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Le Qatar et la France, les raisons d'une romance

Pétrole, BTP, défense, médias, sport... L'émirat montre un intérêt débordant pour l'Hexagone. Dernière preuve en date : l'entrée à hauteur de 2% dans le capital de Total, annoncé par "Les Echos", mercredi.

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Nicolas Sarkozy accueille l'émir du Qatar, Hamad Ben Khalifa Al-Thani, le 1er septembre 2011 à l'Elysée, à Paris. (MIGUEL MEDINA / AFP)

Le Qatar est un tout petit pays coincé entre deux gros : l'Arabie saoudite et l'Iran. Sa superficie est comparable à celle de la Corse, et le pays compte 1,5 million d'habitants. Plus des trois quarts n'en sont pas originaires. Cette monarchie absolue couve le troisième gisement de gaz naturel au monde. Mais il y fait très chaud en été. Alors ses riches habitants (les plus riches au monde) se plaisent à se rendre à Paris quand le climat devient trop insupportable.

Les Qataris aiment aussi les entreprises françaises. Mercredi 14 mars, Les Echos titrent en une : "L'influent émirat du Qatar s'invite au capital de Total". Une entreprise qui représente tout de même la plus grosse capitalisation de la bourse française (100 milliards d'euros). Il faut dire que, selon le magazine Challenges, le Qatar serait le plus gros investisseur au monde. FTVi a listé quelques-unes de ses acquisitions les plus spectaculaires en France, et sur la stratégie qui les accompagne.

Les principaux investissements du Qatar en France

• 2% chez Total. Selon le quotidien économique Les Echos, le Qatar détient une participation de plus de 2 milliards d'euros chez Total. Elle n'a donné lieu à aucune annonce officielle. L'émirat a acheté discrètement, depuis l'été, des parts du géant pétrolier français, via des fonds souverains. Une participation qui n'est pas soumise à une obligation de déclaration car elle est inférieure à 5%, mais vaut au Qatar de figurer parmi les principaux actionnaires de Total derrière les salariés et le milliardaire belge Albert Frère.

"Je crois que nos entreprises ont besoin aujourd'hui d'investir, a commenté la ministre du Budget et porte-parole du gouvernement Valérie Pécresse, sur i-Télé.Elles ont besoin de capitaux frais. Aujourd'hui, c'est 2% du capital de Total, il ne s'agit pas de prendre un pouvoir de décision sur une très grande entreprise française."

Valérie Pécresse ne s'inquiète pas des investissements du Qatar en France (FTVi)

• 100% du PSG et investissements multiples dans le sport. Le Qatar n'a pas investi du jour au lendemain en France, mais c'est surtout le sport qui a fait jaser. Après avoir remporté l'organisation de la Coupe du Monde de football 2022 dans des conditions controversées, le Qatar Sport Investment s'est payé 70% du Paris Saint-Germain en juin 2011, avant de devenir le seul maître à bord.

Surtout, la chaîne qatarie Al-Jazeera a lancé une offensive sur les droits de retransmission du foot pour alimenter sa nouvelle chaîne, Al-Jazeera Sport, qui doit débouler en août au plus tard. Elle a raflé des droits de diffusion de la Ligue des champions (61 millions) et, en France, de la Ligue 1 (90 millions). Ce qui a fait grincer des dents, surtout à Canal +, qui voit les Qataris sérieusement piétiner ses platebandes.

• Industrie : 5,6% du constructeur Vinci et 5% de Veolia Environnement. Le 15 avril 2010, le groupe de construction Vinci a annoncé que le fonds Qatari Diar était devenu son deuxième actionnaire, derrière les salariés. Pour y parvenir, Qatari Diar a apporté Cegelec au groupe français. Une bonne affaire pour les Qataris. Ils avaient acheté Cegelec au nez et à la barbe de Vinci deux ans plus tôt, en 2008, et le revendent plus cher. Qu'importe, avec cette acquisition Vinci grimpe en haut du podium européen de l'ingéniérie électrique.

Le lendemain, on apprend que la filiale de Qatari Investment Authority a pris 5% de Veolia Environnement, le leader du traitement de l'eau comptant 310 000 salariés dans le monde, comme le pointe alors l'Usine nouvelle. Le Qatar a investi 650 millions d'euros, devenant le 5e actionnaire de Veolia.

Selon Les Echos mercredi, "des représentants de l'émirat siègent au conseil d'administration des deux entreprises".

10,07% du groupe Lagardère et un œil sur EADS. Ils n'ont pas encore leur fauteuil chez Lagardère (presse, sport, défense), mais espèrent l'obtenir prochainement, souligne encore Les Echos. D'autant que, comme l'a rapporté Le Figaro, l'émirat est le premier actionnaire de Lagardère avec 10,07% du capital et 7,87% des droits de vote. Arnaud Lagardère lui, ne possède que 9,6% et 14% des droits de vote.

Le Qatar lorgne aussi sur EADS, dont Lagardère possède 7,5%. "En mai 2012, Arnaud Lagardère devrait prendre la présidence du conseil d'administration d'EADS", souligne Le Figaro. Le Qatar est un gros client d'EADS via des Airbus achetés pour Qatar Airways, mais aussi via des hélicoptères et des missiles Exocet

• Des achats de palaces et des aides aux banlieues. Comme l'a rappelé TF1 fin janvier, la France a exhonéré d'impôt les Qataris sur les plus-values immobilières. L'émirat s'est payé des palaces, comme le Royal Monceau ou le Carlton de Cannes.

L'émir possède une propriété de 4000 m2 à Marnes-la-Coquette (Hauts-de-Seine) et le luxueux hôtel d'Evreux, place Vendôme à Paris, indique Slate dans une enquête fouillée qui pointe notamment les liens étroits entre la classe politique française et la pétromonarchie.

Parallèlement, le Qatar a annoncé, en décembre, qu'il avait débloqué 50 millions d'euros pour aider les banlieues françaises, répondant à l'appel d'élus locaux.

Quelle stratégie ?

• Préparer l'avenir. Plusieurs analystes soulignent d'abord que les Qataris ne font pas de placements irréfléchis. Ils investissent sur le long terme. Il s'agit de faire fructifier la rente gazière et de préparer l'avenir.

"Le Qatar estime qu'à la faveur de la crise, il y a aujourd'hui une redistribution des cartes, des places à prendre, et il veut jouer dans la cour des grands", explique ensuite à Rue89 Karim Emile Bitar, directeur de recherche à l'Iris, spécialiste du Proche et du Moyen-Orient.

• Assurer la sécurité du pays. Mais ces investissements servent aussi une stratégie de "soft power", comme l'explique une enquête des Echos. Confronté à des voisins puissants (Arabie saoudite et Iran), l'émirat préfère rayonner, nouer de bonnes relations avec d'autres puissances que d'investir dans une armée. "Les bonnes relations avec d'autres pays occidentaux, dont la France, sont aussi considérées comme une 'assurance-vie'", écrit le journal.

"Le Qatar a d'abord une hantise, c'est celle de sa sécurité. Les Qataris ont été traumatisés en 1991 lorsqu'ils ont vu Saddam Hussein ne faire qu'une bouchée du Koweït", pousuit le chercheur à Rue89.

• Donner du poids à sa diplomatie. Cette approche lui donne aussi du poids sur la scène internationale. Le Qatar a affiché son hostilité à Bachar Al-Assad, ami d'hier, ce qui fait de lui un allié précieux pour les Occidentaux.

Mais par ailleurs, en investissant massivement en Europe, l'émirat cherche aussi à faire oublier ses liens avec certains mouvements islamistes. Karim Emile Bitar le souligne : "D'un côté, on tient des propos sur les inégalités entre les civilisations, on stigmatise à tout va, on se plaint que les Tunisiens et les Egyptiens n'aient pas voté comme on l'aurait souhaité, et de l'autre côté, on est en excellents termes et on déroule le tapis rouge à des pays dont on sait pertinemment qu'ils financent les islamistes, et on leur parle rarement des sujets qui fâchent."

 

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