La vidéo, rampe de lancement de l'e-sport
Les compétitions de jeu vidéo ont connu un nouveau souffle avec le développement de YouTube et du streaming.
SPORTS - "On a +2 en attaque pour les stalkers de Creator. (…) On va avoir de la spine qui va être posée, mais on a plus de fungal, on a plus de fungal ! Ooooh, GG !!". Vous n'avez rien compris ? C'est normal. Cette séquence est extraite d'un commentaire d'une partie de Starcraft II, le jeu de stratégie star de la scène du sport électronique. Pour vous faire une idée de l'ambiance, regardez la vidéo suivante :
Derrière les micros, il y a Alexandre et Hadrien Noci. Ces deux frères de 26 et 27 ans, plus connus sous les pseudonymes "Pomf" et "Thud", font partie de la poignée de Français à vivre de l'e-sport. Leurs vidéos de parties commentées à la manière d'un match de foot ont été vues plus de 45 millions de fois sur le web. Une activité qui leur a permis d'attirer, le 5 mai dernier, plus de 2 500 personnes dans la salle parisienne du Grand Rex pour une compétition organisée par leurs soins.
Les deux frères l'avouent sans peine : sans YouTube, ils ne pourraient pas aujourd'hui vivre de leur passion. La démocratisation de ces sites d'hébergement de vidéos, ainsi que des technologies de streaming, ont permis aux compétitions de jeu vidéo de franchir un nouveau palier et d'attirer une audience mondiale. Avec Pomf et Thud, FTVi s'est penché sur le rôle de la vidéo dans le développement de l'e-sport.
Joue-la comme au foot
Pour le duo, tout commence en juin 2010, lorsqu'ils ouvrent une chaîne sur YouTube baptisée P&T Starcraft 2 FR. "A l’époque, le jeu se lançait, et puisque nous avions adoré le premier épisode, on a décidé de commenter des matchs et mettre les vidéos en ligne pour le plaisir", raconte Hadrien, dit Thud. "J’étais fan des commentateurs coréens du premier Starcraft, qui ressemblent un peu à ce qui se fait au Brésil pour le foot", poursuit Alexandre, alias Pomf. Les deux frères décident donc d'associer le jargon du jeu à un style énergique.
Le succès est au rendez-vous, et six mois après avoir diffusé leurs premières vidéos, ils concluent un premier partenariat avec une marque de matériel informatique, et commencent à organiser leurs premiers événements autour de Starcraft II. Leur activité prend de l'ampleur, au point de devoir créer une société, Alt Tab Productions, en septembre 2011. Celle-ci emploie désormais huit personnes, qui outre le développement de l'entreprise partagent leur temps entre l'organisation d'événements, la diffusion d'émissions sur une web TV et l'enregistrement de parties commentées.
YouTube, le messie qu'attendaient les fans d'e-sport
YouTube a joué un rôle essentiel dans l'expansion de l'activité du tandem. "Pour moi, c'est ce qui a permis à l'e-sport d'éclore en France", explique Thud. "Il faut savoir que dans ce milieu, les rentrées d'argent ne sont basées que sur la diffusion des matchs : plus il y a de spectateurs, plus les sponsors sont enclins à investir. Or, vu que les médias traditionnels français ne veulent pas entendre parler de sport électronique, il a fallu attendre l'arrivée de YouTube pour satisfaire une audience qui réclamait ce type de contenu."
Autre avantage de la plateforme : le nombre de vues est affiché sous les vidéos. "Les marques peuvent ainsi facilement mesurer le succès d'une chaîne, et rechignent moins à donner de l'argent", poursuit Thud. "En cela, YouTube a créé un cercle vertueux : les récompenses des compétitions ont augmenté, et les commentateurs ont pu commencer à être rémunérés", se félicite le jeune homme. Le site reverse par ailleurs une partie de ses revenus publicitaires aux contributeurs les plus populaires.
Jouer dans son salon… devant 3 000 spectateurs
Mais les relations entre vidéo et sport électronique ne se limitent pas à YouTube, qui ne propose essentiellement que du contenu en différé. La technologie actuelle permet de retransmettre facilement les parties qui se déroulent en direct. Grâce à ce système, appelé streaming, les passionnés peuvent assister en temps réel aux matchs des pros, qui jouent le plus souvent depuis leur domicile.
Passer plusieurs heures derrière un écran à regarder quelqu'un jouer, sans soi-même prendre les commandes, l'idée peut sembler saugrenue. Pourtant, des millions d'internautes se pressent chaque mois sur des sites spécialisés pour contempler les prouesses des professionnels, espérant ainsi s'améliorer.
Le plus connu s'appelle Twitch. Fondé en septembre 2011 par les équipes de JustinTV (un site de streaming généraliste), il attire moins d'un an après sa création 15 millions de visiteurs mensuels, note MTV Multiplayer (article en anglais), soit le nombre de téléspectateurs devant la dernière finale de la NBA en juin dernier, relève MediaDaily News (article en anglais). A n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, l'internaute qui s'y connecte peut regarder des joueurs streamer des parties de l'un des 200 titres proposés.
La facilité d'utilisation du service ainsi que sa popularité grandissante ont là encore permis à certains de se professionnaliser. "Comme YouTube, Twitch est basé sur la publicité, mais son système de rémunération est plus avantageux pour les joueurs", explique Grégory Hauguel, responsable de la web TV chez Alt Tab Productions, l'entreprise de Pomf et Thud. "Les meilleurs, qui ont des centaines de spectateurs dès qu'ils allument leur stream, ont donc pu en faire une véritable source de revenus."
Le succès en ligne, et après ?
Les bons chiffres de l'audience web de l'e-sport pourraient-ils lui ouvrir un avenir à la télévision ? Grégory Hauguel n'y croit pas : "La télé ne veut pas de jeux vidéo à l’antenne, parce qu'il s'agit d'un produit segmentant, qui ne rassemble pas les audiences mais satisfait une niche. Rien que pour ça, internet est bien plus adapté."
Un avis partagé par Thud : "A mon avis, ceux qui considèrent la diffusion télévisée comme un but à atteindre pour l'e-sport se trompent d'objectif", estime-t-il. "L'audience du sport électronique n'augmentera pas du jour au lendemain, il faut plutôt analyser la pyramide des âges. Aujourd'hui, ceux qui suivent le plus nos matchs commentés ont entre 24 et 35 ans. Cette audience va grandir avec cette passion, certains vont accéder à des postes à responsabilité, auront des enfants…Tout cela va aider à faire évoluer les mentalités et rendre l'e-sport incontournable", prévoit-il.
Difficile de le contredire : selon une étude relayée en octobre 2011 par TechCrunch (article en anglais), 91% des jeunes Américains âgés de 2 à 17 ans pratiquent les jeux vidéo. Pour cette génération, regarder une compétition vidéoludique pourrait bien devenir tout aussi naturel que se mettre devant un match de foot.
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