Paris 2024 : dans une Libye instable et conservatrice, le rêve olympique de la lanceuse de disque Retaj al-Sayeh

Article rédigé par Hortense Leblanc - Salah Agrabi
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
La lanceuse de disque libyenne Retaj al-Sayeh à l'entraînement, le 29 décembre 2023, à Tripoli. (MAHMUD TURKIA / AFP)
La Libye n'a jamais remporté de médaille olympique et la situation de ses athlètes commence seulement à s'améliorer depuis la chute du dictateur Mouammar Kadhafi en 2011 et des années de guerre civile.

On la surnomme "la chercheuse d’or" pour ses multiples titres lors de championnats locaux, comme celui obtenu lors des Championnats arabes en 2023. A 25 ans, Retaj al-Sayeh rêve plus grand et aimerait représenter son pays, la Libye, aux Jeux olympiques, mais la lanceuse de disque doit faire face aux difficultés qui freinent sa pratique, dans un pays toujours instable politiquement, qui se relève à peine d’une guerre civile, et où le conservatisme laisse peu de place à la pratique du sport pour les femmes.

"Maintenant en Libye, si je ne ramène pas l’or, les gens sont surpris et ils n’acceptent pas que je ramène une médaille d’argent ou de bronze", assure Retaj al-Sayeh, titrée en juniors et en seniors sur les championnats arabes, mais qui n’a jamais participé à une compétition majeure en seniors. La faute, en partie, à la difficulté d’obtenir des visas pour les pays européens, "parce qu’on est considéré comme un pays où le terrorisme règne", souligne la lanceuse de disque.

Des entraînements sous les bombes pendant la guerre civile

Depuis la chute du dictateur Mouammar Kadhafi en 2011, la Libye est divisée entre deux gouvernements rivaux, l’un reconnu par l’ONU basé à Tripoli, la capitale, et l’autre lié au maréchal Khalifa Haftar, à l’Est. Les conditions sécuritaires y demeurent instables en raison de la présence de nombreux groupes armés. Dans la pratique de sa discipline, "la plus grande difficulté a longtemps été la sécurité", raconte ainsi Retaj al-Sayeh, qui confie qu’elle allait parfois s’entraîner "sous les bombes". Mais "depuis peu, la vie reprend petit à petit. Des terrains de sport ouvrent, et la sécurité s’améliore", assure-t-elle, tout en confiant tout de même toujours vivre "dans la peur de la guerre".

Retaj al-Sayeh sur l'aire de lancer abandonnée qui lui a servi de lieu d'entraînement pendant des années, avant l'inauguration du stade international de Tripoli. (MAHMUD TURKIA / AFP)

Comme un symbole de ce début de renouveau, Retaj al-Sayeh s’entraîne depuis quelques semaines au stade international de Tripoli, inauguré le 8 mars, après avoir pratiqué son sport pendant des années sur une aire de lancer abandonnée et délabrée. A ses côtés, son père, entraîneur. "Il était joueur international de volley au sein de l’équipe libyenne, et il est l’un de mes plus grands soutiens. J’ai commencé les compétitions sportives depuis mon plus jeune âge à l’école et je me suis rendu compte que j’étais plus forte dans cette discipline. Mon père m’a emmené au site olympique de Tripoli et il m’a laissé faire mon choix", se souvient-elle.

Le regard critique d'une société conservatrice

En juniors, la lanceuse de disque remporte de nombreuses compétitions nationales et régionales, et obtient des récompenses financières de la part du régime de Mouammar Kadhafi. Pourtant, ses performances ne sont pas reconnues par la société libyenne. "De 12 à 17 ans, je n’étais pas voilée. Après, j’ai commencé à porter le voile. Ce n’était pas une obligation, mais le regard des gens a changé depuis que je le mets. Ils m’aiment beaucoup plus et maintenant, des hommes demandent même à se prendre en photo avec moi", explique-t-elle.

Sa morphologie est également un frein, au sein d’une société conservatrice. "Le regard des gens vis-à-vis des disciplines sportives pour les femmes, c’est compliqué, surtout la mienne, qui nécessite plus de rondeurs. La société libyenne n’est pas vraiment préparée à cela parce qu’elle ne connaît pas bien ce sport, contrairement au foot ou au basket, plus connus, décrit Retaj al-Sayeh. J’ai souffert du regard des autres, en particulier des hommes, mais il faut avoir une personnalité forte. Pas seulement pour les sportives, mais aussi pour les artistes féminines, qui sont jugées de façon négative. On essaye de changer ces mentalités pour faire accepter nos domaines".

Retaj al-Sayeh pose aux côtés de son père et entraîneur, Salem al-Sayeh, et avec ses nombreuses médailles autour du cou. (MAHMUD TURKIA / AFP)

Depuis le début de la guerre civile et la chute du dictateur, l’athlète ne reçoit plus aucune aide financière pour la pratique de son sport. Et elle suit des études de physiothérapie en parallèle de ses deux entraînements quotidiens. Avec son père, elle vit grâce à un pécule versé par l’Etat après la mort de sa mère. "Quand une mère de famille meurt, la tradition veut que la fille prenne son relais et elle reçoit donc de l’argent pour cela", explique la lanceuse de disque, qui n’est financièrement aidée par sa fédération que pour rembourser ses frais de déplacement.

"Je veux entendre l’hymne libyen, avec le drapeau libyen bien placé, pour montrer au monde que notre état existe."

Retaj al-Sayeh, lanceuse de disque libyenne

à franceinfo: sport

Malgré ces obstacles, Retaj al-Sayeh s’accroche à son rêve olympique. Il lui sera tout de même difficile de se qualifier, puisque son record de 56,7 mètres est largement inférieur aux minima requis, de 64,5 mètres. "Mais je rêve d’être sur le podium, et pas à n’importe quelle place, à la première. Je le fais pour la Libye, et pour montrer que notre pays se relève malgré les souffrances qu’il a traversées, et qu’il est aussi capable de fabriquer des athlètes olympiques qui peuvent ramener des médailles", s’enthousiasme-t-elle.

Son chemin olympique passera par le Cameroun, en juin, où elle tentera de se qualifier lors des championnats d’Afrique d’athlétisme.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.