Deaflympics : entre besoin de reconnaissance et culture de la différence, le combat des athlètes sourds pour se faire entendre

Les Deaflympics, compétition dédiée aux personnes déficientes auditives, débutent samedi en Turquie. Toujours écartés des Jeux paralympiques, les sportifs sourds et malentendants militent pour la reconnaissance de leurs performances.
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7min
Nicolas Sarremejane, skieur malentendant de 33 ans, va participer à ses troisièmes Deaflympics du 2 au 12 mars 2024 à Erzurum (Turquie). (GREGORY.PICOUT)

"C'est tout simplement fabuleux. Cela fait quatre ans que j'organise ma vie pour vivre mon rêve et là, je suis sélectionné pour représenter mon pays pour 'nos' JO, c'est incroyable !". L'enthousiasme et le sourire d'Antoine Collomb-Patton sont communicatifs. Le skieur nordique fait partie des cinq athlètes de la délégation tricolore à avoir pris la direction d'Erzurum, dans le nord-est de la Turquie. C'est là que se tient, du samedi 2 au mardi 12 mars, la 20e édition des Deaflympics d'hiver, une compétition internationale regroupant les meilleurs athlètes sourds et malentendants.

Comme les Jeux olympiques, elle connaît une alternance tous les deux ans entre les sports d'été et les sports d'hiver. En revanche, à l'inverse de l'organisation millimétrée du plus grand événement sportif mondial, tout est bien moins structuré. 

L'événement maintenu malgré une organisation chaotique

Pour Antoine Collomb-Patton et ses partenaires, la préparation a été courte, puisqu'ils ont appris seulement au début de l'hiver que les Deaflympics auraient bien lieu. "Ça devait se tenir en Autriche à la base, ensuite, on parlait d'un report à 2025, et finalement, on a appris que ça serait en Turquie début mars... C'est beaucoup plus chaotique", confesse Christian Fémy, directeur des sports d'hiver à la Fédération française handisport (FFH).

Ce n'est pas la première fois que l'organisation est précipitée en dernière minute, ou que la compétition est tout simplement annulée... à une semaine de l'ouverture, comme en 2018. A cela s'ajoutent d'autres problématiques comme l'absence de production d'images et donc de droits télévisés, ce qui complexifie l'attrait de partenaires et de sponsors. Cette médiatisation compliquée empêche les Deaflympics de sortir de l'ombre et les athlètes deviennent, selon Christian Fémy, "les victimes de la faiblesse structurelle du Comité international des sports des sourds [ICSD en anglais] et de sa gouvernance".

Un contexte historique lourd

Pour mieux comprendre la position de cette fédération internationale pour les sportifs sourds et malentendants, il convient de faire un léger retour en arrière, jusqu'en 1880 et le Congrès international pour l'amélioration du sort des sourds, tenu à Milan. Des spécialistes y actent la préférence pour la méthode d'enseignement orale pour les sourds et la langue des signes est marginalisée pendant près d'un siècle dans les écoles françaises. Un militant, Eugène Rubens-Alcais, tente alors de la faire subsister via le sport, en la pratiquant dans les gymnases. C'est à son initiative que sont créés, en août 1924, les premiers Jeux silencieux internationaux, l'ancêtre des Deaflympics.

"C'est de là qu'est née cette conviction que, plus jamais, ils ne laisseront les autres décider pour eux, explique Jean Minier, le directeur des sports du Comité paralympique et sportif français (CPSF). Ils veulent garder leur destin en main avec l'organisation de cet événement. Ils arrivent à le maintenir tant bien que mal, mais c'est de plus en plus compliqué."

"Ouvrir nos frontières vers le monde paralympique"

Jusqu'en mars 1995, l'ICSD faisait partie du Comité paralympique international (IPC), avant de décider d'en partir. Les athlètes sourds et malentendants n'ont, à ce jour, jamais participé aux Jeux paralympiques malgré des accointances entre les deux compétitions. "Il y a un principe de réalité qui est que les Deaflympics [d'été] représentent plus d'une vingtaine de sports, avec près de 3 000 athlètes. C'est impossible de tout intégrer au sein des Jeux paralympiques, précise Jean Minier. D'un autre côté, pour les organisateurs des Deaflympics, c'est irrecevable de n'être intégré qu'en partie." 

"Il faut comprendre que c'est aussi un peu un monde à part et il faut respecter la volonté du Comité international de créer un événement pour les sourds, ajoute Christian Fémy. Toutes les informations sont données en langue des signes, ils se retrouvent au même endroit, ont les mêmes problématiques... C'est important."

Néanmoins, du côté des athlètes, les avis penchent plutôt pour un rapprochement avec le monde paralympique. "On serait reconnus à la même hauteur que les autres handicaps et moi, je me bats pour ça. Il faut essayer de faire évoluer les choses et ouvrir nos frontières", avance le skieur alpin multiple médaillé aux Deaflympics, Nicolas Sarremejane. Même son de cloche pour Antoine Collomb-Patton : "Je m’entraîne depuis 2020 avec l’équipe de France de ski nordique paralympique. Cela serait une belle avancée si nous étions intégrés pour les Jeux de 2030. C’est même mon prochain rêve ! Pouvoir disputer une telle compétition à la maison, dans ma station de La Clusaz, ce serait magique..."

Encore des combats à mener

En attendant une évolution de la situation, les athlètes sourds et malentendants sont souvent livrés à eux-mêmes. Sans circuit international pour les sports d'hiver, impossible de se mesurer à la concurrence. Ils s'alignent sur des courses avec les valides, tout en finançant eux-mêmes, malgré quelques aides des fédérations, leurs équipements et leurs déplacements.

Antoine Collomb-Patton, Nicolas Sarremejane, Thomas Luxcey, Mélanie Rembaud et Loïc Cros, les cinq représentants de l'équipe de France lors des Deaflympics 2024. (PICOUT GREGORY / FFH)

Technicien outilleur mouliste, Antoine Collomb-Patton confirme ne pas vivre de son sport, loin de là. Le jeune homme de 27 ans travaille à temps plein, même s'il a réussi à aménager ses horaires depuis l'année dernière grâce à une entreprise conciliante. "Je commence le boulot à 5 heures et, à 13 heures, j'enchaîne avec mon entraînement. Les pistes de ski de fond ferment à 16h30-17 heures, donc je n'ai pas de temps à perdre", explique-t-il. 

En équipe de France handisport depuis 2008, Nicolas Sarremejane est l'un des rares élus à bénéficier du statut de sportif de haut niveau, et donc de quelques subventions départementales et régionales, après avoir bataillé pour l'obtenir. Mais son combat ne s'arrête pas qu'à lui, loin s'en faut. "Comme les Deaflympics ne sont pas reconnus comme une compétition de haut niveau, car le Comité international des sports des sourds n'est pas membre de l'IPC, nous n'avons pas accès aux primes de médailles ou aux aides financières. Pourtant, il ne faut pas oublier que la surdité, c'est un handicap sensoriel comme les aveugles. Avec un ami tennisman également malentendant, on a envoyé un courrier à la ministre des Sports il y a plus d'un mois. On va voir si on peut relancer tout ça." 

Lancez la conversation

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.