JO 2021 : 110 ans après le début de son aventure olympique, le Japon prêt à ouvrir une nouvelle ère malgré le Covid
D'abord circonspect face aux JO, le Japon s’est éloigné du mouvement olympique avant la Seconde Guerre mondiale avant de faire des Jeux de 1964 un symbole de sa renaissance.
Un an et demi après le début de la pandémie de Covid-19, le comité d'organisation japonais a vu toutes ses certitudes s'envoler. Seul le nom, "Jeux olympiques de Tokyo 2020" a passé intact l'obstacle de cette crise sanitaire sans précédent. Les événements d'avant-compétition et la liesse populaire espérée entre spectateurs du monde entier ont eux été balayés.
Malgré tout, pour la quatrième fois de son histoire, le Japon s'apprête bien à organiser le plus grand événement sportif mondial. Tokyo 2021 succède à Tokyo 1964 pour les JO d'été tandis que Sapporo en 1972 et Nagano en 1998 ont accueilli les Jeux d'hiver. Mais ces quatre séjours des JO dans l'archipel nippon cachent des relations plutôt tumultueuses entre le pays du Soleil Levant et le mouvement olympique depuis bientôt 110 ans.
Une politique isolationniste et un archipel hors-Jeux
1896, Athènes. Les Jeux antiques ont trouvé leurs successeurs. Ce seront les Jeux olympiques, rebâtis sur le "domaine des dieux" grecs. 241 athlètes venus du monde entier affluent pour s'affronter dans des joutes non plus guerrières mais sportives. Mais deux continents sont mis à l'écart : l'Afrique et l'Asie.
À ce moment-là dans un lointain Empire de l'Est, le Japon est en pleine évolution mais reste à la marge du jeu diplomatique. Pour Eddy Dufourmont, historien spécialiste de l'archipel, "il ne faut pas oublier que 60 ans avant, le pays sortait d'une période d'isolement - dite du 'sakoku' - et ne connaissait pratiquement rien du système international. L'arrivée des Américains et des Européens en 1853 a poussé le Japon à mettre en place des relations avec d'autres États".
Il faut attendre 1911 pour que se nouent enfin les premiers contacts entre l'archipel et l'aventure olympique, validés par la création d'un comité national. Grâce à une alliance avec la Grande-Bretagne, le pays connaît un coup d'accélérateur. Un an plus tard, le voilà enfin à bord du train des Jeux, à Stockholm (1912), après quatre rendez-vous manqués. Un embarquement qui n'aurait pas pu avoir lieu sans l'apport de Kano Jigoro, père fondateur du judo, et membre du Comité international olympique (CIO) à partir de 1909.
De la reconnaissance mondiale à la rupture
La première étape est passée. Reconnu mondialement, le Japon enclenche la deuxième : il entend désormais multiplier les échanges avec l'étranger et bâtir une économie solide. Après la Première Guerre mondiale, le niveau sportif des Japonais augmente progressivement. L'Empire obtient ses deux premières médailles (en argent) lors des JO d'Anvers en 1920 puis ses deux premiers titres à Amsterdam en 1928. Quatre ans plus tard à Los Angeles, il devient le cinquième pays au classement des médailles devant la Grande-Bretagne (8e) ou l'Allemagne (9e).
Dans le même temps, l'archipel nourrit des ambitions territoriales. Au début des années 1930, le Japon envahit la Mandchourie, et entretient alors des relations instables avec les puissances occidentales. Malgré tout, Tokyo obtient l'organisation des Jeux olympiques de 1940.
L'invasion de la Chine - accompagnée de massacres - va être de trop. Les autres nations interpellent le CIO afin qu'il retire les Jeux au Japon. Mais la pression ne vient pas que de l'extérieur. "Au Japon même, il y a un discours fascisant qui commence à se diffuser et qui va contre les JO, notamment au sein de l'armée, puisqu'elle considère que le pays doit concentrer tous ses efforts sur la guerre", précise Eddy Dufourmont. "Participer aux JO serait continuer cette coopération avec les puissances blanches, colonisatrices."
En 1938, l'archipel fait machine arrière et se retire de l'organisation. Helsinki récupère le flambeau mais l'éclatement de la Seconde Guerre mondiale met entre parenthèses les réjouissances sportives. Les Jeux de 1940 sont annulés.
La démonstration des Jeux de 1964
Perdants de ce second conflit mondial, frappés par l'usage de deux bombes atomiques qui, en plus d'avoir ravagé deux villes, ont laissé des traces indélébiles dans les esprits, les Japonais sont placés sous tutelle américaine jusqu'en 1952. Le retour à l'indépendance se fait progressivement. L'archipel récupère ses sièges à l'ONU puis au CIO. Et en 1964, l'opportunité olympique arrive enfin.
"L'obtention des Jeux de 1964 va avoir la même signification que les Jeux de 1988 pour la Corée du Sud ou ceux de 2008 pour la Chine. Cela va marquer le retour de l'archipel sur la scène mondiale", note Eddy Dufourmont. Le Japon devient le premier pays du continent asiatique à recevoir le monde olympique.
Et quoi de mieux pour montrer cette capacité à se relever du passé qu'un symbole fort ? Sakai Yoshinori, né le 6 août 1945 à Hiroshima, jour où la bombe atomique a frappé la ville, est le dernier porteur de la flamme olympique. L'athlète, qui n'était qu'un simple sportif amateur, embrase la vasque olympique et ouvre une édition historique pour le pays.
Sur le plan sportif, le Japon termine troisième nation avec 29 médailles dont 16 titres. D'un point de vue technologique, c'est aussi un triomphe. Les Jeux sont pour la première fois retransmis en mondovision et en couleur. Le Shinkansen, train à grande vitesse atteignant 210 km/h, devient la vitrine du savoir-faire nippon.
Devenu la deuxième puissance économique mondiale, l'archipel étonne par sa capacité à se reconstruire. C'est toute une population qui se retrousse les manches et embrasse le modèle érigé par Toyota (le toyotisme) pour faire briller son pays. Huit ans plus tard, les Jeux d'hiver s'invitent à Sapporo.
Robots, jeux vidéo... Les Jeux pour servir le tourisme au Japon
Huit ans après Sapporo 1972, le Japon marche dans les pas de son allié américain et boycotte les JO de Moscou. Le troisième rendez-vous entre les Jeux et l'archipel, en 1998 à Nagano, fait aussi apparaître un "nouveau" Japon. Les gadgets technologiques, les dessins animés, les jeux vidéo et les mangas ont hissé le pays parmi les géants touristiques.
Ce n'est pas un hasard si c'est un Shinzo Abe grimé en Mario, le héros des jeux Nintendo, qui a fait le déplacement à Rio lors de la cérémonie de clôture des Jeux 2016. Le premier ministre nippon est même sorti d'un tuyau dans le stade olympique, comme le célèbre plombier.
57 ans après ses premiers Jeux d'été, Tokyo veut frapper un grand coup et ouvrir un nouveau chapitre de l'histoire olympique. Un chapitre technologique. "Il s'agira des Jeux les plus novateurs de l'histoire", promettait Masa Takaya, porte-parole du comité d'organisation dès l'annonce de l'attribution des Jeux. Les mascottes Miraitowa et Someity, deux robots capables d'interagir avec l'homme, ont traduit ce discours en actes.
Depuis, toute la campagne de promotion et de préparation a été balayée par une pandémie mondiale. Les Jeux ont dû être reportés d'un an en attendant des lendemains meilleurs. Mais cet été, si le rendez-vous olympique va pouvoir se tenir, le prix à payer est élevé : pas de supporters et une population nippone inquiète des risques sanitaires.
Ces 32es Jeux olympiques modernes seront forcément particuliers. Loin des rêves originels du Japon, du symbole de la reconstruction après le drame de Fukushima en 2011, ils marqueront peut-être le point de départ d'un "monde nouveau". Ou, à défaut, une parenthèse sportive un peu plus enjouée dans un quotidien devenu anxiogène.
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