancien candidat communiste aux élections présidentielles de 1995 et 2002. Robert Hue a rappelé qu'il avait eu l'"immense honneur" d'accueillir Jean Ferrat sur la liste qu'il conduisait pour les élections européennes de 1999. "C'est la seule fois qu'il avait figuré dans une élection nationale".
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