Paris 2024 - Petites histoires des Jeux : Alain Mimoun, le revanchard qui s'entraînait en secret pour disputer, et gagner, le premier marathon de sa vie

À quelques mois du début des Jeux olympiques, Franceinfo: sport vous plonge dans les petites histoires qui font la grande histoire des Jeux. Comme celle d'Alain Mimoun, lassé d'être battu par Emil Zatopek, et qui décida de conquérir l'or sur le marathon en 1956 à Melbourne. Sans prévenir personne.
Article rédigé par Julien Lamotte, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Alain Mimoun franchit en vainqueur la ligne d'arrivée du marathon des Jeux olympiques de Melbourne, le 2 novembre 1956. (AFP)

Il aurait pu se contenter de ses éternelles deuxièmes places. On l'aurait aimé tout autant. Comme un Raymond Poulidor de l'athlétisme. Mais Alain Mimoun, aussi espiègle dans la vie qu'orgueilleux sur une piste, a refusé cette fatalité. Le perdant magnifique, cela ne lui suffisait pas. Il a donc trouvé un moyen de sortir définitivement de l'ombre de son tourmenteur habituel, Emil Zatopek. En voyant grand, très grand. Constamment battu par la légende tchécoslovaque sur le demi-fond, il a décidé de le surprendre sur un autre terrain : les 42,195 km du marathon. Problème : avant les Jeux olympiques de 1956, Alain Mimoun n'avait jamais couru cette distance. 

Sous le mouchoir, un orgueil de champion 

Bien sûr, il reste cette image passée à la postérité. Celle d'Alain Mimoun bravant la chaleur australienne avec un mouchoir sur la tête pour le protéger lors de ce marathon, disputé le 1er septembre 1956, sous un soleil de plomb (36° à l'ombre). Un "système D" qui paraît tellement désuet aujourd'hui mais qui s'est révélé suffisamment efficace pour éviter l'insolation. Et un magnifique porte-bonheur pour l'histoire. Mais ce que l'on sait moins, c'est que ce mouchoir abritait un crâne qui avait tout prévu dans ce marathon. Y compris l'effet de surprise lorsqu'il s'est présenté au départ. 

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Alain Mimoun n'a prévenu personne de son intention de s'aligner sur cette course. Mais cela fait deux ans qu'il mûrit ce projet secret. Sans en parler à personne, le natif de Maïder, en Algérie, s'entraîne sur la distance dès qu'il le peut. Il sait qu'il a les jambes pour le faire. 32 fois champion de France sur 5 000m, 10 000m ou en cross-country, il avale les bornes dans l'ombre. Même sa femme n'est pas au courant. 

Alain Mimoun, victorieux du marathon des JO de Melbourne, est porté en triomphe par d'autres athlètes, lors de son arrivée à Orly, le 12 décembre 1956. (KEYSTONE PICTURES USA / MAXPPP)

Dans la tête de Mimoun, une obsession : battre son rival Emil Zatopek. "La Locomotive tchèque", star absolue de la discipline, l'a déjà privé de l'or aux JO de 1948 à Londres et à ceux d’Helsinki en 1952. Pourtant, dans cette motivation du Français, il n'y a aucune trace d'animosité. Zatopek et lui sont concurrents mais avant tout amis. "Ce n’était pas un adversaire, mais un frère. Avec Emil, aussitôt la ligne d’arrivée franchie, on s’embrassait comme deux amoureux", se souvenait le Tricolore dans une interview accordée au Journal de la Haute-Marne

Pourtant, c'est bien en favori que se présente une nouvelle fois Zatopek au départ du marathon. Qu'a-t-il à craindre de son ami vieillissant, 35 ans, et qui a terminé à une modeste 12e place le 10 000 mètres olympique quelques jours auparavant ? Alain Mimoun poursuit dans le JHM : "Quand j’ai annoncé que j’allais faire le marathon, quelle rigolade ! Tous me disaient trop vieux. Les Français, les étrangers, tout le monde rigolait hormis Zatopek, ce saint homme." Ce que ces derniers ne savent pas, c'est que Mimoun s'est entraîné encore et encore ces dernières heures. Sur le tarmac de l'aéroport. Dans les couloirs de l'hôtel. Il a même fait 35 kilomètres en cachette sitôt son 10 000 mètres terminé ! 


Plusieurs facteurs vont alors intervenir pour faire passer ce marathon dans l'histoire du sport français. Déjà, Alain Mimoun a reçu un télégramme la veille de la course : il est papa d'une petite fille. Il la prénomme Olympe… Ensuite, il y a cette insouciance qui le caractérise. Il est le seul, sur la ligne de départ, à être souriant et détendu, au milieu des 44 autres concurrents qui ont le masque. Et pour cause, il ne sait pas ce qui l'attend. N'ayant jamais fait de marathon de sa vie, il n'en connaît pas la souffrance. 

Ce sont cette inconscience du danger et cette légèreté qui vont rapidement le porter aux avant-postes de la course. Écrasé par la chaleur, ralenti par le goudron qui fond sous les semelles, Zatopek a calé. Devant, son ami de toujours contrôle le tempo et, profitant de la rampe de lancement offerte par l'Américain John Kelly qui lui souffle "come on Alain", Mimoun s'en va seul à mi-course. Comme un grand. 

Le salut du vaincu

 

Il se prend de plein fouet "le mur du 30" (sensation de baisse d'énergie soudaine qui touche les marathoniens au 30e kilomètre de la course) : "Même le mouchoir que j’avais sur la tête pour me protéger du soleil paraissait peser des tonnes. J’avançais dans le brouillard", confiait-il au quotidien belge "La Dernière Heure", mais le Français se rappelle sa fille qui vient de naître, sa femme, sa mère, "le drapeau tricolore qu'il veut brandir" et toutes ces heures passées à s'entraîner en secret. Et la foulée s'allonge par miracle. Les cinq derniers kilomètres sont avalés en état d'apesanteur. L'éternel second vole sur la route, et bientôt sur le tarmac du stade olympique où 110 000 personnes saluent son arrivée, seul, dans l'enceinte. Pour un dernier tour de piste. Inoubliable, même plus de dix ans après la mort de cette icône du sport français, disparue en 2013 à l'âge de 92 ans.

"Je ne touchais plus terre. J’ai même bouclé le 400 mètres le plus rapide de toute ma carrière. Champion olympique pour mon premier marathon, fallait le faire !", jubilait-il encore, les yeux éternellement rieurs. Cependant, ce 1er septembre 1956, aucun signe de joie ne transparaît sur les traits émaciés du coureur après sa victoire. Il cherche, il attend Emil Zatopek. Quand celui-ci arrive enfin, à bout de forces, à la 6e place finale, il ne sait pas que son ami a gagné. Quand il l'apprend, il enlève sa casquette et lui adresse un salut militaire. Puis les deux hommes se tombent dans les bras. Et le sourire apparaît enfin sur le visage d'Alain Mimoun. 

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