Gard : séduits par Sarkozy en 2007, ils ont renoué avec le vote FN
Dans le département du Gard, Marine Le Pen est arrivée en tête, dimanche, à l'issue du premier tour. A Poulx et Marguerittes, rencontres avec ces déçus du sarkozysme qui ont voté ou revoté FN.
Au beau milieu de côteaux rocailleux, à 15 kilomètres au nord-est de Nîmes, un gros bourg cossu de 4 000 âmes. Bienvenue à Poulx, petite ville gardoise aisée, où le taux de chômage est l'un des plus faibles du département (8,4% selon l'Insee) et où le revenu net moyen avoisine les 30 000 euros annuels par foyer fiscal (contre une moyenne nationale à 23 240 euros). Derrière la plupart des portails, d'imposantes maisons, des jardins impeccablement entretenus et quelques piscines. Ici, pas de problème économique majeur, pas plus que d'immigration ou d'insécurité. Et pourtant, plus d'un électeur sur quatre y a voté pour Marine Le Pen, dimanche 22 avril.
En 2007, Nicolas Sarkozy avait triomphé ici. Alors que Jacques Chirac avait recueilli 13% des voix cinq ans plus tôt - loin derrière Jean-Marie Le Pen -, lui avait littéralement siphonné les voix frontistes et frôlé les 40%. Mais cette année, le président sortant a enregistré une baisse de 10 points, quand le FN en a regagné près de 15.
Maire depuis 2001, Bernard Rous (divers droite) s'étonne… de ceux qui s'étonnent du résultat. "A Paris, ils n'ont rien compris. Faut écouter les gens dans la rue… Il y a des angoisses. Plein d'angoisses, plein d'incertitudes pour l'avenir. Tout est compréhensible", marmonne-t-il. L'homme se montre peu bavard. "Les gens qui ont voté Sarkozy il y a cinq ans ont été déçus. Ils ont voté contre lui. Ils ont été déçus pour 50 000 raisons. Ça s'arrête là."
"Pas envie de me faire entuber deux fois"
A l'heure du déjeuner, Romain, la trentaine, fait une halte à la boulangerie. Informaticien à Nîmes, il fait justement partie de ces nombreux Français déçus par le Nicolas Sarkozy qui les avait séduits en 2007. "Il nous a fait des promesses qu'il n'a pas tenues. Qu'est-ce qu'il a amélioré, hein ? Le pouvoir d'achat ? Non ! L'emploi ? Non ! La sécurité ? Non !" Dimanche dernier, il a voté Le Pen "parce qu'il faut bien donner la priorité aux Français, dans la situation où on se trouve". Et ne votera pas ou votera blanc au second tour, "parce que je n'ai pas envie de me faire entuber deux fois".
Un peu plus loin, André, 63 ans, fait le tour du pâté de maison. Lui est "plutôt de gauche modérée" et a "du mal à comprendre pourquoi les gens déçus par Sarkozy préfèrent voter pour un parti raciste que pour Hollande". "Les gens d'ici ont du boulot, de bons salaires, il n'y a pas d'immigrés, pas de délinquance…" Un constat balayé d'un revers de main par Bernard, un voisin : "Ce n'est pas parce qu'il n'y a pas d'étrangers ici qu'on ne donne pas trop d'aides aux immigrés, alors qu'on n'a plus d'argent !" Un sentiment particulièrement vrai dans le Gard, département ayant avec les Bouches-du-Rhône la plus forte "intensité de pauvreté" selon l'Insee, et où près de 10% de la population est au RSA (contre 6,2% en France).
"Sarkozy nous dit qu'il va faire tout ce qu'il n'a pas fait !"
A quelques kilomètres de là, Marguerittes, 8 700 habitants. Le taux de chômage est plus élevé qu'à Poulx (plus de 12%), le revenu moyen plus faible, et le score de Marine Le Pen encore plus élevé. Ici aussi, on a cru en Sarkozy en 2007. A 29,2% en 2002, le FN était retombé à 17% en 2007. Cette année, il a dépassé les 30%.
Fonctionnaire à Nîmes, Corinne, 39 ans, dresse un constat sévère à l'égard du quinquennat qui s'achève : "Sarkozy parle beaucoup, mais il ne fait rien. Et là, j'écoutais la radio, il nous dit qu'il va faire tout ce qu'il n'a pas fait ! La réalité, c'est qu'à Nîmes, on se fait cracher dessus. Ils nous regardent avec leur air supérieur là… On n'est plus chez nous ! Ras le bol !" Sophie, quadragénaire, acquiesce : "La crise n'excuse pas tout. Sur l'immigration, il pouvait agir, et il n'a rien fait." Comme en 2007, elle a pourtant voté Sarkozy, "le moins pire de tous".
Malgré le vent et les nuages, trois mamies sur leur trente-et-un se promènent dans le centre de la commune. Elles ne croient pas aux solutions de Hollande, ni à celles de Le Pen. Mais comprennent parfaitement les électeurs qui ont voté Front national. Annie pense que "c'est surtout pour mettre le doigt sur la plaie, comme à chaque élection". Au fil de la discussion, les langues se délient. Pour Jeanine, "on donne trop d'argent à n'importe qui : nous, on a travaillé toute notre vie et on a des petites retraites. Tous ces gens arrivent, ils ont droit à tout, ils ont droit à la sécurité sociale… Pendant ce temps-là, y a des personnes âgées qui vivent avec 600 euros par mois. Vous ne croyez pas qu'elles ne mériteraient pas d'être aidées, celles-là ? Alors les gens en ont ras-le-bol…"
Le député UMP Etienne Mourrut dénonce "le grand bal des faux-culs"
Ces messages de déception, le député UMP de la circonscription, Etienne Mourrut, les entend bien. Il n'est d'ailleurs "pas outre mesure surpris du score du FN" dans son département. "Les causes, on les connaît bien : le problème de l'immigration, le comportement des jeunes Maghrébins à l'égard des Européens, les gens qui se font traiter de sales Français, les jeunes qui se font voler leur scooter, les villas qui se font visiter… Les gens ont le sentiment de perdre leurs repères, leur identité. C'est ça la réalité que nous constatons sur le terrain, mais on est dans le grand bal des faux-culs !"
Le député Mourrut croit pourtant que "beaucoup de ceux qui ont voté Le Pen vont voter Sarko au deuxième tour, parce qu'ils ne veulent pas de la gauche, de la régularisation des sans-papiers, du droit de vote des immigrés". Selon lui, 70% voteront Sarkozy, 10% voteront Hollande et 20% s'abstiendront. Un pronostic qui, après avoir sillonné les rues de Poulx et Marguerittes, a du mal à ne pas apparaître quelque peu… optimiste.
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