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Vie privée : l'Etat pourrait bientôt avoir accès à beaucoup plus de données

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Les sénateurs examinent, mardi 10 décembre, l'article la loi de programmation militaire, dont l'article 13 inquiète les acteurs du web français. (KACPER PEMPEL / REUTERS)

L'article 13 de la loi de programmation militaire, discutée mardi par les sénateurs, assouplit l'accès de l'Etat aux données privées liées aux communications électroniques.

La levée de boucliers est unanime. La loi de programmation militaire (LPM) pour la période 2014-2019 doit être débattue au Sénat, mardi 10 décembre. A l'origine, elle établit les crédits de la Défense sur cette période. Mais son article 13, consultable sur le site du Sénat, fait grincer les dents des acteurs du web français, quelques mois après les révélations sur l'espionnage américain. Selon eux, le texte met en danger la vie privée des internautes car il élargit les conditions d'accès à leurs données numériques.

Francetv info détaille le contenu de ce texte décrié qui pourrait entrer en vigueur le 1er janvier 2015.

Il autorise la consultation de davantage d'informations

L'article 13 modifie le code de la sécurité intérieure et permet aux services de l'Etat - militaire mais pas seulement - d'accéder aux données d'un cercle plus important d'opérateurs de communications électroniques. Il ne s'agit plus seulement des fournisseurs d'accès mais aussi des hébergeurs. Autrement dit, ce ne sont plus uniquement SFR, Bouygues, Orange ou encore Free qui peuvent être sollicités mais également Google, Facebook ou d'autres services qui stockent "tout document ou information" en ligne. Cette formulation floue implique ainsi un périmètre plus large que celui actuellement en vigueur. Jusqu'à présent, les données consultables étaient "techniques", c'est-à-dire celles qui permettent d'identifier un internaute visé par une enquête.

La mesure inquiète les professionnels du secteur. Pour la fédération Syntec, qui rassemble près de 80 000 entreprises du numérique, le texte "contient potentiellement un risque économique pour l'offre numérique française en plein essor (...) en pouvant contrarier la confiance des utilisateurs et des clients de ces services". Même avis de la Fédération française des télécoms (Orange, Bouygues et SFR) : elle pointe des "dérives potentielles" et juge que l'intervention croissante des pouvoirs publics sur les échanges privés risque de "fragiliser la confiance des utilisateurs".

Mais L'Expansion rappelle que cela fait bien longtemps que vos mails, photos ou autres documents sont consultables par les autorités : "La loi de finances rectificative pour 2001 avait ainsi autorisé les services fiscaux, douaniers et les enquêteurs de la Commission de Bourse à collecter des données de connexion conservées par les opérateurs de télécommunications, les fournisseurs d'accès et les hébergeurs".

Il permet de récupérer des données en temps réel

Jusqu'ici, les autorités peuvent accéder a posteriori à des données de connexion pour les analyser. Avec l'article 13 de la LPM, elles pourront capturer des données en temps réel, y compris la géolocalisation des utilisateurs par "sollicitation des réseaux". En clair, elles auront les moyens de reconstituer votre itinéraire ou encore de savoir à la minute près quels sites vous avez consulté.

"Il est particulièrement choquant de voir que le gouvernement qui se veut exemplaire sur ces questions [les libertés publiques] accepte sans réserve de telles dispositions intrusives", a estimé le député UMP de Haute-Savoie Lionel Tardy.

Il élargit les motifs de consultation des données

Jusqu'à maintenant, la police et la gendarmerie pouvaient accéder à certaines données dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Avec l'article 13, elles pourront les consulter en prétextant la prévention contre la criminalité, la délinquance organisée ou la reconstitution de groupements dissous. En clair, avec "la 'prévention de la criminalité', ce régime d'exception s'appliquera à toutes les infractions", commente Slate.fr.

Mais ce n'est pas tout. Les nouvelles dispositions autorisent également le ministère de l'Économie et du Budget à consulter ces données en invoquant la préservation du "potentiel scientifique et économique de la France".

Laure de la Raudière, députée UMP d'Eure-et-Loire, est l'une des rares à avoir tenté d'amender ce texte. Selon elle, c'est principalement cet élargissement au domaine économique qui crée des crispations. "Il ne me poserait pas de problème si le champ de cet article se limitait à la sécurité nationale et à la lutte contre le terrorisme", assure-t-elle. "Avec l'article 13 de la LPM, l'affaire des fadettes [où les factures téléphoniques d'un journaliste du Monde ont été espionnées] serait légale", s'insurge sur Twitter le cofondateur de la Quadrature du net. 

Il donne de larges pouvoirs à l'administration

Si le texte est adopté par les sénateurs, militaires, policiers et membres du ministère de l'Economie pourront consulter ces données sans avoir besoin de l'autorisation d'un juge car le pouvoir administratif a la main sur la phase d'enquête et de renseignement. 

Gilles Babinet, responsable numérique pour la France auprès de la Commission européenne, est inquiet : "Je n'ai pas de problème à ce que l'on aille fouiller dans la vie des gangsters. Encore faut-il savoir qui est celui qui désigne le gangster, et il faut que cela soit un juge. En aucun cas, il ne faut donner un blanc-seing aux militaires et à d'autres pour écouter tout et tout le monde en temps réel", déclare-t-il dans un entretien aux Echos. Et de conclure : "Nous sommes à deux doigts de la dictature numérique."

Il pérennise des mesures qui devaient être temporaires

Avec l'article 13, un dispositif provisoire se voit gravé dans le marbre. A l'origine, des mesures critiquées ont été adoptées dans la loi anti-terroriste du 23 janvier 2006, qui a été prorogées deux fois, en 2008 et 2012, et qui restent valable jusqu'au 31 décembre 2015. Pour la Quadrature du net, si ces mesures existaient déjà, elles étaient jusqu'ici davantage encadrées. Surtout, l'article 13 "rend permanents des dispositifs qui n'étaient que temporaires".

Mais Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois de l'Assemblée (PS), relativise la portée du texte. Dans une interview au Point.fr, il déclare : "Il faut raison garder, l'article 13 représente un bon équilibre entre protection des libertés individuelles et efficacité de nos services".

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