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Comment le Facebook russe a fini par céder face à Poutine

Le président de VKontakte, le premier réseau social en Russie, a toujours refusé de collaborer avec les renseignements. Il dit avoir été débarqué par les actionnaires, proches du Kremlin.

Article rédigé par franceinfo - Louis Boy
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Capture d'écran du profil VKontakte de son fondateur, Pavel Dourov. On peut y lire le message dans lequel il dit avoir été congédié par des proches de Poutine. (VKONTAKTE / FRANCETV INFO)

Le Mark Zuckerberg local remplacé par des amis de Vladimir Poutine. C'est en substance ce qui vient d'arriver en Russie. Le réseau social VKontakte, numéro un dans le pays, mais aussi en Ukraine, a annoncé la démission de son président et fondateur, Pavel Dourov, le 21 avril. Problème, Dourov explique, lui, qu'il a été licencié par ses actionnaires, deux oligarques proches du Kremlin.

Francetv info vous explique comment le pouvoir russe a fini par faire plier le réseau social, qui refusait jusque-là d'obtempérer et revendiquait son indépendance.

Principal atout de VK : le téléchargement illégal

Au premier abord, VKontakte (en Russie, on dit aussi VK) ressemble beaucoup à Facebook. Lancé deux ans après le plus grand réseau social du monde, il ne s'éloigne pas d'un pouce ni du principe, ni du design de son aîné. En atteste le profil du fondateur du site, suivi par 6 millions d'internautes. Très vite, le réseau rencontre chez les russophones un succès plus important que celui de Facebook, jusqu'à atteindre un total de 143 millions d'utilisateurs aujourd'hui, dont 88 millions en Russie. Car sur VK, contrairement à Facebook, on peut aussi télécharger illégalement de la musique et des films.

En 2011, quand des manifestations éclatent pour contester les résultats des élections législatives, c'est naturellement sur le réseau social que s'organisent les rassemblements. "Beaucoup plus de gens s'en servaient, c'était l'endroit où on retrouvait le plus facilement ses amis", explique Ekaterina Agafonova, jeune journaliste russe jointe par francetv info. Pour elle, VK n'est pas vu comme plus sûr qu'un autre moyen de communication : il est simplement plus pratique.

Le refus de collaborer avec les autorités

C'est en tout cas à ce moment-là que le FSB, le service de sécurité russe, commence à s'intéresser au site. Pavel Dourov reçoit l'ordre de fermer sept groupes de discussions qui appellent à des manifestations, comme le rapporte Reporters sans frontières. Mais le jeune président de VKontakte refuse d’obtempérer, et le fait savoir ouvertement. En 2012, quand les Russes protestent contre le retour de Vladimir Poutine à la tête du pays, il persiste et signe. Le fondateur du réseau s'oppose alors à la fermeture du compte d'Alexei Navalny, un des leaders de l'opposition. "Naturellement, les autorités n'ont pas apprécié", commente Navalny, cité par Bloomberg.

Et effectivement, à en croire une source en interne citée par le Guardian, "c'est à ce moment-là que les problèmes [de Pavel Dourov] ont commencé". En avril 2013, le président de VKontakte est alors accusé d'avoir renversé un policier, rapporte le Financial Times, et disparaît. Alors que ses représentants nient toute implication, son domicile est fouillé, ainsi que les locaux de VKontakte à Saint-Pétersbourg. Quant aux services de renseignement, ils reviennent à la charge en décembre 2013 pour demander à VK les données personnelles de figures de la révolution ukrainienne. En vain.

Un président sans opinion

Dourov n'a pourtant rien d'un activiste politique, il n'a d'ailleurs "jamais pris position contre Poutine", rappelle Ekaterina Agafonova, pour qui "de nombreux Russes ont été surpris de le voir dénoncer ouvertement le FSB" dans les jours qui ont suivi sa démission. A la tête de VKontakte, il défend surtout un principe : la protection de la vie privée sur internet. En 2013, il propose même à Edward Snowden de rejoindre son équipe de développeurs. L'Américain n'a pas donné suite.

"La menace d'un Big Brother mondial peut être surmontée par la technologie", déclare-t-il pour présenter, en octobre 2013, son nouveau projet. Intitulé Telegram, il s'agit d'une application de messagerie en ligne qui offre la possibilité d'envoyer des messages chiffrés, qui ne sont stockés sur aucun serveur. Son objectif, confié à Techcrunch : "Créer un moyen de communication auquel les agences de sécurité russes n'aient pas accès." Mais ce projet marque aussi une rupture avec VK, puisqu'il est développé hors de Russie, à Berlin, et par une société à but non lucratif. Signe que Pavel Dourov préparait déjà l'après VKontakte ?

Des oligarques prennent le contrôle

Si le réseau social résiste aux pressions du renseignement russe, le capital de l'entreprise est progressivement grignoté par des proches de Vladimir Poutine. Au lendemain de la disparition de Dourov, en avril 2013, les deux autres cofondateurs du site, en froid avec lui, vendent 48% de VKontakte à un fonds d'investissement dirigé par Ilia Cherbovitch, un homme d'affaires qui compte le Premier ministre, Dmitri Medvedev, parmi ses amis, raconte Bloomberg. En coulisses, c'est même le vice-Premier ministre du régime, Igor Setchine, qui tirerait les ficelles.

Puis, en janvier 2014, Dourov vend les 12% du capital de VK qu'il détient à un ami. A peine deux mois plus tard, celui-ci cède sa part au troisième actionnaire, Alicher Ousmanov. L'homme le plus riche de Russie – un proche de Poutine – détenait déjà 40% de la société. Dourov, qui dit aujourd'hui avoir abandonné ses parts de la société parce qu'il était fatigué des pressions du FSB, a néanmoins empoché des centaines de millions d'euros au passage (Techcrunch estimait alors à 3 ou 4 milliards de dollars la valeur totale de VK).

Fausse démission et vrai licenciement ?

C'est alors que l'histoire devient encore plus étrange. Le 1er avril, par un post sur son profil, Dourov annonce qu'il démissionne de la présidence de VK, déplorant son absence de liberté maintenant que la société est détenue par deux milliardaires amis du régime. "Poisson d'avril", assure-t-il deux jours plus tard, toujours sur son site : "J'ai réalisé que démissionner en ce moment difficile serait une trahison de tout ce que nous avons protégé ces dernières années."

Mais le 21 avril, il annonce qu'il n'est finalement plus le président de VK, "viré" par les actionnaires qui lui auraient signifié que son message du 3 avril ne constituait pas légalement un retour sur sa démission. Une issue pour le moins confuse mais définitive : "J'ai quitté la Russie et n'ai aucune intention d'y retourner, affirme-t-il. Malheureusement, ce pays n'est aujourd'hui pas compatible avec le business d'internet." La fin d'une utopie, peut-être.

Pour Ekaterina Agafonova, "sur VK, le plus attirant pour les internautes reste la musique et les films gratuits. Pas sûr que le départ de Dourov les convaincra de quitter le site." Mais pas sûr non plus que ses propriétaires, qui n'ont pas encore désigné de nouveau président, soient aussi enclins que Dourov à protéger les activistes politiques.

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