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JO 2021 : entre lassitude et colère, les Japonais sous le poids d’un événement devenu impopulaire

Alors que les Jeux olympiques débutent vendredi à Tokyo, la population est désabusée face au maintien coûte que coûte de l’événement.

Article rédigé par Apolline Merle, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Des Japonais posent derrière l'emblème des JO à côté du stade olympique à Tokyo, le 20 juillet 2021. (NAOKI MAEDA / YOMIURI / AFP)

Le début des Jeux olympiques de Tokyo n'a jamais été aussi proche. Après le report d'un an et les longs mois de doutes quant à une possible annulation, les JO débutent officiellement à Tokyo vendredi 23 juillet pour s'achever le dimanche 8 août. Et ce, malgré une nouvelle hausse des contaminations sur l‘archipel (plus de 2300 nouveaux cas par jour au 19 juillet), l'instauration le 8 juillet d'un nouvel état d'urgence sanitaire jusqu'au 22 août, et un ras-le-bol général.

Ce maintien de l'événement contre vents et marées lasse la population, la laisse dans l'incompréhension. "L'ambiance est à la résignation, au scepticisme. Tout le monde a l'air fatigué d'en entendre parler depuis des mois", confie Alexandrine, Française de 33 ans, installée à Tokyo depuis 7 ans. Une atmosphère que confirme Amy, une Japonaise de 27 ans, qui vit à Kanagawa, au sud de la capitale. "Nous, les Japonais, nous ne comprenons pas pourquoi les Jeux olympiques ont lieu malgré toutes les restrictions imposées."

La colère d'un peuple excédé

Ce constat est loin d'être un cas isolé. Dans un sondage publié le 17 mai dernier, plus de 80 % des Japonais ont affirmé leur opposition à l'organisation des Jeux cet été. À tel point qu'une pétition, lancée sur le site change.org et intitulée "Annuler les Jeux olympiques de Tokyo pour protéger nos vies", a récolté plus de 457 000 signatures au 20 juillet. "Les pétitions en ligne ne sont pas très répandues au Japon, mais celle-ci fait partie des plus signées", précise Amy. Beaucoup de Japonais ne voient en effet plus d'intérêt à organiser les Jeux, et préféreraient "que le gouvernement mette en place des mesures efficaces contre le covid, et vaccine la population, au lieu de se concentrer sur la tenue des Jeux", estime Alexandrine.

Pénurie de vaccin

Plus que l'incompréhension, c'est aussi la colère qui envahit les habitants face à ce sentiment d'abandon. Les efforts demandés à la population ne passent plus. "Les Japonais sont en colère car ils se privent depuis des mois. Ils ont une vie sociale restreinte et n'ont pas vu leurs proches depuis le début de la pandémie pour certains. Depuis novembre dernier, nous n'avons eu qu'un seul mois sans état d'urgence, et les Japonais respectent à la lettre les mesures prises par le gouvernement. Et tout le monde sait que l'état d'urgence a été remis en place pour les JO", explique Caroline Gardin, journaliste française freelance basée à Tokyo.

Ce climat déjà amer est aussi accentué par la pénurie de vaccin que connaît actuellement l'archipel. Alors que la vaccination s'est accélérée début juin, elle pourrait subir un coup d'arrêt, après que le gouvernement l'a démarrée tardivement. Seul 21,7% de la population a reçu ses deux doses au 18 juillet, et 33,8% la première injection. Malgré cela, "les JO restent la priorité", insiste Caroline Gardin.

Le ras-le-bol est donc général. Même pour ceux qui étaient heureux d'accueillir les Jeux. "À l'époque, j'étais l'une des personnes qui attendaient vraiment avec impatience les Jeux olympiques de Tokyo, mais avec l'instauration de l'état d'urgence et la pression exercée sur les hôpitaux, je crois fermement que les Jeux olympiques ne devraient pas avoir lieu", confie Amy, lassée. Pour la jeune femme, malgré toutes les précautions prises par les organisateurs pour contenir la propagation du virus, il est évident que l'accueil de l'événement aura des répercussions sanitaires négatives sur l'archipel. "Vaincre la pandémie et accueillir les Jeux olympiques ne peut pas être géré en même temps", s'agace-t-elle encore.

"Accueillir les Jeux n'est pas ou plus une fierté"

Pourtant, il s'agit bien de la stratégie choisie par le gouvernement. Mais la pandémie aura eu raison de l'intérêt des Japonais pour leurs Jeux. "Ce n'est plus un événement populaire, analyse Caroline Gardin. L'intérêt de la population a vraiment décliné à partir de l'annonce du report. Même les lieux qui devaient fédérer autour des JO, ont été mis au second plan."

Pour tenter de rallier une partie de l'opinion publique japonaise à leur cause, les organisateurs ont essayé d'ériger le maintien des Jeux en victoire de la nation entière face au virus. Mais la recrudescence de nouveaux cas a fait éclater cet idéal. "Il a été annoncé que ces JO seraient vu comme la victoire contre le virus, mais le covid est toujours d'actualité et nous sommes de nouveau en état d'urgence sanitaire. Pour la plupart des gens que je connais, c'était une annonce un peu inutile. Accueillir les Jeux n'est pas ou plus une fierté", tranche Alexandrine, et même plutôt, "une source d'inquiétude immense pour les Japonais", ajoute Caroline Gardin.

Scandales en série

Les scandales en cascade ont terni depuis plusieurs mois encore un peu plus l'image de ces JO non-désirés. Après les démissions du président du comité olympique japonais Tsunekazu Takeda pour corruption en 2019, du président du comité d'organisation de Tokyo 2020 Yoshiro Mori pour commentaires sexistes, celle du directeur artistique des cérémonies d'ouverture et de clôture Hiroshi Sasaki pour des propos grossophobes envers une comédienne japonaise, un nouvel acteur des Jeux a été contraint de se retirer.

Keigo Oyamada, en charge de la composition musicale des JO, a démissionné lundi 19 juillet pour avoir harcelé des handicapés dans sa jeunesse. Ces révélations avaient déjà été publiées dans les années 1990 dans des magazines musicaux japonais. La résonance des faits n'avait alors été que de courte portée. Mais aujourd'hui, ces propos, de nouveau diffusés, ont largement fait réagir. "Avec la multiplication de tous les scandales, il y a l'idée que les JO soulèvent toutes les parts sombres de la société japonaise, alors que le pays prône des valeurs de bienveillance et de tolérance. Tout est contradictoire dans la gestion des Jeux, et cela énerve la population", appuie Caroline Gardin. 

À tel point que "l'événement commence même à faire honte au pays", poursuit la journaliste. "Je suis très en colère que le gouvernement pense d'abord aux Jeux qu'au peuple", lance Amy face à tous ces scandales. Dans un tel climat d'hostilité, les JO ont-ils encore une chance de susciter l'intérêt des Japonais une fois l'édition 2021 lancée ? Rien n'est moins sûr. 

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