Expérimentation des téléphones en cellule : les détenus de Montmédy "sont plus sereins" notent les surveillants
Le gouvernement veut généraliser l'accès au téléphone fixe dans les cellules en prison. Une expérimentation menée depuis 2016 au centre de détention de Montmédy, dans la Meuse, montre que le résultat est positif.
La ministre de la Justice l'annoncé le 5 janvier dernier : son administration a lancé un appel d’offres pour équiper de téléphones fixes la quasi-totalité des 50 000 prisons d’ici deux ans et demi.
Depuis juillet 2016 déjà, les détenus du centre de détention de Montmédy, dans la Meuse, peuvent téléphoner depuis leur cellule. L'établissement pénitentiaire a servi de laboratoire avant la généralisation de la mesure. Sur place, les responsables et les détenus en tirent un bilan positif.
La prison de Montmédy est un grand bâtiment rose au milieu de vertes collines. À l'intérieur : 299 cellules dont 290 sont équipées de téléphones. Seul le quartier disciplinaire en reste dépourvu. Le prestataire privé qui a tout installé a emprunté le signal numérique déjà existant pour la télévision. Philippe Godefroy, le directeur de l'établissement, présente ce dispositif "très simple", selon lui : "Un boîtier métallique sécurisé. À l'intérieur : un fil qui va vers la télévision et un câble qui va vers le téléphone". À l'extérieur, c'est un "combiné comme on trouve dehors."
Les détenus ne peuvent pas appeler n’importe quels numéros de téléphone. La liste de leurs contacts est soumise à autorisation préalable. "Avant d'être enregistrés, ces numéros sont contrôlés et les communications peuvent être écoutées soit en temps réel soit en différé", détaille le directeur.
On a écouté plus de 2 000 communications sur l'exercice 2017.
Philippe Godefroy, directeur de la prison de Montmédyà franceinfo
Auparavant, les appels étaient déjà écoutés mais ils ne pouvaient être passés qu’en journée dans les quelques cabines installées dans les bruyantes coursives et accessibles seulement jusqu'à 18h. Comme les détenus faisaient la queue, tout le monde entendait leurs conversations. Avec le dispositif "un téléphone par cellule", disponible 24 heures sur 24, les communications ont été multipliées par quatre au sein de la prison.
Très chers coups de fil
Karl a passé quatorze années derrière les barreaux. Dans sa cellule, très bien entretenue, ce détenu de 38 ans chérit son nouvel appareil. "On ne croyait pas que ça allait arriver et c'est arrivé !, se réjouit-il. À toute heure de la journée et de la nuit, on peut téléphoner. J'appelle mon épouse et mes parents surtout le soir, et les enfants aussi : quand ils sortent de l'école, on peut les avoir plus facilement."
On a beaucoup plus d'intimité, plus de temps, on est allongé sur le lit, on peut discuter de comment ça se passe au collège.
Karl, détenuà franceinfo
Karl reconnaît que ces communications ont un prix : "Si on téléphone tous les jours sur des portables, ça peut aller aux alentours de 200-250 euros par mois." L'installation de ces téléphones n'a coûté que 6 000 euros à l’administration pénitentiaire de Montmédy. Le reste est financé par un prestataire privé qui se rémunère sur les coûteuses communications facturées aux détenus : 10 centimes d'euro par minute vers les téléphones fixes et 30 centimes d'euro par minute vers les téléphones portables.
C’est 20% moins cher que les communications passées auparavant dans les "points phone" des coursives, mais cela reste très cher comparé aux forfaits que l'on trouve dans le commerce.
Baisse de 30% du trafic de portables
Karl travaille. Il arrive à financer cette dépense. D’autres détenus n'en ont pas les moyens, ce qui explique que le trafic des téléphones portables -même s’il a baissé de 30 %- n’a pas totalement disparu de la prison de Montmédy. Ces portables bien qu'interdits continuent d'être précieux car ils permettent d’envoyer des sms, contrairement aux téléphones fixes de la prison. Il y a aussi une minorité de prisonniers qui se procurent ces portables pour maintenir des liens avec leurs réseaux délinquants ou criminels à l’extérieur.
Malgré tout, les surveillants voient un autre avantage à l'introduction du téléphone dans les cellules : ils n’ont plus à conduire les détenus jusqu’aux cabines donc "moins d'allées et venues sur la coursive", explique Michel. "Auparavant, le téléphone se situait à côté du bureau du surveillant. Ça nous libère d'une charge de travail", raconte ce surveillant qui voit aussi une différence sur le comportement des détenus : "Ils sont plus sereins, ça les apaise un peu", assure-t-il.
Prévention des suicides
"La prison, ça désocialise, rappelle Philippe Godefroy. Les personnes détenues ne doivent pas couper le lien."
Quand on se retrouve en cellule avec, parfois, des baisses de moral, cette petite fenêtre téléphonique leur permet d'entendre la voix de leurs parents.
Philippe Godefroy, directeur de la prison de Montmedyà franceinfo
Si le rétablissement des liens familiaux est le principal objectif de ce dispositif, il s’agit aussi de lutter contre le suicide. On se suicide sept fois plus derrière les barreaux qu’à l’extérieur. Parmi les numéros accessibles à toute heure depuis les cellules, il y a d’ailleurs celui de la Croix Rouge, un numéro vert spécial "écoutes détenus". C'est "pour les personnes qui n'ont pas de famille, c'est aussi un point de communication. Les idées noires deviennent moins sombres", explique le directeur.
Les syndicats dubitatifs quant à une généralisation
Les syndicats pénitentiaires font remarquer que si le résultat de l’expérience est heureux à Montmédy, un centre de détention pour des hommes déjà condamnés et presque tous dans des cellules individuelles, la situation sera bien plus compliquée dans les maisons d’arrêt qui souffrent de surpopulation carcérale. "À quatre ou cinq détenus par cellule, cela risque d’être source de tensions quand tout le monde voudra appeler ses proches le soir", fait remarquer Fadila Doukhi de FO-Pénitentiaire en Lorraine. La représentante syndicale note également que si les saisies de mobiles ont diminué à Montmédy, elles sont loin d’avoir disparu.
Réponse du ministère : c’est une question de temps. Car parallèlement à la généralisation des téléphones fixes dans les cellules, la ministre de la Justice Nicole Belloubet a annoncé avoir lancé un autre appel d’offres. Il s'agira d'installer dans toutes les prisons un nouveau système de brouillage ou de neutralisation des communications mobiles. Avec l'arrivée de la 3G et de la 4G, le système actuel est devenu complètement inefficace.
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