: Reportage Paris 2024 : on a passé une journée avec Damien Roget, joueur de l'équipe de France de volley assis et orthoptiste dans le civil
Vendredi 23 février, huit heures du matin. Son masque médical noir tout juste attaché, Damien Roget entame ses premières consultations d'orthoptie dans le cabinet grenoblois qu'il partage avec son associée, Coline. Devant lui se présente le petit Noah, quatre ans et demi, accompagné de son père. Le jeune garçon a pris un coup de crayon de couleur dans l'œil à l'école quelques heures plus tôt. Avec calme, le spécialiste des yeux lui pose quelques questions avant de procéder à un bilan de contrôle pour faire tomber une suspicion de baisse d'acuité à l'œil droit. "Tu vas mettre ce bandeau comme les pirates et on va faire un petit jeu ensemble", explique-t-il avec facétie, avant que des images ne défilent soudainement sur la porte : un oiseau, un soleil, une maison...
Concentré, Noah enchaîne les bonnes réponses. Le doute se lève rapidement : "C'est rassurant, il y a un bel équilibre entre les deux yeux. Il faudra faire une visite de contrôle lors de ses 6 ans, avant l'entrée en CP, mais tout va bien", conclut Damien Roget devant un papa bien soulagé.
Quelques minutes plus tard, Robin fait son entrée dans la salle. Avant de réaliser sa séance de rééducation, le trentenaire passe devant un mur de dessins réalisés par de plus jeunes patients, fièrement affichés par le praticien. Avant de partir, interrogé sur le double projet que mène Damien en parallèle de son activité, Robin explique "être au courant qu'il va participer aux Jeux paralympiques." "Je crois que ce n'est pas le seul patient à être dans la confidence !", plaisante l'orthoptiste.
A l'accueil, les secrétaires Malika et Lila expliquent leur "impatience" de voir celui qu'elles côtoient depuis plusieurs années sous le feu des projecteurs à Paris cet été. "Il est super sociable, dynamique, et c'est vrai qu'on le voit un peu moins maintenant qu'il est à mi-temps. Parfois, le lundi matin, il est un peu fatigué après ses week-ends de compétition ou de stage. Mais ça ne l'empêche pas de tenir ses rendez-vous et, en plus, il assure des préconsultations en ophtalmologie pour faire face à la pénurie de praticiens", détaillent-elles.
Il est 13 heures lorsque l'appel du ventre retentit. Damien Roget récupère ses affaires et ferme le cabinet. Durant les quelques minutes de marche qui le séparent de son domicile, le natif d'Echirolles (Isère) prend le temps d'évoquer son handicap, le syndrome de Guillain-Barré. Cette maladie auto-immune du système nerveux se manifeste par une faiblesse musculaire des membres.
"Quand j'ai été touché au début de mon adolescence, j'avais une vie un peu en parallèle : je ne sortais pas trop avec mes potes, dès qu'il y avait EPS, j'allais en rééducation... J'étais un peu paumé. On m'avait dit que j'allais récupérer de ma pathologie, mais je me suis retrouvé avec des séquelles aux jambes qu'on m'a annoncées de manière très brutale. C'était vraiment dur à vivre, assez violent", raconte-t-il.
Des sacrifices personnels et financiers pour le rêve des Jeux
A peine la porte d'entrée de son domicile franchie, le regard se fige sur la salle de musculation aménagée. En face des machines, de l'autre côté de la baie vitrée, une vue imprenable sur la Bastille, le fort militaire qui surplombe la capitale des Alpes, se dessine. En cuisine, le menu du midi est efficace : salade-poulet-pâtes. Camille, la compagne de Damien, arrive juste après le repas. Celle qui partage sa vie depuis sept ans et demi revient sur cette aventure paralympique débutée en 2019, mais devenue nettement plus concrète depuis quelques mois.
"Quand je l'ai rencontré, il n'y avait pas cette dimension handisport. Aujourd'hui je participe aussi à cette aventure. Je le suis avec son club et un peu en équipe de France. Je suis à fond dedans ! Mais si c'était un projet sur dix ans, j'aurais peut-être dit non. C'est beaucoup de sacrifices. Il était souvent absent l'année dernière et il y a également l'aspect financier. On a le rêve d'acheter une petite maison. S'il travaillait à plein temps, ce serait plus facile pour emprunter. Il est en libéral, donc il n'a pas d'emploi du temps aménagé comme d'autres sportifs qui sont salariés ou en convention d'insertion professionnelle [CIP]. Il y a certaines subventions, mais comme il y a beaucoup d'athlètes de haut niveau en Auvergne Rhône-Alpes, c'est un peu compliqué."
Pour l'accompagner encore davantage, elle a monté un dossier afin de démarcher des partenaires intéressés par le projet de Damien. Plusieurs entreprises ont répondu à l'appel pour le soutenir en vue de Paris 2024.
"J'ai un peu plus de dix heures de volley par semaine, auxquelles s'ajoutent trois séances de préparation physique et une séance avec une préparatrice mentale, pour être parfaitement en accord avec mes objectifs."
Damien Roget, joueur de l'équipe de France de volley assisà franceinfo: sport
Bientôt 15 heures. Le gaillard de plus de 1,90 m enfile sa tenue de sport pour sa dernière séance de préparation physique de la semaine, à la maison. Le programme d'entraînement, fixé avec un coach, est rôdé et rien n'est laissé au hasard. En témoignent les fiches qu'il complète, sur lesquelles figurent un barème d'évaluation de son état de forme, de son niveau de fatigue, de la qualité de son sommeil...
Des morceaux de rap rythment ses enchaînements entre squats et soulevés de terre. A côté de ses chaussures de ville, Damien a laissé ses attelles en carbone, qu'il porte au quotidien, sauf lorsqu'il joue au volley. Sur celles-ci, on peut deviner un finger hole (un signe en forme de rond avec les doigts) et son surnom, "Dam's", dont le logo a été dessiné par une amie. "Elles me permettent de maintenir l'équilibre, l'endurance de marche et la vitesse. J'ai moins de mobilité au niveau de la cheville gauche que de la cheville droite, ce qui fait que je ne peux pas sauter, ni courir. Mais j'ai tendance à dire que je peux tout adapter."
Une heure d'effort et une douche plus tard, Damien Roget prend le temps d'aller faire une courte promenade avec sa chienne, Pyper, avant de prendre le chemin de l'entraînement. Il se souvient de ce jour de juin 2019 où il a découvert sa discipline, lors du programme de détection des athlètes en situation de handicap intitulé La Relève, organisé par le Comité paralympique et sportif français (CPSF).
Un pur produit du programme de détection paralympique
Ce jour-là, après une batterie de tests physiques, plusieurs fédérations avaient apprécié son profil, de l'aviron au badminton, en passant par le tennis de table et... le volley assis. "Ça m'a tout de suite plu, explique-t-il. On m'a invité à faire un stage à Poitiers et j'étais convaincu. Il y avait une bonne ambiance, des nouveaux handicaps et je sentais que je pouvais me faire ma place. Je peux le dire, cette participation à La Relève a changé ma vie, et pas que la mienne. Sur le groupe de 14 joueurs en équipe de France, on est cinq à venir du programme."
La voiture tout juste récupérée, il est temps de filer à la gare de Grenoble pour récupérer un autre joueur des Bleus, le central Jean-Christophe Rambeau. Si ce dernier vit à Montpellier, il a signé cette saison au Pays voironnais volley (PVV), le club de Damien, à une vingtaine de kilomètres de Grenoble. Il fait donc régulièrement les déplacements pour disputer les matchs avec l'équipe championne de France en titre. Idem pour le capitaine et passeur de l'équipe de France, Benjamin Lacroix-Desmazes, ramassé à la gare de Voiron (Isère) et qui, lui, habite Caen, à plus de 700 km !
A l'intérieur du véhicule, entre deux vannes sur le conducteur – "Dam's, c'est un peu un rageur sur le terrain, il peut vite monter dans les tours !" – les trois hommes débriefent leur dernier stage à Vichy, se remémorent leur 10e place lors de la Coupe du monde au Caire (Egypte) en novembre. Surtout, ils mettent au point leurs prochaines folies capillaires pour cet été à Paris. "En Egypte, j'avais fait mi-bleu, mi-blanc et, quelques mois avant, c'était le mulet", plaisante l'orthoptiste.
Le frisson de l'Euroleague avant les Jeux
Le véhicule arrive devant le gymnase de la Grande Sûre, à Saint-Jean-de-Moirans (Isère). Rapidement, tout le monde enfile son maillot et débute son activation musculaire. En plus de cette séance d'entraînement d'une heure et demie, une autre les attend le lendemain avant de disputer, le surlendemain, deux matchs de championnat. L'entraîneur de l'équipe, Yann Schmitt, met tout le monde en place. Les filles aussi se joignent au groupe, puisque le volley assis est ouvert à toutes et tous, en situation de handicap ou non.
"Service ! Parlez-vous ! On tourne !" L'ancien joueur de volley debout, arrivé en octobre, ne ménage pas ses troupes à quelques jours de l'organisation par le PVV, pour la première fois de son histoire, de l'Euroleague de volley assis (les 9 et 10 mars), avec la présence de clubs polonais et italien. Un événement majeur qui doit amener à faire connaître la discipline avant les Jeux paralympiques.
La séance touche à sa fin, le moment de quitter la fine équipe. "On se revoit très vite à Paris !", glisse Damien dans un sourire. Malgré de nombreuses relances, impossible de savoir, pour le moment, quelle coupe de cheveux excentrique il arborera lors de la cérémonie d'ouverture, le 28 août place de la Concorde.
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