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Zones blanches : à quoi ressemble la vie sans téléphone portable ?

Le ministère de l'Economie a publié vendredi la liste de 171 nouvelles communes non couvertes par les réseaux de téléphonie mobile. Des élus de ces communes expliquent à francetv info à quel point cette situation empoisonne leur quotidien.

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Dans ces communes, le téléphone fixe est le seul moyen d'appeler l'extérieur. (MARCUS LUND / CULTURA CREATIVE / AFP)

Ils n'ont jamais de réseau, ou presque. Un vallon, une montagne, une forêt ou les calculs de rentabilité des opérateurs les isolent du reste du monde. Plus pour très longtemps, si l'on en croit le ministère de l'Economie. Bercy a publié, vendredi 6 novembre, une liste, mise à jour, de 237 communes où on ne capte aucun réseau avec son portable. Une liste assortie d'une demande aux quatre opérateurs de connecter ces communes au réseau avant la fin 2016.

L'annonce a été accueillie avec prudence par les élus, qui redoutent une énième promesse en l'air sur un sujet qui empoisonne la vie de leurs administrés. "Imaginez vivre dans le monde d'aujourd'hui sans moyen de communication", résume Yannick Le Bars, maire de Lanloup (Côtes-d'Armor). Aucun des élus contactés par francetv info ne se réjouit de cette situation. Ils racontent à francetv info les galères de la vie sans portable.

1On ne peut pas appeler les secours ou la police

Premier problème, la sécurité. "Il faut qu'on se sorte de cette situation, c'est trop dangereux, explique Gisèle Martin, la maire de Sivergues (Vaucluse), un petit village de 49 habitants. Nous avons des personnes âgées, des enfants, et une ligne de téléphone fixe qui fonctionne mal." "Si quelqu'un tombe malade, on fait quoi ?" demande-t-elle. Sans oublier les randonneurs, nombreux dans cette commune au pied du Luberon. "L'autre jour, un monsieur s'est fait une entorse. Ils ont dû le porter jusqu'au village pour téléphoner depuis la mairie", raconte-t-elle.

Les pompiers ne sont pas les seuls services publics difficiles à joindre. A Oms (Pyrénées-Orientales), Patrick Gericault se souvient de la fois où il a "attrapé" des cambrioleurs en flagrant délit. "On ne pouvait pas appeler la police. Lorsque vous l'appelez, cela prend au minimum quelques minutes et là, ça coupait tout le temps", se souvient le deuxième adjoint de la commune. Il a mis vingt minutes à joindre les forces de l'ordre.

L'inverse se vérifie. "Quand la gendarmerie vous appelle pour un accident et qu'elle n'arrive pas à vous joindre, c'est problématique", explique Yannick Le Bars, à qui cette mésaventure est arrivée il y a trois mois. "En cas d'urgence, on ne peut pas vous joindre", résume l'édile de Lanloup.

2On doit se déplacer pour envoyer un SMS

Dans ces villages, envoyer un texto ou passer un coup de fil est parfois une véritable expédition. "On connaît les quelques points du village où les portables passent, raconte Patrick Gericault, à Oms. Pour Bouygues, c'est devant la mairie. Pour Orange, c'est le poteau à la sortie du village." "En été, on voit parfois des rassemblements de jeunes devant ce poteau", ajoute-t-il. D'autres doivent prendre leur voiture. "J'habite sur la colline. Tous les jours, je vois des voitures arrêtées, avec des gens qui téléphonent à l'intérieur", témoigne Jean Desnoyers, maire de Mouffy (Yonne).

A Rimbach-près-Guebwiller (Haut-Rhin), "ceux qui ont un forfait mobile descendent jusqu'à Soultz, à 8 km, pour le consommer", raconte le maire, Alain Furstenberger. Et tant pis pour ceux qui n'ont pas de véhicule. "Pour les jeunes qui ont l'âge d'avoir des copines, c'est un peu frustrant, ils ne peuvent pas leur écrire", remarque l'édile. 

Les habitants des zones blanches sont, bien sûr, difficiles à joindre. "Je travaille de chez moi. Pour me joindre, beaucoup de gens m'envoient un SMS et ils ne comprennent pas que je ne rappelle pas tout de suite. Professionnellement, c'est très embêtant", constate Patrick Gericault. "Je suis obligé de dire à mon employeur : 'si vous n'arrivez pas à me joindre sur mon portable, appelez chez moi ou en mairie', abonde Alain Furstenberger. C'est assez ridicule."

3On paie pour un service qui n'est pas fourni

Les habitants de ces communes qui prennent quand même un abonnement mobile se retrouvent dans une drôle de situation. "Ils payent leur forfait au même prix, sans avoir le service", regrette Yannick Le Bars. Certains opérateurs proposent des boîtiers pour capter chez soi. Mais "ils le font payer, alors qu'ils pourraient le mettre à disposition gratuitement dans les zones blanches", s'agace l'élu.

4On peut difficilement faire des achats sur internet

Pour valider un achat en ligne, beaucoup de banques envoient un code par SMS à leur client, qui a quelques secondes pour l'entrer sur son ordinateur. Un moyen simple et pratique de sécuriser une transaction. Sauf si vous ne captez pas. "Quand je fais un paiement sur internet, c'est toujours compliqué. Il faut prendre la voiture, partir avec un ordinateur portable, raconte Patrick Gericault. C'est l'éternel problème."

5On a du mal à attirer des habitants et des touristes

Cette absence de réseau pose un problème d'attractivité. "Dans le camping de ma commune, ils se plaignent. Certains ne renouvellent pas leur séjour ou le raccourcissent à cause de ce problème de communication", observe Yannick Le Bars. Les professionnels du secteur l'ont bien compris. A Rimbach-près-Guebwiller, le restaurant ne trouve pas preneur depuis un an. "Ce n'est pas la seule raison, mais ça y contribue", estime le maire.

Les nouveaux arrivants hésitent à s'installer dans ces communes coupées du réseau. "Nous sommes à 18 km d'Auxerre. Des gens se renseignent pour s'installer, mais quand ils sortent le portable et qu'ils voient qu'ils ne captent pas… Ils n'achètent pas ou ne font pas construire", constate Jean Desnoyers à Mouffy. "Nous avons beaucoup de personnes âgées à Rimbach, explique Alain Furstenberger. Quand leurs maisons seront vendues, si on veut faire venir des jeunes, il nous faut le portable."

Retenir les jeunes est tout aussi compliqué. "C'est un sujet de moquerie au collège de vivre dans un village sans réseau, remarque l'élu. Du coup, ils me disent : 'j'en ai marre de Rimbach, dès que je peux me casser, je le fais'."

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