: Reportage "On ne fait rien pour nous faciliter la vie" : le périple de Franck pour accéder en fauteuil roulant à la cérémonie d'ouverture des Jeux paralympiques
"C'est un enfer." Après plus de deux heures de trajet, Franck Maille commence à craindre de ne pas arriver à temps pour la cérémonie d'ouverture, mercredi 28 août. Le référent accessibilité chez APF France Handicap a pourtant pris ses précautions : il est parti de chez lui, depuis Nanterre dans les Hauts-de-Seine, à 16h45, soit plus de trois heures avant le début des festivités prévues sur la place de la Concorde, à 20 heures.
"On aura une attention particulière pour les personnes en situation de handicap" lors des Jeux paralympiques, promettait Valérie Pécresse, présidente de la région et d'Ile-de-France Mobilités, lors d'un point-presse lundi. Mais le parcours du combattant vécu par Franck montre qu'il reste encore du chemin à parcourir.
Il est un peu plus de 16h30 quand Franck descend de son appartement situé à quelques minutes en fauteuil de la station de RER Nanterre-Préfecture. Cet ancien médaillé en paranatation aux Jeux paralympiques de Séoul en 1988 s'allume une cigarette et consulte une dernière fois les itinéraires conseillés par l'application "Paris 2024 : Transport public". Il a renoncé à réserver une place dans l'un des 100 minibus prévus par Ile-de-France Mobilités pour les personnes en situation de handicap, car il avait attendu plus de deux heures lors de la cérémonie d'ouverture des JO. Il mise donc cette fois sur les transports en commun.
"L'application Paris 2024 est bien faite", concède-t-il, en cochant l'option "voyageur en fauteuil roulant". Deux trajets de 50 minutes lui sont alors proposés via le RER A pour rejoindre l'entrée 6 de la place de la Concorde, qui se trouve côté Seine : soit il change à la station Auber avant de prendre le bus 68, soit il change à la station Châtelet pour la ligne 14 en direction de Pyramides. Franck choisit la première option, celle qui lui garantit en théorie le moins d'effort.
Atteint de la maladie de Charcot-Marie-Tooth, une affection dégénérative qui touche les nerfs périphériques, l'homme de 53 ans s'avoue "angoissé" par le trajet à venir. Une mauvaise intuition. Il a longuement hésité entre son nouveau fauteuil électrique et son fauteuil manuel. Il a finalement opté pour la deuxième solution, plus fatigante, mais moins risquée. "Mon fauteuil électrique n'a que 18 kilomètres d'autonomie. Le fauteuil manuel est quand même plus maniable, même si je douille au niveau des bras."
"On est obligés de demander une prise en charge"
Tout se passe pour le mieux au début, même s'il faut patienter un peu devant les ascenseurs : "Il y a une temporisation pour éviter que tout le monde s'en serve, mais les gens les prennent quand même et pour le coup, nous, on perd du temps." Arrivé devant les portiques de contrôle du RER, il faut alors se signaler au guichet en annonçant sa destination pour vérifier que les ascenseurs sont en état de fonctionnement à l'arrivée. Il faut parfois attendre longtemps et ne pas être malchanceux.
"Ce matin, l'ascenseur de la station Madeleine était en panne, par exemple", raconte Franck. Une fois rendu sur le quai du RER, grâce à un nouvel ascenseur, un agent aide les personnes en fauteuil à monter à l'avant du train, en installant une rampe amovible. "Le RER n'est donc pas accessible, car on est obligés de demander une prise en charge. L'accessibilité, c'est l'autonomie, c'est aller du point A au point B, sans aucun obstacle", constate Franck.
"J'espère que les Paralympiques vont être un accélérateur pour l'accessibilité, une prise de conscience, parce qu'aujourd'hui, c'est bien trop lent."
Franck Maille, membre d'APF France Handicapà franceinfo
Quand Valérie Pécresse assure que l'intégralité des sites paralympiques sont "100% accessibles", Franck s'agace. "Il y a la théorie et la pratique. On n'a pas la même notion de l'accessibilité. On voit qu'elle ne s'est jamais assise dans un fauteuil roulant", peste-t-il. Lui rêve de pouvoir prendre le RER A sans avoir besoin de demander de l'aide, comme sur le tramway ou la ligne 14. Arrivé à la station Auber, il faut remonter l'intégralité du quai pour aller prendre l'ascenseur.
A l'étage supérieur, il se met à la recherche d'un nouvel ascenseur pour franchir un palier supplémentaire. "Et là, on voit les problèmes de signalétique. J'ai failli passer à côté... Pourquoi ils ne mettent pas quelque chose au sol ?", s'interroge-t-il. Un ascenseur et un monte-charge plus tard, Franck se retrouve enfin dans la rue à la recherche de la station de bus. L'application l'oriente vers la rue Scribe et il arrive alors devant un agent RATP à la chasuble violette qui prononce la sentence : "La ligne 68 ne passe pas ici, tout est coupé à cause de la cérémonie d'ouverture."
"Il faut prendre la ligne 12"
L'écran confirme que l'arrêt est "non desservi", contrairement aux recommandations de l'application Paris 2024. Contacté par franceinfo, Ile-de-France Mobilités présente ses excuses : "Il y a eu des changements récents sur les périmètres de circulation des bus. Nous faisons tout ce qui est possible pour intégrer rapidement les modifications."
De son côté, Franck décide de tenter sa chance par l'entrée 1 au nord du site de la Concorde et de forcer sur ses bras pour s'y rendre au plus vite. Il faut alors affronter pêle-mêle la foule, les rues parfois étroites, les montées, les pavés, les trous dans la chaussée et les trottoirs sans abaissement. La balade se transforme en périple souvent dangereux. "Il faut avoir les yeux partout, les roues peuvent se coincer dans les trous et à pleine vitesse, tu peux basculer, explique-t-il. Il y a des pièges."
Après 45 minutes épuisantes sous le soleil, l'entrée de la place est en vue. Franck tente alors sa chance auprès d'un bénévole de Paris 2024 qui refuse de le laisser passer. "Il est impossible de rejoindre l'entrée 6 par ici, il faut prendre la ligne 12 ou traverser la Seine au Pont-Neuf", explique gentiment le volontaire sans être au courant que la ligne 12 n'est pas accessible aux personnes en fauteuil.
L'ancien athlète paralympique s'arme de courage et décide de s'orienter vers le Pont-Neuf, situé au bout de l'île de la Cité, à une demi-heure environ en fauteuil. Mais, un peu plus loin, des membres de Paris 2024 lui assurent qu'il peut bien passer par l'entrée principale pour s'éviter le long détour. "Je vais renvoyer un message. On va leur faire passer la consigne", assure une salariée en dégainant son talkie-walkie. Franck revient donc sur ses pas, mais essuie un nouvel échec. "La Concorde est séparée en deux, ce n'est pas possible de traverser", assène une responsable sans proposer d'autres solutions que de traverser le Pont-Neuf.
"On ne fait vraiment rien pour nous faciliter la vie. Rien du tout. Elles sont où les valeurs 'Liberté, égalité, fraternité' ?"
Franck Mailleà franceinfo
Devant cette situation kafkaïenne, Franck s'énerve et commence à se demander s'il va pouvoir assister à la cérémonie. De retour à l'entrée 4, vers le jardin des Tuileries, il voit une éclaircie en la personne d'Alexandre, un membre de Paris 2024 qui comprend sa situation et décide de l'aider. "Je vous accompagne. On va trouver une solution, je ne vous lâche pas", promet le jeune homme. Après une longue négociation, les grilles finissent par s'ouvrir et Franck est enfin autorisé à passer.
Il faut encore faire le tour de la place et emprunter une longue rampe pour rejoindre les tribunes. A 19h15, après un périple de 2h30, l'ancien parasportif est enfin installé pour profiter du spectacle. "Je suis bien content d'être arrivé, mais maintenant, j'angoisse pour le retour. Bon, en attendant, on va faire la fête." Finalement, avec l'aide compréhensive de plusieurs policiers, Franck est parvenu à rentrer chez lui en moins d'1h30 à l'issue de la cérémonie. Ravi d'avoir pu assister au spectacle. Mais épuisé.
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