Cet article date de plus d'un an.

Témoignages "Quand je compare ma vie, celle d'aujourd'hui est 100 fois mieux que celle d'avant" : comment le sport a changé leur vie après leur accident

France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 18min
Sandrine, Jérémy et Antoine évoquent leur rapport au sport avant et depuis leur accident, et comment celui-ci a favorisé l'acceptation de cette "nouvelle vie" avec un handicap. (Clément Mariotti Pons / CPSF)
À un an du début des Jeux paralympiques à Paris, franceinfo: sport met en avant les parcours de trois personnes en situation de handicap. Accidentés de la vie, chacun s'est, à son échelle, reconstruit par le biais de la pratique sportive.

Du jour au lendemain, leur vie a basculé. Un accident - de la route ou d'escalade - leur a laissé des stigmates irréversibles. Le handicap, Sandrine, Jérémy et Antoine ont appris à l'appréhender, notamment grâce au sport. Ils ont accepté de raconter leur histoire, lundi 28 août, à l'occasion du J-1 an des Jeux paralympiques de Paris 2024.

Sandrine • 48 ans, paraplégique à la suite d'un accident d'escalade (La Buisse, Isère)

Sandrine Ligones et son tandem, qu'elle utilise presque quotidiennement avec son compagnon Éric. Il accueillera des enfants en situation de handicap lors d'un raid à la mi-septembre entre Grenoble et Nice. (Clément Mariotti Pons)

Ma famille n'était pas sportive mais moi j'avais vraiment besoin de faire beaucoup de sport, peut-être pour m'évader un peu. Mes parents m'ont quand même mise au ski très jeune. Ma passion, c'était de pratiquer en plein air. À 17 ans, j'ai passé mon monitorat fédéral d'escalade et de ski pour enseigner en colonie de vacances. Pour mes études de mécanique, je suis montée à Grenoble, surtout pour pouvoir être au milieu des montagnes et passer mon brevet d'État. Je faisais beaucoup de VTT, un peu de vélo de route... Le sport, c'était hyper important.

J'avais 33 ans et deux enfants en bas âge de trois et cinq ans lorsque mon accident d'escalade s'est produit. Ma moelle épinière a été comprimée et je me suis retrouvée en fauteuil. Autour de moi, on pensait que c'était fini, que j'allais déprimer... L'horizon était très sombre. Quand je suis sortie de l'hôpital, je me suis retrouvée seule avec mes enfants car j'ai divorcé. Rien que pour eux, il fallait que je prouve qu'il y a une vie après cet accident et qu'on peut continuer à faire plein de choses. Les avoir avec moi, ça m'a donné un boost énorme.

Je rentre dans une période de transition où il faut tester les limites. Il y a un avant et un après, il faut découvrir la nouvelle personne que l'on est devenue. Et pour moi, il n'y a que le sport qui peut nous y aider. On puise à l'intérieur de nous, quels sont les membres qui peuvent bouger, par quoi on peut compenser... Ce passage par le sport pour retrouver de l'autonomie, tout le monde ne va pas le verbaliser mais il est un peu obligatoire. C'est important pour dépasser les difficultés qui vont se présenter, comme franchir un escalier par exemple. Il y a une phase de deuil après l'accident, on n'est pas tous capables d'avoir cette réflexion, c'est un cheminement vers l'acceptation de ce nouveau corps.

"Un an après l'accident, j'ai fait ma première compétition en natation. J'avais invité mes enfants pour me voir gagner une médaille. C'était important de leur montrer que je pouvais encore faire des choses, conduire, avoir un emploi..."

Sandrine

à franceinfo: sport

J'ai aussi eu la chance d'avoir été compétitrice avant, et l'accident, je l'ai pris comme une compétition. Il faut se relancer, se remettre dans la course, analyser ce qui n'a pas marché. En escalade, je faisais surtout de la difficulté, j'ai eu la chance de côtoyer Isabelle Patissier [grimpeuse française, quadruple championne de France]. Je me suis dit que ce sport allait me manquer, et bien pas du tout. J'ai pu compenser avec d'autres disciplines, et j'ai pratiquement tout testé !

J'ai été embauchée en tant que chargée de mission handicap au Commissariat à l'énergie atomique (CEA) en 2010 et, rapidement, j'ai ouvert une section ski assis au sein de l'entreprise. J'ai retrouvé de vraies sensations et très vite je m'y suis remise à fond, avec un peu de compétition. En parallèle, je faisais du kayak et j'étais invitée sur tous les stages nationaux. La discipline a été ouverte aux Jeux paralympiques à Rio en 2016, on m'a proposé mais financièrement je ne pouvais pas me permettre. Mes deux fils m'en ont un peu voulu, mais il fallait que j'arrête le ski pour me consacrer au kayak, alors que c'était "ma" discipline.

Depuis neuf ans, je suis engagée au sein de l'association "Comme les autres", qui se bat pour l'accompagnement social de personnes en situation de handicap via le sport. J'encadre des séjours en tant que référente handicap. L'objectif est de faire prendre conscience aux gens ce que ce corps cassé est capable de faire. J'essaie aussi de partager mon expérience via les défis que j'ai pu me lancer. Après avoir arrêté la compétition, en 2014-2015, j'ai fait un raid en Guyane avec plusieurs personnes où nous devions faire un diagnostic et voir si l'on pouvait rendre accessible un petit village de 60 habitants, accessible uniquement en avion, qui s'appelle Saül, en plein milieu de la forêt amazonienne. Il fallait former les gens à l'accueil de personnes handicapées, c'était une super aventure.

J'y suis retournée toute seule deux ans après, pendant trois semaines. J'ai loué une voiture pour faire le tour de la Guyane mais le véhicule n'était pas accessible, alors j'ai mis en place un dispositif avec des cannes sur les pédales. Je suis allée nager avec les crocodiles dans le marais, je dormais suspendue dans un hamac, je suis partie faire du kayak... C'était osé, j'étais seule avec mon sac à dos. À mon retour, tout me paraissait plus facile, je prenais le métro même si ce n'était pas accessible, je descendais sur les fesses et mon fils portait mon fauteuil... Ensuite, j'ai fait la même chose en Guadeloupe.

Aujourd'hui, on a créé notre propre structure - "DynamiGo" - avec Ingrid, enseignante en activité physique adaptée. On organise un raid sportif handi-valide entre Grenoble et Nice à la mi-septembre sur 15 jours. Le fil rouge, ce sont les enfants en situation de handicap et le sport. J'ai fait la rencontre d'une jeune fille en fauteuil il y a deux ans, et son histoire m'a touchée. Nous voulons montrer aux enfants que le handicap peut être bien vécu, ouvrir le champ des possibles, y compris pour les parents.

Jérémy • 30 ans, paraplégique à la suite d'un accident de moto (Longuenesse, Hauts-de-France)

Jérémy Soots lors d'une balade au marais audomarois, à quelques minutes de chez lui. "C'est un endroit où j'aime me ressourcer", explique le jeune homme de 30 ans. (Clément Mariotti Pons)

J'ai touché un peu à tout quand j'étais jeune mais je ne me suis jamais plu dans un sport. Je n'ai jamais été très bon, et je crois qu'à partir de 13-14 ans, j'ai complètement arrêté. J'en faisais à l'internat rapidement, mais à 17 ans quand je suis sorti de l'école, je n'ai plus rien fait jusqu'à mes 23 ans. C'était une période où j'étais en surpoids.

Mon accident s'est produit le 15 octobre 2016. J'étais à moto. On ne sait pas trop comment c'est arrivé. On roulait à deux avec un collègue qui me suivait, selon lui j'ai perdu l'arrière de la moto et je suis tombé. L'engin a poursuivi sa glisse et est venu heurter mon dos et la colonne vertébrale. Ce collègue, je ne l'ai jamais revu.

Je suis resté deux mois dans le coma, d'octobre à décembre, avant d'être opéré deux mois plus tard. Ma moelle épinière était touchée, pourtant à l'époque je ne savais pas que j'étais paraplégique. Je ne sentais plus mes jambes mais on ne m'en disait pas plus. Dans ma tête, je n'ai aucun choc psychologique, pas de médecin qui rentre et te dit que tu es condamné au fauteuil. J'ai eu le temps de "digérer", même si tu ne digères jamais vraiment le fait d'être en fauteuil à 23 ans. 

"C'est le sport qui va me sauver et faire que je vais dépasser toutes les barrières du handicap, m'ouvrir socialement."

Jérémy

à franceinfo: sport

Au début de la rééducation, j'ai essayé de retrouver de la mobilité sur les transferts. Je me rappelle que les gens [du centre de rééducation à Berck, dans le Pas-de-Calais] se regroupaient dehors pour fumer. Je voulais les rejoindre pour discuter mais vu que je n'étais pas autonome, je ne pouvais pas. Tous les soirs à 18 heures, on me mettait au lit, je le vivais mal et me sentais isolé. À ce moment-là, j'ai un déclic et je me dis que je vais devoir faire mes transferts seul, prendre de la force pour pouvoir me débrouiller par moi-même, ne pas être une plaie et faire souffrir mes parents. C'est là que le retour du sport intervient. Je fais de la musculation pendant une heure par jour en centre de rééducation, je prends plaisir à transpirer. Le jour de mon accident je pesais 127 kilos. Aujourd'hui, je suis à 85 kilos pour 1,93m. 

Quelques mois plus tard, après avoir fait bâtir ma maison, j'ai continué à faire beaucoup de sport, et j'ai découvert le handbike... En vélo, je ne croise que des gens bienveillants qui me demandent comment je fais pour pédaler avec les bras.

Je me suis rapproché d'associations avec lesquelles je peux échanger sur mon handicap. Je rencontre des jeunes accidentés de la vie et j'essaie de leur donner la même énergie que j'avais à Berck, car j'avais envie de moi aussi, un jour, aller booster les gens en rééducation, leur dire que même en fauteuil, tu peux avoir une très belle vie. Quand je compare ma vie d'aujourd'hui à celle d'avant, elle est 100 fois mieux.

Au niveau de l'emploi, avant mon accident j'étais conducteur de camion. Et même quand j'étais en rééducation, j'avais toujours cette envie de reprendre un camion. On me disait que personne ne l'avait fait dans une situation comme la mienne, en étant paraplégique, et ça m'a un peu miné le moral. J'ai d'abord pensé à me reconstruire, je savais que pour poursuivre mon rêve, il fallait d'abord que je sois assez fort physiquement.

En 2019, je tombe sur un article où une personne en fauteuil devient la première à reprendre un camion. Je le contacte, repasse les permis poids lourds. Mais le plus dur, c'est de convaincre une entreprise de m'embaucher. Cela dure plus d'un an, je continue mes recherches, je me dis même que je vais aller n'importe où en France où l'on veut bien de mon profil. Je rencontre alors ceux qui ont réalisé la plateforme d'accès à la cabine du véhicule pour la personne en fauteuil. J'assiste à la remise du camion d'un autre jeune, et je me dis que mon but dans la vie, c'est de vivre ce moment-là. Je me retrouve à faire plusieurs salons spécialisés et, un jour, il y en a un à une heure de chez moi. C'est là que je rencontre un employeur qui décide d'y croire, c'est allé très vite. On est sur le projet depuis plus d'un an. Avec le financement, la prise en charge, ça a pris du temps. Si tout se passe bien, je remonte dans le camion en octobre.

Antoine • 41 ans, polytraumatisé à la jambe gauche après avoir été percuté par une voiture (Joinville-le-Pont, Val-de-Marne)

Antoine Jesel, le poing levé, après la médaille de bronze obtenue avec l'équipe de France de para aviron en quatre barré mixte lors des Jeux paralympiques de Tokyo, le 29 août 2021. (PICOUT GREGORY / KMSP)

J'avais 11 ou 12 ans quand j'ai commencé à pratiquer l’aviron. Avant, je faisais de la voile et un bateau d'aviron est rentré dans mon petit voilier. Pour la petite histoire, c'était Adrien Hardy, qui est ensuite devenu champion olympique à Athènes en 2004 (en deux de couple). J'ai essayé et ça m'a plu, j'ai obtenu quelques titres de champions de France avec le club d'Avignon. Ce qui me plaisait, c'était ce fort esprit d'équipe, décuplé par la nécessité d'être en synchro dans le bateau. Il faut se connaître, se comprendre, accepter les faiblesses et les points forts de ses coéquipiers.

Tous les souvenirs de mon adolescence, c'est avec le club d'aviron. J'ai été champion de France la même année que j'ai eu mon bac. Aujourd'hui, je suis engagé dans le haut niveau en paralympique mais j'ai un travail à côté de mon entraînement. J'ai un contrat d'insertion professionnelle avec le département du Val-de-Marne, où je suis monteur vidéo au service de communication numérique. Je ne voulais pas être à 100% dans le sport, mais aussi maintenir une vie professionnelle en parallèle.

Mon accident intervient en 2004, à 23 ans. Je me suis fait faucher par une voiture à un carrefour. Le chauffeur, qui était anglais, a inversé les priorités et j'ai été projeté. J'ai eu de gros dégâts sur la jambe gauche et un trauma crânien avec hémorragie. S'en est suivi un peu de coma, je suis resté quasiment six mois dans un lit à l'hôpital avec 23 opérations. J'ai la cheville qui est totalement bloquée avec des greffes de peau par-dessus et le genou qui est limité en flexion. Il me manque la moitié des muscles de la cuisse et quelques tendons. Je marche quand même de manière autonome, sans canne, mais je ne peux pas courir ni sauter. La grande chance que j'ai eue, c'est que l'aviron est un sport assis, non traumatisant, donc il suffit de trouver une solution au niveau de la planche de pieds pour me permettre de pivoter et avoir l'amplitude presque entière.

J'ai mis presque deux ans à remarcher, et quatre ans avant de pouvoir ramer à nouveau. J'étais caméraman, je tournais un documentaire en République tchèque, et d'un coup je me retrouve à l'arrêt. J'ai pris ma rééducation comme un challenge sportif. Je voulais reconstruire quelque chose de positif. Le mec qui m'a fauché ne s'est pas arrêté. Je suis allé au tribunal mais il ne s'est pas déplacé. J'aurais pu poursuivre les démarches judiciaires mais j'ai préféré passer à autre chose. J'avais un seul objectif : remonter dans un bateau. Je ne voyais pas mon avenir autrement, je voulais pouvoir repratiquer mon sport, même juste en loisir.

Un ancien adversaire d'un autre club a entendu parler de mon accident. Il m'a invité sur un stage et je me suis rendu compte que je pouvais être performant de nouveau. L'aviron, c'est un sport de glisse, pas de force. Quand je rame, c'est le seul moment où j'oublie que j'ai un handicap.

"En 2012, je suis sélectionné pour les Jeux paralympiques de Londres. J'ai retrouvé l'adresse de l'Anglais qui m'avait renversé et lui ai envoyé des places pour venir me voir, avec une lettre. C'était une forme de revanche pacifique."

Antoine

à franceinfo: sport

Je crois qu'il me manquait un truc, c'est comprendre pourquoi ce mec avait démarré. Je ne voulais pas être perturbé pendant la compétition, mais j'étais prêt à le rencontrer après les Jeux. J'apprends peu de temps après que mon histoire a tourné sur les réseaux sociaux, car il avait tweeté mon histoire. C'est comme cela que j'ai su qu'il était venu voir les courses. On s'est vus pour s'expliquer. Il a inversé les priorités car il n'avait pas l'habitude de rouler à droite. Il n'est pas venu me voir à l'hôpital car il avait du mal à assumer et pensait qu'il m'avait détruit. Finalement, je me suis dit que c'était un père de famille de 40 ans qui était sympa et avait fait une boulette, ce n'était pas un chauffard comme je me l'étais imaginé. Après, en rentrant chez moi, je n'avais plus d'exutoire. Ça a été un moyen pour moi de refermer cette histoire.

L'autre revers de la médaille, c'est que pour aller plus vite, être plus fort, dépasser mes limites, j'ai encaissé beaucoup de douleurs et j'ai dû prendre pas mal d'anti-inflammatoires. C'était un engrenage un peu destructif parce que le sport c'est bien, mais le sport de haut niveau c'est usant pour le corps. Pour Tokyo, en 2021 je m'étais dit : "Je continue mais autrement, sans tout ce traitement médicamenteux". On a trouvé des solutions pour aménager mon programme et cela a fonctionné pour nous conduire jusqu'à la médaille de bronze [en quatre barré mixte].

Erika Sauzeau, Antoine Jesel, Rémy Taranto, Margot Boulet et Robin Le Barreau posent avec leur médaille de bronze lors des Jeux paralympiques de Tokyo, le 29 août 2021. (G. Picout / CPSF)

J'ai fait une pause de six mois au retour du Japon, il y avait une sorte de saturation avec le Covid, les tests PCR, les sacrifices familiaux... Ce repos m'a fait beaucoup de bien à la jambe. Je reviens progressivement, cette année j'ai un volume "normal" et j'ai moins mal. Je suis remplaçant dans le bateau, on verra si j'arrive à revenir à mon niveau pour être à Paris l'an prochain mais il y a des jeunes qui sont très forts maintenant. Je ne me mets pas de pression, je ne me suis jamais focalisé sur les résultats durant mon parcours sportif, ils ne sont que la conséquence du travail fourni.

Aujourd'hui, j'essaie de mettre en avant mon parcours pour promouvoir le sport et son impact positif sur la santé. Des gens de mon entourage ont mal au genou, se disent : "C'est fini, je ne peux plus courir"... Après consultation avec mon kiné du sport, à 99% ils reviennent en me disant que c'était génial, qu'ils ont fait plein d'exercices, du renforcement musculaire, qu'ils n'ont plus mal et peuvent de nouveau courir. On a des boulots assez sédentaires, mais plein de choses peuvent être réglées juste en pratiquant, en faisant du gainage, sans avoir besoin d'aller à la salle de musculation. Pratiquer du sport régulièrement permet d'éviter que ces douleurs arrivent. Le sport-santé souffre peut-être d'une image selon laquelle c'est pour les personnes âgées, ou pour les gens qui ont des soucis [du diabète, des problèmes cardiaques]. Moi, je trouve qu'au contraire, il y a plein de cas où cela peut réellement apporter quelque chose.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.