50 ans aprÚs Mai 68, les nouveaux combats de l'émancipation : Ervé, sans-abri, milite contre l'exclusion
Ils n'ont pas fait Mai 68. Cinquante ans plus tard, ils vont faire 2018. Chaque jeudi, franceinfo met en avant un combat, un visage, une voix. Ervé, 45 ans, SDF, milite pour un droit au logement pour tous. Grùce à Twitter, il trouve des petits boulots et peut continuer à mener sa bataille contre l'exclusion.
Ervé, 45 ans. Adresse : un banc place de la Nation à Paris. "Il y a le 14e aussi, il y a le 10e, mais j'aime bien ici me poser tranquillement, je suis au calme", assure ce sans domicile fixe aussi connu sous le pseudo @croisepattes sur Twitter. Ici, comme ailleurs, Paris, c'est un peu chez lui. Enfant de la Ddass, Ervé ("sans le 'H" parce que "ça fait longtemps que je l'ai fumé") a eu "un accident de la vie" à 24 ans. C'est comme cela qu'il s'est retrouvé à la rue : "J'ai perdu mon boulot, j'ai largué mon appartement. Je suis parti", raconte-t-il. A 45 ans, Ervé en a passé 21 dans la rue.
Pour vivre, quelquefois il fait la manche, plus souvent il fait des petits boulots quâon lui propose via Twitter qu'il utilise depuis des annĂ©es tous les jours. "Propositions pour du travail : en MP [message privĂ©] ou 06...". C'est Ă©crit sur sa page. Le rĂ©seau social lui permet aussi raconter son quotidien, de commenter l'actualitĂ© et d'interpeller les politiques. Parfois sur le ton de l'humour, parfois trĂšs Ă©nervĂ©. ErvĂ©Â a plusieurs combats : "Je milite pour un droit au logement pour tous et pour une bonne comprĂ©hension de la problĂ©matique liĂ©e aux personnes qui vivent Ă la rue, ceux qu'on appelle communĂ©ment SDF". Il a "un peu plus de 6 000 abonnĂ©s" ; son compagnon de rue, Christian Page, plus de 19 000. Ils sont devenus, avec d'autres, les porte-voix d'une minoritĂ© silencieuse.
"Interpeller ceux qui sont dans leurs tours dorées"
"Avec Twitter c'est bien parce que tu peux te permettre de dire : 'Oh ! Dis donc Macron, c'est quoi ce bordel ?', explique ErvĂ©. Cela peut ĂȘtre une soupape, mais en mĂȘme temps il ne faut pas tomber dans l'insulte, dans l'invective. Non, c'est poser un problĂšme, dire : 'C'est quoi, ça ?' Pouvoir interpeller directement les pouvoirs publics, ceux qui sont tout lĂ -haut dans leurs tours dorĂ©es et leur dire : 'Revenez un petit peu sur terre, voilĂ ce qu'il se passe quoi.'"
Mais, le virtuel ne remplace pas le concret pour Ervé. Lorsqu'il voit un sans-abri qu'il ne connaßt pas, il lui propose toujours de l'aide comme ce jour-là Place de la Nation : "J'ai vu entre 50 et 100 personnes passer devant lui dans une indifférence incroyable alors qu'il leur dit juste 'Bonjour'. J'ai un petit peu de sous sur moi, je dois avoir une dizaine d'euros, je lui ai filé 2 euros."
Cette solidaritĂ©, il l'a connue quand lui-mĂȘme s'est retrouvĂ© dans la rue : "Quand je suis arrivĂ© sur Paris, se souvient-il, j'ai Ă©tĂ© accueilli Ă bras ouverts par des SDF qui m'ont dit : 'HoulĂ , toi tu ne vas pas faire long feu, reste avec nous', et puis ils m'ont donnĂ© les 'codes'. Du coup, je ne peux pas m'empĂȘcher, quand je croise un autre SDF, de m'inquiĂ©ter, de savoir comment il va etc. C'est ma passion d'ĂȘtre militant."
Refaire Mai 68
ErvĂ©, le militant, regarde parfois le passĂ© avec envie comme Mai 68 mĂȘme s'il n'Ă©tait pas encore nĂ©. "Mai 68, c'Ă©tait un peu bordĂ©lique au dĂ©part et puis d'un seul coup, c'est devenu un vrai mouvement, analyse-t-il. Il y avait une espĂšce de souffle. On voulait sortir d'une sociĂ©tĂ© Ă la papa, un peu embourgeoisĂ©e. J'aurais bien aimĂ© le vivre."
Alors, ErvĂ© parle du futur. Pour cela, il nous emmĂšne Ă l'abri dans un cafĂ© juste en face de son banc. Dehors, il commence Ă faire froid. Il espĂšre une rĂ©volte comme en 68... AprĂšs tout, cela fait 50 ans cette annĂ©e. "Ouais, ça aurait de la gueule je pense. FĂȘtons cet anniversaire, ce serait sympa." Puis, il ajoute, pessimiste : "Le problĂšme maintenant, c'est que les gens font la rĂ©volution devant leurs Ă©crans et plus dans la rue. C'est bien beau de gueuler sur Twitter ou Facebook ou je-ne-sais-quoi, mais..." ErvĂ© se ressaisit : "Oui, attendons le mois de mai : il fera un peu meilleur qu'en dĂ©cembre-janvier."
>> Retrouvez la série "Sous les pavés 2018, les nouveaux combats", en intégralité, tous les jeudis à 22h10 et 23h40 sur franceinfo.
LibertĂ©s individuelles, droits des femmes, lutte contre les discriminations, rejet de toute forme dâexclusion, protection de lâenfance... Cinquante ans aprĂšs Mai 68, le plus important mouvement de contestation politique, sociale et culturelle de lâhistoire rĂ©cente française, franceinfo donne la parole, chaque jeudi, Ă celles et ceux qui portent les nouveaux combats de l'Ă©mancipation et des libertĂ©s.
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