Boxe aux JO de Paris 2024 : nombre de coups donnés ou violence de leur impact ? De l'art délicat de juger les combats

Article rédigé par Julien Lamotte
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Juges rendant leur décision à l'issue d'un combat de boxe, à Tokyo, le 29 octobre 2019 (KAZUHIRO NOGI / AFP)
Trois rounds de trois minutes chacun pour emporter la décision de cinq juges. Sur le papier, le règlement de la boxe olympique semble limpide. Sur le ring, il est parfois beaucoup plus nébuleux.

"Le mieux c'est que tu gagnes par K.O. Ça évitera les décisions des juges". Ce conseil, tous les entraîneurs du monde de la boxe vous le donneront. Et pour cause, ces derniers savent très bien que le jugement humain, par définition, est subjectif. Et donc propice à l'erreur. Le problème est qu'aux Jeux olympiques, les K.O. se font rares et que la majorité des combats se jouent aussi bien dans les poings des boxeurs que dans les yeux des juges.

Pour qui avait l'habitude de se lever à 4h du matin pour voir Mike Tyson détruire son adversaire au bout de 30 secondes, puis de se recoucher, repu par ce déchaînement de furie animale, la boxe aux Jeux olympiques semble être un autre sport. Ici, la priorité n'est pas au K.O, trop hasardeux, trop risqué. "Et puis les gants, plus gros, amortissent davantage les coups", nous précise Brahim Asloum. Le consultant franceinfo: sport poursuit : "Le format très court en trois rounds ne permet pas non plus de faire mal sur la durée comme chez les pros. Ce qui explique qu'aux JO nous assistons à une boxe beaucoup plus aérienne". Comprendre, l'important n'est pas nécessairement de faire mal. 

Toucher plutôt que frapper 

Ce qui compte, c'est marquer des points. Idéalement 30. Dix par reprise, et donc l'assurance d'avoir remporté les trois rounds et le combat. Les cinq juges, postés tout autour du ring pour avoir une visibilité complète sur le combat et ne rien manquer des attaques ou des défenses, sont chargés d'établir, à la fin de chaque round, un vainqueur. Ce dernier se voit alors attribuer la note de 10, alors que son adversaire aura 9 points. Voire 8 s'il a été largement dominé et même 7 s'il en est ressorti en donnant l'impression de s'être fait rouler dessus par un train. A ceux qui pouvaient se poser la question, Brahim Asloum tranche net : "Non les juges ne se parlent jamais entre eux pendant un combat. Tout au plus, il peut y avoir des regards".

Les critères pour déclarer un boxeur vainqueur d'une reprise sont assez clairs : il s'agit de comptabiliser les coups nets tout en jugeant de la technique et de la compétitivité des deux combattants. Si ces trois facteurs sont gravés dans le marbre institutionnel, dans les faits, seul compte vraiment le premier nommé. Le coup est l'alpha et l'oméga du juge de boxe. Son phare, mais aussi sa faiblesse. 

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Paris 2024 - Boxe : Billal Bennama combattra pour la médaille d'or . (.)

Quand certains juges vont privilégier le nombre de coups donnés à son adversaire, d'autres seront plus enclins à favoriser celui qui a touché moins, mais plus fort. La multiplication des pains ou la frappe divine ? La décision finale rentre alors dans une dimension où tout est affaire de sensibilité de chacun... "Il y a des juges qui sont très impressionnés par les séries de coups, et puis d'autres qui ne prennent en compte que le punch", reprend Asloum. "Enfin, il existe aussi des juges qui ne jurent que par l'esquive". Bref, l'éventail est large et, comme le rappelle le champion olympique de Sydney, "l'erreur est humaine". 

Les 10-7 et les 10-8 ne souffrent généralement d'aucune contestation et il faut une mauvaise foi inébranlable au boxeur qui a le visage tuméfié pour se plaindre d'une décision qui lui paraît inique, quand son adversaire est frais comme un gardon. En revanche, quand le combat est serré et son issue incertaine, la boxe se retrouve dans la même situation que tous ces sports soumis à la décision de juges. Avec son lot d'injustices. 

Eviter les coups fourrés 


De par la mythologie qui l'entoure, arbitres véreux et combats truqués, le noble art a toujours prêté le flanc aux pires controverses. L'esprit olympique lui-même n'y a pas échappé. Il suffit de se souvenir du regretté Alexis Vastine, en larmes et les bras en croix au milieu du ring en 2012 ou de l'Irlandais Michael Conlan, fou de rage et insultant les juges quatre ans plus tard à Rio, pour constater que ces décisions sont parfois très mal vécues. 

"Il y a des polémiques un peu dans tous les sports, mais c'est vrai que nous n'avons pas été épargnés", regrettait, en 2011, Séverine Gosselin, présidente de la commission nationale des officiels de la Fédération française de boxe. "Le problème de la boxe est que le système de jugement repose sur l'œil humain. C'est l'humain qui juge les combats, contrairement à l'escrime ou au taekwondo par exemple où il y a des plastrons électriques et où l'impact est compté. En athlétisme, c'est le premier qui arrive qui a gagné donc c'est visible. En boxe, c'est différent".

C'est différent et cela le restera toujours. L'apparition, à la fin des années 90, des scoring machines chargées de comptabiliser les coups portés, n'a pas réglé le problème. Elle n'a fait que le déplacer. Désormais, obnubilés par le décompte des frappes, les boxeurs en oublient les préceptes du noble art : l'art du contre, le coup d'œil, la précision. Et restent à la merci, parfois, de décisions arbitraires. Finalement, le mieux, c'est quand même de gagner par K.O. 

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