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Nuctech, la société proche du pouvoir chinois qui engrange les contrats dans les aéroports français

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Article rédigé par L'Oeil du 20 heures
France Télévisions

Ces dernières années, Nuctech, un fabricant chinois de scanners à rayons x et de portiques de sécurité, engrange de plus en plus de marchés publics dans les aéroports français. La société, présente dans 150 pays à travers le monde, commence à inquiéter les autorités.

A Brest, en matière de sécurité, les sites sensibles ne manquent pas. Il y a la base sous-marine et l’arsenal militaire mais en ce moment, c’est l’aéroport qui attire l’attention d’Eric Bothorel, député Renaissance des Côtes-d'Armor. La raison : un marché public conclu en 2019 pour le renouvellement des équipements de contrôle de bagages de soutes. Un contrat qu’il n’a découvert que récemment. « C’est passé sous les portiques, sous les radars - si on peut dire - pendant un certain temps, mais maintenant, on s’y intéresse de près », reconnaît le député de la majorité. Le bénéficiaire du marché s’appelle Nuctech et ces quatre dernières années, outre l’aéroport de Brest, il a remporté plusieurs gros contrats en France à Quimper, Bordeaux, Toulouse, Lille mais aussi à Nouméa et à Tahiti.

"Il y a un risque et je ne suis pas sûr qu’on ait pris des garanties pour éviter ce risque-là"

Une forte progression  qui intrigue, surtout dans un secteur d’activité si stratégique. « On est sur des données sensibles : qui voyage ? Avec quoi on part ? Avec qui on part ? Il y a un risque et je suis pas sûr qu’on ait pris des garanties pour éviter ce risque-là », regrette l’élu. Le député français n’est pas le seul à se s’inquiéter. Nuctech est certes présente dans 26 des 27 Etats de l’Union Européenne mais les Etats-Unis, la Lituanie ou le Canada ont banni la société de leurs marchés publics. Un document des services de renseignement canadiens, publié en 2020, alerte : « Le fournisseur Nuctech pose une menace élevée. (…) Une offre permanente pour des machines à rayons X et leur entretien pourrait être utilisée pour de l’espionnage technique ». Si certains pays s’alarment, c’est parce que Nuctech n’est pas une entreprise comme les autres, elle est étroitement liée au pouvoir chinois. Pendant plus de dix ans, elle a d’abord été dirigée par Hu Haifeng, le fils de l’ancien président Hu Jintao. Aujourd’hui, l’actionnaire principal s'appelle Tongfang Tsinghua et appartient lui-même à la China National Nuclear Company, une entreprise d’Etat proche de l’armée chinoise, selon les renseignements américains. Officiellement, aucune cyberattaque, ni fuite de données n’a à ce jour été imputée à Nuctech mais, par nature, un scanner à rayons X est un outil sensible. Dans le centre de formation où il travaille, Bryan Denis, un spécialiste de la sûreté aéroportuaire, ouvre devant nous un équipement de contrôle de bagages de soute. « Ici, on a les ports ethernet, un peu plus loin, on a les ports USB. Il poursuit: on va retrouver toutes les images traitées par l’agent et on va pouvoir ressortir tout ce qui est menace qu’on aurait pu trouver à l’intérieur, des articles prohibés qu’on aurait pu trouver à l’intérieur des bagages ». Alors, quel usage fait Nuctech de ces données sensibles ? La marque chinoise n’a pas souhaité nous répondre mais nous sommes parvenus à joindre son distributeur français. L’un de ses cadres dément toute possibilité d’espionnage: “C’est un fantasme. Les machines sont installées dans les aéroports et les aéroports gèrent eux-mêmes leurs réseaux. On n’échange pas de données, aucune

“C’est un fantasme (...) On n’échange pas de données"

Le discours semble pour l’heure, suffire à rassurer les clients français de Nuctech. D’autant que la marque chinoise a un argument de poids pour remporter les marchés publics : ses tarifs très attractifs. Nous nous sommes procurés le détail de l’attribution du marché de l’aéroport de Brest. Avec une offre de 998 810 euros, Nuctech est environ 30 % moins cher que les autres candidats dont les propositions avoisinaient 1 million 300 000 euros. Ces écarts de prix conséquents seraient fréquents. « On ne peut plus travailler », déplore anonymement un concurrent de Nuctech. « On a beaucoup de soucis depuis qu’ils sont sur le marché. Cela devient très difficile », décrit un autre acteur du marché. Contactée, la direction générale de l’aviation civile explique que les équipements Nuctech sont conformes aux normes européennes mais qu’ils ne font l’objet d’aucun contrôle spécifique sur la sécurisation de leurs données.

Parmi nos sources (liste non-exhaustive) :

Audition de Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale. Juillet 2022.

Résultat du marché public pour le convoyage des bagages de l'aéroport de Brest, 2019

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