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Le Sénégal "en a marre" d'Abdoulaye Wade

Le chanteur Youssou N'Dour a annoncé lundi 2 janvier sa candidature à la présidentielle sénégalaise prévue le 26 février 2012. Depuis un an, ce pays d'Afrique de l'Ouest n'attend plus que le départ de son président actuel, Abdoulaye Wade.

Article rédigé par Nora Bouazzouni
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le chanteur Youssou N'Dour, le 20 novembre 2007 à Washington (Etats-Unis). (NICHOLAS KAMM / AFP)

A moins de deux mois de la présidentielle sénégalaise, prévue le 26 février 2012, le chanteur Youssou N'Dour, 52 ans, a annoncé lundi 2 janvier sa candidature.

Une nouvelle qui a réjoui de nombreux Sénégalais. Du moins une partie de ceux qui réclament la chute du président Abdoulaye Wade.

Non, non, rien n'a changé

En 2000, Abdoulaye Wade gagne les voix d'une jeunesse déçue en faisant du "sopi", le changement, son slogan de campagne. Son élection met fin à quarante ans d'hégémonie socialiste, dans un des rares pays d'Afrique à n'avoir jamais connu de coup d'Etat. Il est réélu en 2007 avec 55,90 % des voix.

Mais aujourd'hui, les promesses d'alternance semblent loin et les vieux problèmes qui minent les Sénégalais ne sont toujours pas réglés.

Car même si le pays reste un modèle de stabilité politique, la pauvreté ne recule pas malgré une croissance soutenue liée à une situation géopolitique avantageuse, à des infrastructures modernes et à des secteurs en plein essor comme la pêche ou l'agriculture. Le Sénégal est classé depuis dix ans parmi les pays les moins avancés du monde, selon l'ONU.

Encore opposant, Abdoulaye Wade demandait lors de ses meetings aux jeunes sans emploi de lever la main, et leur promettait à tous un travail dès son arrivée à la tête du Sénégal. Or, en 2010, 49 % de la population active était au chômage, indique l'Agence nationale de la statistique et de la démographie du Sénégal.

En outre, la corruption continue de gangréner le pays, placé au 112e rang sur 182, selon le classement annuel établi par l'ONG Transparency International. 

Enfin, le conflit en Casamance, région située dans le sud-ouest du Sénégal, qui dure depuis 1982 et que Wade avait promis de régler, s'enlise dans la violence, rapporte Le Figaro. Depuis le mois de décembre, les attaques du Mouvement des forces démocratiques de Casamance, qui réclame l'indépendance, ont fait plusieurs morts ainsi que des blessés.

Une société à deux vitesses 

Depuis 2005, les Sénégalais subissent des coupures de courant intempestives, qui peuvent durer de quelques minutes à plusieurs jours. Mais ces délestages, qui paralysent l'activité économique du pays et empoisonnent la vie de ses habitants, concernent moins les quartiers riches, qui ont les moyens de s'offrir des groupes électrogènes et l'essence qui les fait tourner. Les entreprises internationales, qui perdent de l'argent lorsque l'électricité est coupée, partent s'installer ailleurs. Début 2011, les Sénégalais sortent dans la rue : ce sont "les émeutes de l'électricité".

Des quartiers modestes sont fréquemment inondés, car les pompes, trop vieilles, ne fonctionnent plus correctement.

Les étudiants de la réputée université Cheikh Anta Diop de Dakar vivent dans des conditions précaires et certains vont jusqu'à louer leur lit lorsqu'ils sont en cours, rapporte SlateAfrique.

"Y en a marre"

L'opposition accuse "la mal-gouvernance, le gaspillage des ressources publiques, la corruption au sommet de l'Etat, le laisser-aller dans l'administration du pays", selon Moustapha Niasse, le leader de l'Alliance des forces de progrès.

En janvier 2011, les rappeurs du groupe Keur Gui lancent un mouvement de révolte baptisé "Y en a marre", à l'initiative d'un journaliste local. Ils veulent inciter les jeunes à s'inscrire sur les listes électorales pour sanctionner le pouvoir. Le 19 mars, un appel sur les réseaux sociaux réunit 5 000 personnes à Dakar contre le président.

Le 14 mai, c'est au tour des magistrats de manifester. Ils réclament de meilleures conditions de travail et "condamnent fermement toutes les tentatives d'instrumentalisation, de pression et d'intimidation" dont ils font l'objet.

La tentation dynastique

Le 23 juin, Dakar s'embrase. Les Sénégalais se mobilisent contre le projet de loi du "ticket présidentiel" adopté en Conseil des ministres. Cette réforme permet au président de se faire élire avec seulement 25 % des suffrages au premier tour du scrutin. Les affrontements font plusieurs dizaines de blessés et la rue finit par l'emporter : Wade retire le projet de loi dans la journée.

Pour les Sénégalais, ce projet est la goutte d'eau qui fait déborder le vase, la popularité de Wade étant déjà bien entamée avec la crainte d'une succession héréditaire. Ministre des Transports aériens, de la Coopération internationale, des Infrastructures, de l'Aménagement du territoire et de l'Energie, son fils Karim est déjà trop bien placé au sein du gouvernement.

Or, depuis une révision de 2009, un poste de vice-président est prévu dans la Constitution sénégalaise. Nommé par le chef de l'Etat, qui lui délègue une partie de ses pouvoirs, il doit assurer l'intérim en cas de vacance en attendant que des élections soient organisées, sous trois mois. Un véritable coup d'Etat pour les Sénégalais, qui y voient une manière pour Abdoulaye Wade de choisir son successeur, malgré ses nombreux démentis, comme dans cette interview à SlateAfrique.

Touche pas à ma Constitution

Il est loin le temps où le jeune opposant dénonçait les agissements du président Senghor, qui avait modifié la Constitution afin de permettre à son Premier ministre, Abdou Diouf, de le remplacer. Même ses alliés les plus fidèles ont quitté le navire.

A 85 ans, Abdoulaye Wade émet l'idée de briguer un troisième mandat, alors qu'ils sont limités à deux. "Y en a marre" se mobilise et le front "Touche pas à ma Constitution" se forme. Une soixantaine de partis politiques et d'organisations de la société civile demandent le retrait d'une candidature pas encore officialisée. Ce qui n'empêche pas le président d'être investi par le Parti démocratique sénégalais le 23 décembre.

Présidé par un proche d'Abdoulaye Wade, le Conseil constitutionnel doit statuer sur la recevabilité des candidatures fin janvier.

Youssou N'Dour président ?

Le chanteur Youssou N'Dour, star internationale, propriétaire d'une des radios les plus écoutées du Sénégal et du quotidien le plus lu, L'Observateur, avait déjà appelé le président à renoncer à un troisième mandat.

Deuxième personnalité africaine la plus importante, selon le célèbre magazine américain Forbes, impliqué politiquement, président d'un mouvement citoyen créé en 2010, Youssou N'Dour s'est décidé à sauter le pas lundi 2 janvier, en annonçant qu'il se présenterait contre Abdoulaye Wade en 2012.

"Depuis très longtemps", de nombreux Sénégalais "ont, par divers moyens, appelé ma candidature à la présidentielle de février prochain. J'ai écouté, j'ai entendu, je réponds favorablement à votre requête. (...) Je suis candidat", a-t-il déclaré lors d'un discours diffusé sur la chaîne de télé TFM, qui lui appartient. "Je suis l'alternative à l'alternance", affirme-t-il.

Le musicien a-t-il des chances d'être élu ? Difficile de le savoir, mais il part avec un handicap de poids au pays des intellectuels d'Afrique francophone : il a arrêté l'école très tôt. Une faille qu'il évoque dans son discours : "Il est vrai que je n’ai pas fait d’études supérieures mais la présidence est une fonction et non un métier. A l’école du monde, j’ai beaucoup appris. (…) Je peux diriger ce pays."

En attendant, "Y en a marre", toujours mobilisé, a sorti récemment une nouvelle chanson pour que Wade se retire de la course à la présidentielle, Faux pas forcé.

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