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Quel nouveau fumeur êtes-vous ?

Cela fait maintenant cinq ans que la cigarette est interdite au bureau, au resto et dans les bars. Mais selon une récente étude, les accros ne fument pas plus chez eux, au contraire. Quelles sont les nouvelles habitudes des fumeurs ? FTVi dresse leur portrait.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Selon le dernier baromètre santé de l'Inpes, les Français fumaient 13,6 cigarettes par jour en 2010 contre 15,1 en 2005. (SIPA / AFP / MAXPPP)

Où fumer ? Pas au boulot, pas au resto, pas au comptoir, pas à la plage (de Nice), mais pas non plus à la maison. Selon une récente étude publiée dans la revue Tobacco Control (article en anglais), les Français ne fument pas plus à domicile depuis l'interdiction d'en griller une dans les lieux publics en 2007-2008. Au contraire, ils sont 28% (contre 24% avant la loi) à bannir la cigarette du bercail. Pourquoi ? "Ils ont perçu le caractère gênant de la fumée et ont intégré les risques liés au tabagisme passif", répond Romain Guignard, un des auteurs de l'étude et spécialiste du tabac à l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes).

Mais comment font-ils alors ? Parce que si les Français fument moins, ils sont loin d'avoir renoncé à la nicotine. Selon le dernier baromètre santé de l'Inpes, les fumeurs en étaient à 13,6 cigarettes par jour en 2010 contre 15,1 en 2005. FTVi leur a donc posé la question. Et dresse, à partir des réponses, le portrait du fumeur d'aujourd'hui.  

• Fumeur mais altruiste

Le message est bien passé : le tabac tue, mais pas seulement les fumeurs. Ces derniers ne veulent plus enfumer leur entourage, notamment lorsqu'ils ont des enfants. Exit, donc, la cigarette à l'intérieur de la maison, voire dans la voiture. "Les rares fois où je fume, c'est systématiquement penché à la fenêtre, et le plus souvent le soir, quand les enfants sont couchés", témoigne Matthieu, un trentenaire strasbourgeois.

Maud n'a pas encore d'enfant, mais pas question d'"imposer" pour autant la fumée à son compagnon, non fumeur. "Cela me paraît logique aujourd'hui, mais avant la loi je ne l'aurais pas fait, au nom de la liberté de fumer en paix, reconnaît cette Parisienne de 30 ans. La loi a fait évoluer les mentalités, la mienne en tout cas." Idem pour Michel, 40 ans et Parisien également : "Cela ne me viendrait plus à l'esprit d'allumer une cigarette sans demander si cela ne gêne personne, voire si c'est autorisé." 

• Fumeur et schizophrène

Si le souci d'autrui motive en partie les fumeurs à ne pas fumer chez eux et chez les autres, le dégoût de la fumée et de l'odeur du tabac sont aussi très souvent invoqués. Ce qui semble, a priori, bizarre pour des fumeurs. Ces derniers ont tellement intégré les nouvelles règles qu'ils se dédoublent, fumeur un jour, anti-fumeur le lendemain. "Dans les salles de concert, je me surprends même à pester un peu contre les gens qui fument une clope dans la salle...", confie Camille, journaliste de 26 ans. 

"Lorsqu'un ami me propose de fumer dans sa maison, cela me paraît étrange et je préfère aller fumer dehors", constate de son côté Inge, mère de deux enfants en région parisienne. Maud, elle, incarne cette dualité à merveille :  "Ça ne me viendrait pas à l'esprit de fumer au restaurant maintenant, alors qu'avant j'adorais... Je connais des bars fumeurs mais honnêtement, c'est insupportable. Tout le monde clope comme des pompiers. Tu sors, il faut aller se laver les cheveux, les affaires puent et il faut les laver direct. Bref, c'est l'enfer." Maud, pourtant, fume toujours autant.

• Fumeur et nomade

Pour assouvir leur addiction sans en subir les désagréments ni incommoder les autres, les fumeurs sont condamnés à errer. Et en ont pris, visiblement, leur parti. "Si j'ai vraiment envie ou besoin de fumer, je sors", affirme avec aplomb Mathilde, enseignante à Nantes. Matthieu fume également "dehors, et c'est devenu une habitude. Je promène le chien, je m'en grille une. Je vais faire une course, je m'en grille une sur le chemin. Idem quand je vais chercher les gamins à l'école. Quand je rentre chez moi, il m'arrive de m'en fumer une avant de monter (provision de nicotine oblige)."

Certains n'ont jamais passé autant de temps aux terrasses des cafés, comme Camille. "J'y reste beaucoup plus tard dans l'année malgré le froid. Je choisis donc souvent des lieux qui ont des terrasses chauffées, ou au moins fermées. Et en été (...), je passe beaucoup plus de temps dehors, devant le bar où je passe la soirée." Une contrainte qui "donne un petit côté convivial à la chose, selon Matthieu. On discute avec les autres fumeurs devant les restos, les bars, on fait connaissance."

• Fumeur et solidaire

Entre fumeurs, on se serre les coudes. L'interdiction de fumer dans les lieux publics les a rapprochés. Gérard, accro à la cigarette depuis vingt ans, n'est pas mécontent de ne plus pouvoir en griller une au bureau. Au contraire, l'installation d'un fumoir dans son entreprise "a permis à des salariés qui se côtoyaient sans se connaître de se rencontrer. Il y a eu une fraternité des fumeurs."

Vincent, qui travaille à Bruxelles, est épaté par l'installation de fumoirs semi-ouverts et ventilés dans les institutions européennes : "On n'est pas obligé de faire 3 km pour se geler dehors et fumer à la sauvette, on continue à socialiser et on n'empeste personne !" 

A force de se fréquenter, les fumeurs développent une sorte de langage commun, codé. "Proposer à quelqu'un de sortir fumer une clope est devenu un peu un signal qui signifie 'J'ai quelque chose à te raconter'", décrypte Camille. Vincent, ex-fumeur, partageait aussi un code avec ses amis fumeurs : "Dès que sortais un de mes paquets avec une image un peu gore, je faisais bien attention à la mettre face contre table. C'était même une sorte de loterie, tu tombais sur celui qui avait le 'steak tartare' sur le cou, c'était pas de chance."

• Fumeur et soliTaire

Cette solidarité est d'autant plus nécessaire que les fumeurs vivent parfois de grands moments de solitude. "Quand il fait froid, je commence à me sentir un peu persécutée, surtout quand on est invitée chez des amis et qu’on se retrouve seule sur le balcon par -10°C !", déplore Julie. "On a quand même l'air un peu con quand on sort fumer par -10°C", renchérit Augustin, qui avoue s'être mis à l'abri des regards les jours de grand froid. La situation est pire "dans des villes anti-clope comme New York ou Los Angeles, souligne toutefois Marie, fumeuse parisienne. Quand tu t'en allumes une, tout le monde te regarde comme si tu venais de sortir une pipe à crack." 

 

"Culpabilisé", "ruiné"... D'autres adjectifs pourraient venir compléter le portrait du fumeur actuel qui, malgré tout, renonce rarement. Et s'il semble s'être bien adapté aux nouvelles contraintes, il ne rate pas une occasion de mettre les bouchées doubles. "J’ai totalement intégré le fait de ne plus fumer en public, observe Julie. Mais il faut me voir à Lisbonne, dans un bar, à fumer clope sur clope arrosée de mojito sur mojito : là, la nostalgie m’étreint !"

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