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Défis Facebook : pourquoi se prend-on au jeu?

Un nouveau challenge circule sur le réseau social : "Une photo de toi petit ou un resto". Il est lancé après "A l'eau ou au resto", qui a provoqué la mort de deux personnes. Qu'est-ce qui pousse les internautes à relever ces défis ?

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le jeu "Neknomination", sur Facebook, propose de se filmer en train d'avaler cul sec de l'alcool, avant de poster la vidéo, en guise de défi, à trois amis. (DIVERSE IMAGES / UNIVERSAL IMAGES GROUP / GETTY IMAGES)

"Neknomination", "Starnomination", "A l'eau ou au resto"... Sur Facebook, les défis lancés entre utilisateurs, importés des Etats-Unis ou d'Australie, se succèdent. Le dernier en date s'intitule "Une photo de toi petit ou un resto". Si vous n'êtes pas un adepte, voici le concept : un utilisateur de Facebook met en ligne une photo de lui enfant et désigne trois autres personnes qui, à leur tour, doivent poster une photo d'elles petites, sous 48 heures. Le nominé qui ne respecte pas la consigne doit inviter celui qui l'a désigné au restaurant. Et ainsi de suite.

  (FACEBOOK / FRANCETV INFO)
 

Ce défi est lancé après un autre jeu, "A l'eau ou au resto", qui consiste à se jeter à l'eau souvent déguisé ou muni d'un accessoire, puis à poster la scène sur Facebook. Ou, si on ne relève pas le défi, à payer un repas au restaurant à celui qui l'a lancé. Mais ce challenge s'est révélé dangereux. Un jeune homme de 21 ans s'est grièvement blessé dans le Pas-de-Calais le 1er juin. Un autre, âgé de 19 ans, est mort le 12 juin dans le Morbihan, tout comme une femme de 29 ans, dans le Maine-et-Loire, dimanche 22 juin, alors qu'ils relevaient ce défi.

Qu'est-ce qui pousse l'internaute lambda à participer à ce type de jeux ?

Parce qu'on est en quête de reconnaissance

Si les accidents sont liés au jeu "A l'eau ou au resto", ils n'ont pas tous les mêmes causes. La femme de 29 ans, par exemple, est morte après avoir fait un malaise, lié à une hydrocution, selon RTL. De dix ans son cadet, le jeune homme du Morbihan, lui, s'était attaché la cheville à son vélo et a coulé avec lui. Le jeu auquel il s'est prêté était clairement dangereux.

"Les adolescents pensent que tout est possible", selon Claude Halmos, psychanalyste interrogée sur France Info dans l'émission "Savoir être". Elle estime que relever des défis dangereux suppose d'avoir des problèmes personnels. "Il faut avoir en soi une faille dans le sentiment de sa valeur et avoir, de ce fait, un besoin pathétique de reconnaissance", juge-t-elle notamment.

"On est dans une société de l'image et on cherche beaucoup la reconnaissance extérieure de ses pairs, de ses communautés. Le fait qu'on cherche à se faire approuver par un certain nombre de personnes peut entraîner dans un mécanisme qui nous dépasse", renchérit Vanessa Lalo, psychologue spécialiste des nouveaux médias numériques, sur le site de BFMTV.

"Sur Facebook, l'audimat intime devient important. Ainsi, un défi relevé acquiert de la valeur parce qu'il est relayé. Même lorsqu'il s'agit de montrer une photo de soi enfant, le but est de rassembler un audimat. Il y a la volonté de se montrer", résume Michael Stora, psychanalyste et membre de l'Observatoire des mondes numériques en sciences humaines, contacté par francetv info.

Parce qu'un défi est une stimulation

"Pour tous, le défi est une stimulation, analyse pour francetv info Michel Lejoyeux, professeur de psychologie médicale, d'addictologie et de psychiatrie, auteur de Réveillez vos désirs (éditions Plon). Le défi montre que rien n'est jamais complètement écrit dans la vie. C'est une sorte de thérapie sauvage, c'est-à-dire une manière de s'imaginer autrement qu'on ne l'est en réalité. Mais en changeant, on peut se mettre en danger."

"D'un point de vue psychanalytique, plonger dans l'eau froide [comme dans le défi "A l'eau ou au resto"] revient à calmer ses pulsions. Plus généralement, l'ado cherche à explorer son corps et ses frontières. La dynamique est exactement la même lorsqu'il boit avec excès : il souhaite savoir jusqu'à quel point il va tenir", analyse de son côté Stéphane Clerget, pédopsychiatre spécialisé dans l'adolescence, dans Le Parisien (article payant). 

Boire de l'alcool, souvent avec excès, était justement le but du jeu "Neknomination", qui a circulé sur Facebook en février, avant "A l'eau ou au resto". Dans ce jeu, il faut prendre une position originale, boire de l'alcool cul sec et se filmer. Après avoir mis la vidéo en ligne, il faut désigner trois amis qui ont 24 heures pour reproduire le geste. Au Royaume-Uni, cinq personnes sont mortes en relevant ce défi.

Parce que cela révèle notre personnalité

Mais face au succès des jeux dangereux, certains ont décidé de les détourner. Ainsi, Julien, un Bordelais de 23 ans, désigné par un ami sur Facebook pour jouer à "Neknomination", a détourné les règles. Le 12 février, il s'est filmé en train d'offrir dix sandwichs et deux bouteilles d'eau à un groupe de sans-abri. Mardi 24 juin, sa vidéo avait été vue plus de 912 000 fois sur YouTube.

C'est aussi ce qui s'est produit avec le jeu "Une photo de toi petit ou un resto". "Pour les adolescents, diffuser une photo de soi enfant est un défi créatif et intéressant, bien plus que sauter dans l'eau. C'est aussi une manière de dire qu'on accepte l'enfant qu'on a été", souligne Michael Stora, psychologue et psychanalyste. Et c'est aussi un signe de nostalgie, assez "banal" selon lui.

"C'est sympa de voir les têtes des amis que tu connais bien. Ces photos me font repenser à mes souvenirs d'enfant que j'ai partagés avec des collègues ! Il n'y a rien de méchant dans tout ça", confirme à francetv info un utilisateur de Facebook, âgé de 27 ans, qui a participé au défi. "Je ne suis pas friande de défi. Mais celui-ci avait une saveur particulière. L'occasion de découvrir ses amis auréolés des traits innocents de l'enfance. C'est une façon de se mettre à nu, certes, mais de manière très bon enfant. C'est sûrement un penchant un peu nostalgique, un arrêt sur image dans ce monde où tout va très vite !" ajoute Béatrice, la quarantaine, également contactée par francetv info.

Parfois, certains défis prennent une dimension caritative. Ainsi, pour contrer l'image controversée de "A l'eau ou au resto", l'administratrice de la page qui l'a lancé sur Facebook a organisé un de ces défis au profit de la lutte contre le cancer. "Cela montre que certaines personnes ont une forme d'intégration des pratiques dangereuses, estime Michael Stora. Dans le fond, internet est un révélateur et un amplificateur des personnalités de chacun. On voit que certains aiment jouer aux 'éternels pompiers', qu'ils se veulent en héros, tandis que d'autres sont râleurs, rageurs, voire suicidaires." Et il y a enfin tous ceux, invisibles, qui, tout simplement, s'agacent ou se détournent de ces défis Facebook.

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