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La BD au ciné, des bulles ou des bouses

Le film "Le Marsupilami" d'Alain Chabat sort dans une semaine. C'est le moment de se (marsupi)lamenter sur les précédentes adaptations des chefs-d'œuvre de notre enfance. Ou pas. 

Article rédigé par Nora Bouazzouni, Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Extrait du film "Sur la piste du Marsupilami" d'Alain Chabat (2012). (PATHE DISTRIBUTION)

BD et cinéma ont conclu un mariage de raison dans les années 2000. Les stars du neuvième art ont atteint une maturité économique qui fait rêver les producteurs de ciné, du genre frileux et prompts à se jeter dans les bras d’une valeur sûre. Dernier exemple en date, l’adaptation du Marsupilami par Alain Chabat. Une gageure pour le héros de Didier : être fidèle au personnage créé par Franquin, sans pouvoir réutiliser le cadre habituel des aventures du Marsupilami, les aventures de Spirou et Fantasio. L’ex-Nul a apposé sa patte sur une histoire plus fidèle dans l’esprit que dans le texte à Franquin. Ça avait bien marché dans Astérix et Obélix : mission Cléopâtre !

Comme disait Patrice Leconte, réalisateur des Bronzés mais dessinateur de BD dans sa jeunesse, sur ActuaBD, "transposer une BD peut être un piège". Et ils sont nombreux à être tombés dedans.


"Astérix et Obélix contre César" (1999) - Après plusieurs tentatives d’adaptation avortées (notamment un projet de Louis de Funès), c’est le célèbre Claude Zidi (Les Ripoux, L'Aile ou la cuisse) qui porte pour la première fois à l’écran les aventures du petit Gaulois avec des acteurs en chair et en os.


Mission… semi-réussie Une adaptation très fidèle, avec "un scénario original qui devait sauvegarder personnages et caractères principaux", de la bouche même du réalisateur, qui voulait néanmoins "innover sur le plan du récit dramatique". Albert Uderzo, l’un des créateurs d’Astérix et Obélix, a été "épaté" mais le résultat final, se voulant trop proche de la bande dessinée, est plat. Cela dit, le film a fait 24 millions d’entrées dans le monde, dont 9 millions en France. Ce qui lui a permis de prendre la première place du box-office cette année-là.

• "Astérix et Obélix : mission Cléopâtre" (2002) - Alain Chabat adapte le scénario d’un album existant et fait jouer ses meilleurs potes dans un film très, très drôle. Le tout avec un budget colossal : 50 millions d’euros.

Mission… réussie En France, les aventures de Canal+ en Egypte attirent plus de 14,5 millions de spectateurs. De nombreux pays achètent le film (dont les Etats-Unis et le Canada), mais avec Jamel Debbouze, Chantal Lauby, Edouard Baer ou encore Les Robins des Bois au casting, l’humour bien trop franchouillard le rend inexportable. Il peine à intéresser nos amis allemands ou espagnols.

"Astérix aux Jeux olympiques" (2008) - Uderzo, qui pensait confier la troisième adaptation (Astérix en Hispanie) à Gérard Jugnot, s’inquiète, après Astérix chez les Nuls, d’un possible Astérix au Splendid et annule tout. Thomas Langmann et Frédéric Forestier prennent le relais et se paient un blockbuster.

Mission… ni vraiment ratée, ni vraiment réussie  En voulant faire un film plus "mondialisé" tant au niveau du casting que des scènes d’action pour draguer les pays étrangers, on y perd un peu la saveur de notre BD. Alors certes, l’un des plus gros budgets de l’histoire du cinéma français (78 millions d’euros) permet de se payer Alain Delon, mais son César est largement en dessous de son talent. Benoît Poelvoorde et son cabotinage phagocytent le film, et l’histoire d’amour entre Stéphane Rousseau (totalement transparent) et une Gauloise est on ne peut plus mièvre.

Un résultat tiédasse, voire franchement glacé, sachant que le film a reçu le Gérard du plus mauvais film de l’histoire du cinéma en 2007… assorti du prix du meilleur producteur d’une adaptation littéraire la même année au Forum International Cinéma & Littérature. Il faut cependant mentionner l’incroyable course de chars, avec le pilote de F1 Michael Schumacher en guest (qui a attiré nos voisins allemands en salles), clou du spectacle qui a nécessité sept semaines de tournage et la construction d’une piste de 265 mètres. On aurait préféré en prendre moins dans les mirettes avec un scénario mieux ficelé. D’ailleurs, Thomas Langmann, qui espérait 10 millions d’entrées - "sinon on rentre pas dans nos frais" - a perdu son pari. Le film n’a pas dépassé les 6,76 millions de spectateurs. En même temps, c’est un peu la faute à papa : Bienvenue chez les Ch’tis, produit par Claude Berri, est sorti… quinze jours plus tard.

Sachez d’ailleurs que Langmann a acquis les droits de Blacksad. Pleure, fan de cette série.

 "Iznogoud" (2005) - Patrick Braoudé, fort du succès de ses quelques films, prend la confiance et signe une adaptation qui avait tout pour se vautrer.

Mission… ratée, mais les chiffres disent l’inverse Quand on sait que l’adaptation originale prévoyait, du vivant de René Goscinny, Louis de Funès dans le rôle titre, on mesure l’étendue des dégâts face à cet ersatz de comédie musicale mettant en scène un Michaël Youn pas encore dégrossi du "Morning Live". Le film, l'un des derniers de Jacques Villeret, a pourtant fait 2,47 millions d’entrées et remporté le prix du meilleur producteur d'une adaptation littéraire, mais aussi quatre Gérards et trois Bidets d’Or.

Petite consolation, Iznogoud n’a pas non plus marché en jeu vidéo. Comme quoi, certains personnages sont faits pour ne rester qu’à l’état de bande dessinée.

• "Lucky Luke" (2009) - Le réalisateur de Brice de Nice, James Huth, retrouve Jean Dujardin pour porter à l’écran les aventures de celui qui tirait plus vite que son ombre. Ça passe ou ça caaaasssse.

Mission… délicate Quand on sait que dans les années 1960, on a songé à faire jouer Joe Dalton par un nain et que dans les années 1970, Jean Girault, le réalisateur des Gendarmes de Saint-Tropez, a adapté l'album Le Juge avec Pierre Perret et Robert Hossein, on comprend pourquoi Morris jugeait l’adaptation de son personnage "bien difficile". Compte tenu des obstacles inhérents au personnage, Jean Dujardin fait quand même un "pauvre cow-boy solitaire loin de son foyer" très acceptable, même si le côté OSS 117 au Far West peut déplaire à certains. Les décors sont assez fidèles aux albums, le film n’est pas une bête transposition, l’univers est respecté, mais ce n’est pas non plus les Journées du patrimoine. Les Français, eux, ne sont pas plus enthousiastes que ça (1,85 million d’entrées).

"Largo Winch" (2008 et 2011) - C’est l’archétype de la BD adulte des années 1980, avec XIII. Ce thriller symptomatique des "années fric" (33% gros sous, 33% gros bras, 33% de beaux culs) continue de faire un carton en librairie. Jérôme Salle, nommé aux César 2006 pour son premier film, Anthony Zimmer (d’ailleurs adapté à Hollywood en 2011, sous le titre The Tourist), s’attaque donc au mythe, avec Tomer Sisley dans le rôle du milliardaire.

Mission… réussie, pour le premier volet Propulser un presqu’inconnu dans un rôle pareil constituait un pari osé, mais gagné pour le premier épisode, qui condense les quatre meilleurs albums de la série. L’objectif (faire des scènes d’action dignes d’un film américain) est atteint et 1,7 million de spectateurs se précipitent dans les salles de ciné.
Sauf que dans le second volet (1,3 million d’entrées quand même), certes, on a toujours les scènes d’action, certes Sharon Stone remplace Kristin Scott Thomas en tant que guest star internationale, mais on a carrément oublié le scénario. Adaptation ratée d’un diptyque peu convaincant (La Forteresse de Makiling/L'Heure du tigre), Largo Winch II convainc Jean Van Hamme, le scénariste de la BD, d’écrire l’histoire des prochains films. Parce que Largo Winch n’est pas un Indiana Jones en Asie du Sud-Est.

"Adèle Blanc-Sec" (2010) - Luc Besson s’attaque à une œuvre méconnue du célèbre Tardi, avec une héroïne antipathique, un univers steampunk et des histoires complexes. Une BD déroutante, donc une adaptation a priori compliquée.


Mission… réussie Difficile de faire un bon film d’une bonne BD (Blueberry est un bon exemple). Malgré une actrice principale dont c’était le premier grand rôle (Louise Bourgoin) et une œuvre déroutante et pas super accessible, Besson signe une très belle adaptation, fidèle à l’esthétique sombre des albums de Tardi. On aurait peut-être préféré Audrey Tautou pour camper une sorte d’Amélie Poulain début du XXe siècle dark, mais Bourgoin fait bien le travail. A noter que le film, qui a fait 1,5 million d’entrées en France, a cartonné à l’étranger, notamment en Chine. D'autres cinéastes ont adapté avec bonheur des œuvres saluées par la critique, comme Quartier lointain (Sam Garbarski) ou Les Petits Ruisseaux (Pascal Rabaté), sans rencontrer leur public. 



Trois BD figurent dans le top 10 des pires films de l'histoire, d’après le site participatif Sens Critique. Et ça n’est pas fini. Sont en chantier l’adaptation de Boule et Bill avec Franck Dubosc et Marina Foïs dans le rôle des parents de Boule, l’arlésienne Blake et Mortimer avec Kenneth Branagh au générique.

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