Paris 2024 : Dimitri Jozwicki, la fusée qui veut casser les barrières du handicap invisible
Une carrure de déménageur, des veines bien visibles sur les biceps, deux cuisses taillées dans l’acier. À bien l'observer, on pourrait croire qu’il vient tout juste de boucler le tournage du dernier film Marvel, tant son physique herculéen semble l’y prédestiner. Pourtant, Dimitri Jozwicki n'aspire pas encore à une carrière à Hollywood. Son quotidien est sur les pistes. Son horizon ? Les championnats du monde de para athlétisme (du 8 au 17 juillet) au stade Charléty de Paris, dans 100 jours.
En ce mois de février, à l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep), temple des champions français, le jeune homme de 26 ans répète ses gammes sur 100 mètres. Le temps d'une session d'entraînement à destination des médias avec ses copains de l'équipe de France de para athlétisme, il attire les regards. En plein travail de sortie des starting-blocks, le sprinteur laisse une impression de vitesse saisissante depuis le bord de piste. Au point de se demander si, réellement, l'athlète musculeux a sa place dans le monde du handisport.
Mettre des mots sur un handicap qui ne se voit pas
Cette interrogation sur son handicap, Dimitri la vit depuis son plus jeune âge. Atteint de tétraparésie – cela se traduit au niveau de la course par un déficit au niveau articulaire, une fatigue musculaire plus importante et des soucis de coordination – il a dû attendre ses 8-9 ans pour qu'un diagnostic médical soit posé. "À l'école, une professeure de sport l'a traité de fainéant car il n'arrivait pas à lancer un frisbee", se souvient sa mère, Stéphanie. "C'est un handicap invisible, c'est pour cela que beaucoup ne comprenaient pas au début, et même maintenant. Lorsqu'il est fatigué, ses mains rentrent à l'intérieur, ses jambes deviennent difformes..."
Originaires de Nancy, les parents Jozwicki se sont battus pour que leur fils ait une scolarité normale, alors que certains spécialistes leur recommandaient un placement dans un Institut d'éducation motrice (IEM) à Flavigny-sur-Moselle. Entre les séances de kiné, deux fois par semaine, les attelles au niveau des jambes ou l'auxiliaire de vie scolaire pour l'aider à porter son ordinateur en cours, il a fallu construire une organisation adaptée dont Rémi, le frère jumeau de Dimitri, a été l'un des piliers. C'est lui qui l'a accompagné jusqu'à la fin du collège et lui a permis de garder les deux pieds chez les "valides". En parallèle, André, le papa, a initié ses garçons au sport.
"C'était sympa de faire champion de France sous l'œil de Christophe Lemaitre, celui qui m'a donné envie de le devenir."
Dimitri Jozwickià franceinfo: sport
En 2010, les championnats d'Europe d'athlétisme à Barcelone sont un déclic. "J'ai 13 ans, je suis devant la télé avec Rémi quand Christophe Lemaitre claque son triplé (100 m, 200 m et 4x100 m). On est impressionnés et en même temps, on s'identifie. C'était une période où, avec Jimmy Vicaut, le sprint tricolore était très fort." Les deux frères s'inscrivent dans la foulée à l’Athletic Club Omnisport Blénod (ACOB) et découvrent leur premier sport individuel.
13 ans plus tard, le 18 février 2023 à Metz, Dimitri survole les championnats de France en salle de para athlétisme en remportant deux titres sur 60 et 200 m. Le tout sous les yeux de Christophe Lemaitre, celui qui a tout déclenché. "Cela remet aussi en perspective tout ce que j'ai parcouru. C'est une jolie récompense sur une belle tartine de galères."
Avant de parvenir à cette double consécration, du chemin a été parcouru. Jusqu'à l'âge de 17 ans, les jumeaux font leurs classes chez les valides. C'est à ce moment précis que le handisport frappe à la porte de Dimitri. Mais ce dernier ne réagit pas comme prévu. "Il y a eu tout un travail pour lui faire comprendre qu'il y avait une catégorie pour lui [T38, mouvement et coordination du bas du tronc et des jambes légèrement limités], explique, Rémi, son frère. Avec les tests, les rapports d'experts, il a compris qu'il ne piquait la place de personne."
Rémi reste à ses côtés pendant trois ans, devenant guide d'un athlète déficient visuel, avant de voir "DimJoz" – son surnom sur les réseaux sociaux – intégrer l'équipe de France et le mouvement paralympique. Il découvre les grands noms du para athlétisme français : Marie-Amélie Le Fur, Trésor Makunda, Arnaud Assoumani... "J'ai un énorme respect pour eux, confesse Dimitri. Ce sont des gens simples, disponibles mais tu sens que sur la piste, il y a une rage de vaincre qui émane d'eux, et ça te donne envie de faire pareil."
L'apprentissage du statut de sportif de haut niveau
En 2019, c'est l'heure du grand déménagement. Direction, le Nord : le Nancéien accepte un poste de chargé des conditions de travail chez Pôle Emploi à Villeneuve d'Ascq, tandis qu'il est recruté par son nouveau club, le Lille Métropole Athlétisme (LMA). Surtout, Dimitri rejoint sa compagne Arwen pour entamer une nouvelle vie à deux. Une vie rythmée par les absences de son conjoint en raison des compétitions à l'autre bout du monde, des stages d'entraînement... "L'été dernier, on est partis ensemble en vacances pour la deuxième fois en six ans de relation", explique-t-elle. "Ce n'est pas facile à accepter pour tout le monde, mais moi, je comprends les objectifs d'un sportif de haut niveau", confie l'ancienne maître d'armes.
Aujourd'hui, Dimitri a pleinement embrassé sa carrière de champion. La quatrième place glanée aux Jeux paralympiques de Tokyo lui a permis d'être accompagné par de nombreux partenaires. Il a également signé une convention d'insertion professionnelle avec l'Association des paralysés de France (APF), l'Agence nationale du sport et la Fédération handisport (FFH), qui lui permet de libérer du temps dans son travail d'ergothérapeute. Une réussite qui rend fiers ses parents même si sa mère, Stéphanie, redoute toujours une blessure qui viendrait couper l'élan de son fils. Un scénario effleuré en 2021.
Cet été là, deux semaines après ses premiers Jeux paralympiques au Japon, le corps de Dimitri lâche. Une occlusion intestinale sévère le cloue au sol, nécessitant une grosse opération. 30 centimètres d'intestins lui sont retirés. Les médecins expliquent à ses proches que "le sport de haut niveau, c'est fini". L'horizon s'assombrit.
"Lorsqu'il a été admis aux urgences, on a eu très peur. 8h30 d'opération... C'est dur de se dire qu'il a mis sa vie en danger pour 11 secondes"
Stéphanie Jozwicki, la mère de Dimitrià franceinfo: sport
Pourtant, huit mois plus tard, en mai 2022 lors du meeting de Nottwil, l'impossible se produit : il bat son record sur 100 m et établit une nouvelle marque à 11,21 secondes. Un déclic s'est produit. "J'étais quelqu'un de très angoissé sur les compétitions. L'opération m'a fait réaliser que, quand je me suis entraîné pour Tokyo, je ne courais plus pour les bonnes raisons mais pour satisfaire ma fédération, des gens autour de moi... Aujourd'hui, c'est avant tout un moment où je m'amuse."
"Il ne doit rien à personne"
Cet été à Charléty lors des Mondiaux, l'athlète aura une ambition claire : remporter l'or, "peu importe le chrono". Mais un défi personnel l'anime : battre le record de son frère (11,16 secondes). "Il l'a réalisé un lendemain de cuite ce qui a le don de m'écœurer, balance-t-il dans un sourire. Cette année, je repasse devant !" Ce duel fratricide à distance devrait se dérouler sous les yeux de la famille Jozwicki réunie avec fierté autour de Dimitri. "Il s'est toujours battu pour obtenir ce qu'il voulait, son parcours force l'admiration", témoigne son frère Rémi, pas rancunier. "Moi je suis assistante maternelle, mon mari est ouvrier, souligne sa maman. Aujourd'hui, à 26 ans, Dimitri est propriétaire de son logement, il a de bons sponsors, davantage d'exposition médiatique. Parfois, il culpabilise car il nous a toujours vu calculer. Mais il ne doit rien à personne."
À regarder
-
"C'est un honneur incroyable..." On a rencontré Maxence, pro du parkour et l'un des personnages mystères de la cérémonie d'ouverture de Paris 2024
-
La cantatrice Axelle Saint-Cirel entonne la Marseillaise pour clore la parade des athlètes
-
Les joueurs de l'équipe de rugby à 7 dansent leur choré au pied de l'Arc de Triomphe
-
Teddy Riner est ovationné par la foule lors de la Parade des Champions
-
La "Parade des champions" est officiellement lancée depuis les Champs-Élysées
-
Paris 2024 : revivez les 4 cérémonies en 4 minutes
-
Qui est GЯEG qui a performé à la cérémonie de clôture des Jeux paralympiques ?
-
Paris 2024 : Revivez les plus beaux moments de la cérémonie de clôture des Jeux paralympiques
-
Jean-Michel Jarre enflamme le Stade de France
-
Jeux paralympiques : les exploits et des sourires en or pour les athlètes français
-
Il est temps de dire au revoir à la flamme
-
Huit danseurs de breaking valides et handicapés font le show
-
Les porte-drapeaux français pour la cérémonie de clôture des Jeux paralympiques
-
"La Marseillaise" interprétée par le trompettiste André Feydy
-
Santa ouvre la cérémonie de clôture des Jeux paralympiques
-
Paris 2024 : historique, l'équipe de France de cécifoot championne paralympique
-
Prothèses, fauteuils roulants : comment s'équipent les athlètes pendant les Jeux paralympiques ?
-
Ces Jeunes archers du Nord découvrent le para tir à l'arc et ses champions
-
Paris 2024 : "Durant ces Jeux, on a montré que l'on pouvait faire rimer les notions de handicap et de performance..." Le bilan tout sourire de Marie-Amélie Le Fur, patronne du comité paralympique
-
Paris 2024 : il réconforte les athlètes, sensibilise les officiels au handicap... Marc ne fait pas que conduire en tant que chauffeur volontaire sur les Jeux
-
À 23 ans, il va mixer pour la cérémonie de clôture des Jeux paralympiques !
-
La para-escalade fera son entrée aux Jeux de 2028 : une innovation française permet aux personnes en fauteuil de grimper comme tout le monde
-
Paris 2024 : Aurélie Aubert, chouchou du public et nouvelle star du sport para
-
Qui est Frédéric Villeroux, légende du cécifoot ?
-
Immersion avec des collégiens invités aux Jeux paralympiques
-
Paris 2024 : l'équipe de France de cécifoot est en finale paralympique
-
Paris 2024 : nouveau doublé français en para cyclisme
-
Qui est Axel Bourlon, champion de para haltérophilie ?
-
Paris 2024 : qui est Gabriel Dos Santos Araujo, star de la para natation ?
-
Paris 2024 : des tablettes et des casques VR pour les personnes malvoyantes
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.