: Vidéo Paris 2024 : ces athlètes qui rejoignent "l'Armée de champions" pour financer leur carrière
"Pour être honnête, je ne m'étais jamais intéressé à l'Armée avant d'intégrer l'Armée de champions." Pourtant désormais, Enzo Lefort verrait difficilement sa carrière sans. Médaillé d'argent au fleuret par équipe aux Jeux olympiques de Rio et auréolé d'or à Tokyo, le vice-champion d'Europe en individuel 2023 a décroché près de 20 médailles dans sa carrière. Un parcours qui fait briller la France et l'escrime française à l'international. Il n'en reste pas moins que le Guadeloupéen est le représentant d'une discipline amateur : "On ne gagne pas assez au quotidien et c'est là que l'armée intervient". À ses titres s'ajoute en effet un grade : sergent dans l'Armée de l'air et de l'espace.
"Un sportif comme moi ne touche pas d'argent de sa fédération (ndlr : hormis les primes de résultat et la prise en charge des frais de compétition). Ses ressources sont issues de ses sponsors, des contrats d'image remis en jeu chaque année quand l'Armée s'engage sur le long terme." Une situation et un constat partagés par Ysaora Thibus, numéro 1 mondiale de fleuret, vice-championne olympique par équipe à Tokyo, 14 fois championne de France et membre comme Enzo Lefort de l'Armée de champions, la structure bleu-blanc-rouge qui réunit les sportifs accompagnés par l'Armée. "Les partenaires privés financent notre carrière mais tous les sportifs ne sont pas aidés de la même manière, un sponsoring ne dépend pas seulement de nos victoires, il y a aussi le réseau, la chance...", affirme celle qui voit dans sa collaboration avec la Défense une garantie de fidélité.
"Le statut d'athlète est assez précaire"
"Le grand public ne le sait pas forcément mais le statut d'athlète de haut niveau est assez précaire. Un contrat avec l'Armée permet des projets de vie comme l'achat d'un appartement et de payer les factures du quotidien, reprend Enzo Lefort. Il y a aussi la retraite. Je suis à l'Insep (Institut national du sport, de l'expertise et de la performance) où je m'entraîne depuis 13 ans mais je ne peux cotiser que quatre années maximum. Avec l'armée, je cotise chaque mois. J'ai aussi accès à la caisse d'assurance maladie des militaires. Personnellement, ça a été important dans ma carrière d'avoir une stabilité économique et mentale pour performer."
De manière tout aussi méconnue, l'Armée permet aux sportifs une reconversion une fois qu'ils ont décidé de ne plus chasser les titres. Ainsi le nageur Hugues Duboscq, triple médaillé de bronze aux JO, est devenu plongeur de bord dans les rangs de la gendarmerie maritime du Havre et le biathlète Simon Fourcade caporal-chef de l'Armée de terre.
Une solde en fonction du grade
Si Enzo Lefort et Ysaora Thibus combattent actuellement, ce n'est que pour mettre des touches. Ils ne seront jamais envoyés sur le terrain et encore moins en opération extérieure. La seule guerre qu'ils mènent est pour leur propre palmarès. Mais comme tout militaire, les deux trentenaires disposent d'une solde calculée en fonction de l'armée auquel ils appartiennent (terre, air et de l'espace ou marine nationale) et de leur grade qui peut évoluer avec leurs victoires. L'équivalent d'un Smic pour l'échelon le plus bas.
En contrepartie, ils sont une voix de la grande muette dans les médias ou sur leurs réseaux sociaux. Ils portent le logo de l'Armée de champions quand ils grimpent sur le podium. Et chaque année, ils participent à des événements de l'Armée pour se glisser dans l'uniforme. "J'ai déjà tiré au fusil Famas, descendu des falaises en rappel, volé à bord d'un avion Rafale... des choses exclusivement réservées à des militaires. Cela permet de s'acculturer et de comprendre le quotidien des militaires. Eux aussi sont des athlètes de très haut niveau à la différence de taille que leur vie en dépend", distingue bien volontiers Enzo Lefort.
Plus de 200 sportifs
En tout, le ministère des Armées a "enrôlé" près de 220 athlètes toutes disciplines confondues, olympiques ou non comme le parachutisme qui ne figure pas au programme du CIO. 148 préparent actuellement Paris 2024 comme Clarisse Agbegnenou (judokate et adjudant de gendarmerie), Johanne Defay (surfeuse et matelot), Anthony Jeanjean (cycliste BMX et sergent dans l'Armée de terre). Depuis la création de l'Armée de champions en 2004, ces militaires un peu particuliers ont décroché en tout 117 médailles olympiques aux Jeux d'été et d'hiver dont 25 en or. "L'Armée de champions a vu le jour dans le sillage de la suspension de la conscription en 2003, rappelle Sylvie Anoto, conseillère auprès du commissaire aux sports militaires basé à Fontainebleau. Jusqu'alors, les appelés sportifs de haut niveau profitaient chaque année de leur service militaire pour s'entraîner au Bataillon de Joinville avec les infrastructures de l'armée. Nous avons vu passer Zinedine Zidane, Jean Galfione ou encore Guy Drut."
Les sportifs ont rencontré intimement les militaires 40 ans auparavant lorsque le Général de Gaulle mobilisa toute la puissance de l'Armée pour rapporter des médailles. Lors des JO de Rome en 1960, les Français reviennent sans avoir décroché l'or. France outragée, France brisée. "Il fallait relever le niveau, rappelle Sylvie Anoto. Un vaste programme est lancé à tous les niveaux, les militaires dispensent les cours d'EPS à l'école, ils forment les maîtres d'armes en escrime, accompagnent les sportifs..."
Un effort pour les paralympiques de 2024
L'armée ne s'en cache pas, ce rapprochement est aujourd'hui devenu un vecteur de rayonnement. "Il y a toujours également la volonté de soutenir le sport de haut niveau qui a des valeurs communes avec l'armée que sont le dépassement, l'abnégation, l'esprit d'équipe et la fraternité d'arme." Pour intégrer l'Armée de champions, nul besoin d'une taille réglementaire ou d'exceller dans l'épreuve du lit au carré. Les athlètes doivent être reconnus par le statut de haut niveau délivré par le ministère des Sports, présenter un CV, un projet sportif et un profil compatible avec l'armée. "Adhérer aux valeurs de l'armée", résume Sylvie Anoto.
En vue de Paris 2024, l'Armée a encore renforcé son programme en ouvrant son contingent de sportifs à plus de recrues pour arriver à 218 aujourd'hui dont 33 paralympiques (recrutés eux comme agents sous contrat). Engagement a d'ailleurs été exprimé d'apporter un soutien particulier aux para-athlètes. Une soixantaine de membres de l'Armée de champions défilera aussi lors du 14-Juillet sur les Champs-Elysées à un an des Jeux, un honneur qui ne s'était pas produit depuis une décennie. Des têtes connues parmi les soldats anonymes... que l'on distingue souvent à la longueur des cheveux.
La case armée, inévitable pour certains, appelle-t-elle à revoir la rémunération des sportifs amateurs qui pourraient ainsi s'exonérer de la caserne - même si cela ne concerne pour eux que quelques jours par an et en adéquation avec l'agenda de leurs compétitions ? Vaste question. L'Agence nationale du sport (ANS) s'est engagée pour que les athlètes de haut niveau atteignent un minimum de 40 000 euros de ressources annuelles, soit 2 600 euros net par mois. Si leurs contrats, bourses, primes et partenariats n'atteignent pas en cumulé ce seuil, l'ANS leur apporte un complément de revenus. "Ce qui est une certitude, c'est que lorsque les sportifs sont soutenus, que des investissements sont réalisés, que nous nous entraînons dans les meilleures conditions, les athlètes sont plus performants. Il n'y a pas de secrets", conclut Ysaora Thibus.
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