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JO 2021, au cœur de la culture japonaise : sport et mangas, une relation fusionnelle depuis 70 ans

Article rédigé par Hugo Monier, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Fresque d'une exposition de "Captain Tsubasa" dans un centre commercial de Shanghai, le 9 juillet 2019. (WANG GANG / IMAGINECHINA)

Alors que les Jeux olympiques de Tokyo approchent à grands pas, plongée dans la relation étroite et influente entre le sport et la culture manga. 

Au Japon, le sport fait partie intégrante de la culture manga, avec de nombreuses œuvres publiées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Un genre aussi influencé qu'influent, aux formes diverses mais aux codes bien établis, et qui ont permis de populariser l'archipel à travers le monde.

Olivier Atton et Mark Landers plus forts que Neymar et Cristiano Ronaldo ? Pour toute une génération de jeunes Français, sans doute. Le 5 septembre 1988, la France a découvert le premier épisode de l'anime Olive et Tom, l’adaptation animée du manga Captain Tsubasa de Yoichi Takahashi. Cette œuvre, toujours culte aujourd’hui, n’est qu’un des nombreux exemples de mangas mettant le sport en avant. Un genre loin d’être anecdotique dans l’histoire du média.

Un genre dominant pendant l’après-guerre

Le sport est étroitement lié à l’émergence du manga, après la Seconde Guerre mondiale, et les récits sportifs dominent les publications de l’époque. "Toutes les séries, les oeuvres liées aux samouraïs, aux militaires, aux choses épiques ont été mises de côté par les Américains lors de l'occupation (entre 1945 et 1952)", explique Bounthavy Suvilay, docteur en lettres modernes et spécialiste des mangas. "Il fallait faire oublier le passé immédiat et militariste des Japonais." Après le départ des Américains, le sport profite de l’appel d’air. "Parce que le sport servait de substitut à tout ce qui est récit épique, poursuit Bounthavy Suvilay. Le héros va se dépasser parce qu'il va lutter pour son équipe et pas seulement pour lui, comme le héros épique lutte pour son pays."

Pour trouver leurs histoires, les mangakas n'hésitent pas à s'inspirer du réel. "Dans les premiers magazines de mangas populaires, il y a toujours un mélange entre des figures sportives réelles et des mangas de sports, souligne Bounthavy Suvilay. On va avoir le meilleur lanceur de baseball en couverture, des sumos, etc." Les Jeux olympiques de Tokyo en 1964 marquent un boom des mangas de sport. L’épopée des volleyeuses japonaises, championnes olympiques pour la première apparition de la discipline aux Jeux, est massivement suivie et donne naissance à une vague de séries. Atakku No. 1 de Chikako Urano connaîtra le succès en 1968 et deviendra le premier anime de sport féminin. Le phénomène atteindra même la France des années plus tard avec un descendant indirect, Atakkā Yū! (1984). L’adaptation en anime pour la télévision prendra le nom de Jeanne et Serge sur notre territoire, et entraînera une hausse des inscriptions dans les clubs de volley-ball.

"Il y a une influence de la fiction sur la réalité et inversement, les deux vont ensemble”

Bounthavy Suvilay

Autre exemple dans les années 1980, avec le succès de Captain Tsubasa et son influence sur le développement du football. "L'engouement lié à ce manga a amené à la création d'autres mangas sur le foot, explique Bounthavy Suvilay. Toute une génération lisait Captain Tsubasa et les autres mangas de foot, et c'est ce qui a amené l'engouement pour le football au Japon, qui était très mineur jusque-là. Il y a une influence de la fiction sur la réalité et inversement. Les deux vont ensemble."

Entraînements et tournois, une formule inchangée

Le manga de sport évolue avec le temps, mais garde une structure quasi-intouchable. "Le genre est ultra-codifié, indique Bounthavy Suvilay. Il y a toujours deux phases importantes : la phase de l'entraînement, où arrivent des trucs incroyables à la limite du super-héros. Puis l'affrontement pendant le championnat, le tournoi. Les deux reviennent de façon régulière. C'est codifié dans le sens où c'est une représentation sur un ton emphatique de ce qui se passe dans la réalité. C'est cette emphase qui fait rêver les lecteurs."

Là où le sportif réel va faire 50 fois un exercice à l’entraînement, le sportif de fiction va le faire 500 fois. Si le boxeur s’entraîne avec un sac de frappe classique, celui du manga va être rempli de pierres. Et ainsi de suite, avec toujours plus d’originalité. Le football de Captain Tsubasa, avec sa “catapulte infernale” ou son gardien qui s’appuie sur le poteau pour repartir dans l’autre sens, ne ressemble pas vraiment au football pratiqué sur les pelouses de Ligue 1. Mais c’est ce qui fait son charme.

S’il est codifié, le manga de sport n’est pas fermé. Il va incorporer des éléments d’autres genres, comme de la romance, et en influencer. Dragon Ball d’Akira Toriyama (1984-95) reprend la structure du manga de sport, avec beaucoup de temps consacré aux entraînements du héros Goku et à différents tournois. "C'est une formule qui marche super bien, que ce soit dans un sport collectif ou un sport individuel, explique Bounthavy Suvilay. Le succès de Dragon Ball est né à partir du moment où il fait ce premier tournoi des arts martiaux. C'est une espèce de parodie des films de Jackie Chan et des mangas de sport avec de l'humour à la Toriyama. Mais c'est complètement épique, parce que l'épique est le cœur même du sport. Que ce soit le sport réel ou le sport fictif."

Même chose pour Ranma 1/2 de Rumiko Takahashi (1987-96), qui suit le quotidien d’un jeune spécialiste des arts martiaux, victime d’une malédiction qui le transforme en fille à chaque contact avec l’eau froide. Romance, comédie, arts martiaux, les genres se mélangent avec brio dans ce manga, où les intrigues amoureuses se résolvent à grands coups de pieds. Chaque élément du quotidien devient prétexte à un entraînement surréaliste, à un combat improbable.

À chaque sport son manga

Soixante-dix ans après ses débuts, le manga de sport a touché à quasiment toutes les disciplines possibles. Le baseball, sport national au Japon, a eu le droit à plus de 400 mangas dédiés selon le recensement de la revue Zoom Japon, contre environ 200 pour le football, 66 pour le sumo, 50 pour le tennis ou encore 34 pour le judo. Mais on retrouve aussi un manga dédié au kabaddi, un sport de contact indien, ou un autre aux courses de chevaux. Une quête d’originalité plus qu’une tentative d’aller chercher des lecteurs étrangers. "Les Japonais écrivent pour les Japonais, explique Bounthavy Suvilay. Pour qu'un manga perdure, il faut d'abord qu'il soit lu par des Japonais avant d'être lu par le reste du monde. Par contre, les auteurs ont des affinités. Un auteur va aimer le football américain ou trouver que c'est inédit, exotique."

Des œuvres qui correspondent parfois plus à l'image qu'un auteur se fait d'un sport, qu'au sport lui-même. "Il y a un manga sur la pratique de l'aviron, cite Bounthavy Suvilay en exemple. C'est très lié au fantasme de l'université anglaise, l'esthétisme d'Oxford, etc. Pour les Japonais, c'est quelque chose d'exotique et ils ont une oeuvre plus ou moins loufoque, plus ou moins proche de la réalité." Peu importe votre passion, un mangaka s'est probablement déjà penché dessus.

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