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"Le mandat de François Hollande a été rattrapé par la politique étrangère"

Lancement de l'opération Barkhane au Sahel, tensions au Proche-Orient... La politique étrangère de François Hollande s'accélère. Interrogé par Francetv info, Joseph Maïla, qui a travaillé au ministère des Affaires étrangères, établit un bilan.

Article rédigé par Jéromine Santo-Gammaire
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
François Hollande marche aux côtés du président tchadien Idriss Deby à N'Djamena le 19 juillet 2014, lors de la dernière étape du voyage présidentiel en Afrique de l'Ouest. (ALAIN JOCARD / POOL / AFP)

On le savait plus intéressé par la politique intérieure. Dans ses engagements de campagne, François Hollande s'était montré peu ambitieux concernant la politique étrangère. Ses promesses : le retrait des troupes françaises en Afghanistan, une reconnaissance de l'Etat palestinien ou encore une réforme de l'ONU. Pas un mot sur la Russie ou sur le nucléaire iranien, entre autres. 

Finalement, il semble se montrer plus actif que prévu. Existe-t-il une "ligne Hollande" en matière de politique étrangère ? Francetv info a posé la question à Joseph Maïla, directeur entre 2010 et 2013 du centre d'analyse, de prévision et de stratégie au sein du ministère des Affaires étrangères. Selon lui, François Hollande mène globalement une politique étrangère "dans la continuité de ses prédécesseurs".

Francetv info : Depuis le début de la crise entre Israël et le Hamas le 6 juillet, la communication de l'Elysée a été floue. François Hollande a d'abord exprimé à Benyamin Nétanyahou "la solidarité de la France" avant de réajuster son discours à de nombreuses reprises. Comment expliquer ces cafouillages qui brouillent son message ?

Joseph Maïla : On peut s'étonner de ces ajustements mais il faut distinguer deux choses. Sur le fond, la position française n'a pas changé avec l'arrivée de François Hollande. Pour trouver une solution au problème israélo-arabe, la création d'un Etat palestinien est une nécessité tout comme le maintien de la sécurité d'Israël dans ses frontières. Pour la France, il s'agit là des conditions à un équilibre général au Proche-Orient, qui tiennent compte des intérêts de chacune des parties.

Sur la forme maintenant, je pense que l'emballement du conflit a provoqué une sorte d'hésitation dans le positionnement de la France. Il y a eu l'enlèvement et la mort de trois jeunes Israéliens suivie de ceux d'un Palestinien de 16 ans et des premières roquettes envoyées depuis Gaza. François Hollande s'est exprimé à chaud, en réaction aux événements et a réalisé des ajustements en cours de route.

Cela a donné l'impression d'une juxtaposition de prises de parole qui semblaient toutes rééquilibrer les précédentes en faveur de l'un ou l'autre des protagonistes. La diplomatie Française aurait dû établir dès le départ sa position sur ce conflit de manière globale et équilibrée.

Sur le sujet, la position de François Hollande diffère-t-elle de celle de ses prédécesseurs ?

La France a longtemps adopté une posture d'équilibre entre les protagonistes qu'on a appelée "politique de rapprochement" initiée par le général de Gaulle. Celle-ci a été prolongée par Georges Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand. Jacques Chirac s'est inscrit dans la continuité. Sur le fond, la position n'a pas bougé même si ce dernier affichait clairement une certaine sympathie avec le peuple palestinien.

Avec Nicolas Sarkozy, ça a changé. Il y a eu un rapprochement certain avec les Etats-Unis, historiquement plutôt pro-Israël. Cela a amené la France à se mouler de plus en plus sur le tempo américain pour rythmer son action diplomatique. Avec l'arrivée de François Hollande, on voit qu'il s'est créé un courant de sympathie avec le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou.

Quelle est la politique diplomatique française menée au Proche-Orient par François Hollande ?

François Hollande et Benyamin Nétanyahou ne sont pas du tout du même bord politique mais l'idée n'est pas de s'aligner sur des positions partisanes, plutôt d'envoyer des messages. Aujourd'hui, pour François Hollande, ce message est très clair. Vis-à-vis de l'étranger, il s'agit de montrer que la sécurité d'Israël importe beaucoup. A l'intérieur, il consiste à s'adresser à la communauté juive qui a été heurtée récemment par des crimes antisémites (comme le meurtre d'Ilan Halimi ou l'affaire Mohamed Merah).

Si la France veut véritablement peser dans ces négociations, comme c'est le cas des Etats-Unis (ou du moins ça l'était), elle doit rétablir un équilibre entre son soutien pour Israël et pour la Palestine. La France est toujours leader européen pour une position extrêmement ferme de cessation des combats sur le plan immédiat. En attendant, les efforts menés par la France pour établir un cessez-le-feu ont échoué, tout comme ceux de John Kerry, le secrétaire d'Etat américain. Globalement, c'est la diplomatie occidentale dans son ensemble qui piétine.

Le candidat Hollande avait très peu parlé de politique étrangère, n'avait fait aucune grande promesse. Est-ce qu'aujourd'hui il a changé de ton dans ses discours ?

Les élections ne se gagnent pas sur la politique étrangère. Le mandat du président Hollande a été rattrapé par la politique étrangère. Il a même souvent agi par accélérations brutales : en Centrafrique, au Mali ou encore sur la question du nucléaire iranien où la France est allée très loin pour faire avancer les négociations, emmenant derrière elle les Etats-Unis, la Grande Bretagne et l'Allemagne. Sur ces deux derniers dossiers, la France a été déterminante.

Au Mali et en Centrafrique, les situations sont très différentes mais il fallait intervenir. Au Mali, il s'agissait de contrer l'avancée jihadiste, de sécuriser les frontières, protéger les intérêts français et nos ressortissants. Pour la Centrafrique, les intérêts français n'étaient pas évidents. La France craignait qu'on lui reproche d'avoir laissé perpétuer un massacre. C'est la mémoire du Rwanda qui a refait surface, je pense.

Ces actions françaises ont montré un président Hollande extrêmement déterminé et interventionniste.

Au moment de la campagne, François Hollande avait affiché sa volonté de rompre avec la Françafrique. Où en est-il aujourd'hui ?

Le discours de Hollande a certainement été rattrapé par les réalités stratégiques. La France est présente dans plusieurs pays africains à travers ses entreprises (Areva au Tchad par exemple) mais aussi ses forces militaires. Bien sûr, il est possible d'assainir nos relations dans la transparence, mais la réalité politique fait qu'on ne peut pas renoncer comme ça à nos intérêts avec ces Etats.

Le président français a vu arriver sur place la concurrence de pays amis comme l'Italie ou l'Espagne. Je pense qu'il a pris la mesure de l'importance d'être présent, de jouer un rôle actif, de soutenir les Etats en place dans leur construction démocratique et aussi d'en faire bénéficier nos entreprises sur un plan économique.

Pour sortir de la Françafrique et faire comprendre aux autres que l'on n'a pas agi uniquement par intérêt égoïste au Mali ou en Centrafrique, la France aurait dû s'associer avec l'Europe. Les Européens avaient tout intérêt à cette stabilisation entreprise par la France dans ces pays.

François Hollande a rapidement réagi en Afrique mais on l'a moins entendu sur la crise en Ukraine. Comment expliquer cette différence ?

Sur le dossier ukrainien, la France agit au sein de l'Union européenne et chaque pays a ses propres intérêts avec la Russie. Alors qu'il y avait eu un bon départ, les freins à une implication ont été multiples : l'Allemagne et ses 6 000 entreprises sur le territoire russe, le Royaume-Uni et ses riches oligarques russes, la France et la livraison de ses deux Mistrals... 

Evidemment sur cette question on a envie de comparer l'action de François Hollande à celle de Nicolas Sarkozy en 2008, lors de la crise géorgienne. Mais le contexte était différent. La France présidait l'Union européenne et Nicolas Sarkozy agissait en ce pouvoir. Les relations entre les deux chefs d'Etat n'étaient pas les mêmes qu'aujourd'hui. A ce moment-là, Poutine était encore fréquentable. Aujourd'hui on se pose la question.

L'Europe et le sauvetage de l'euro étaient une des priorités du candidat Hollande et pourtant avec son arrivée, est-ce que finalement la France n'a pas perdu son leadership en Europe ?

La perte d'influence se mesure notamment avec la distribution des postes importants. En ce moment, la France a du mal à imposer ses nationaux au sein de la Commission européenne.

Pour l'expliquer, il faut se rappeler que l'arrivée de François Hollande a coïncidé avec une aggravation de la crise économique en Europe. Or, au sein de l'Union européenne, la position de chaque Etat dépend de son état de santé interne. La France souffre aussi d'une image écornée par les résultats des élections européennes. 

La plus grosse erreur de François Hollande en matière de politique étrangère est d'avoir annoncé, après l'élection de Matteo Renzi, le Premier ministre italien, sa volonté de constituer un bloc de pays pour faire infléchir la politique allemande d'austérité et y substituer une politique de relance. Penser à se séparer de l'Allemagne sur ces questions a instauré un coup de froid entre nos deux pays. Il ne faut pas oublier que les challengers sont là : la Pologne, l'Italie, etc... sont prêts à prendre plus de responsabilités.

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