JO 2022 : des stations de sports d'hiver mais pas de champion, les limites du modèle chinois
En parallèle des Jeux olympiques de Pékin, c'est toute la Chine qui s'éveille aux sports d'hiver depuis une dizaine d'années. Avec plus ou moins de succès.
En 1996, la Chine ne comptait qu'une seule station de ski. On en dénombre aujourd'hui près de 800, soit deux fois plus qu'en France. Un chiffre qui a été multiplié par 4 sur la dernière décennie. Plus qu'un événement sportif, les Jeux olympiques d'hiver de Pékin – première ville à accueillir les JO d'hiver après ceux d'été en 2008 – ont été perçus par les autorités chinoises comme l'opportunité de développer un nouveau secteur économique.
Alors que le tourisme représente déjà 10% du PIB chinois, Xi Jinping a fixé la barre très haut : le président chinois vise les 300 millions de skieurs chinois en 2030. Comme souvent, la République populaire de Chine voit très grand pour ses ambitions sur l'or blanc. Mais dans les faits, ce grand bond en avant, formule célèbre de Mao Zedong, du ski n'est pas si simple.
Le sport comme signe de puissance
Pour analyser ce développement titanesque et rapide des sports d'hiver en Chine, il faut d'abord s'interroger sur les motivations du gouvernement. La principale : c'est l'image que renvoie l'empire du Milieu grâce au sport en général. Une image qui a considérablement évolué grâce aux Jeux d'été de Pékin en 2008. "La Chine a compris ce qu'elle a à gagner en investissant dans le sport et l'olympisme, quitte à faire face à ses propres contradictions en participant à des compétitions où Taïwan participe aussi. Le softpower est capital dans la stratégie chinoise", éclaire Lukas Aubin, géopolitologue spécialiste du sport.
Mais ce n'est pas tout. En vérité, depuis sa naissance, le régime communiste noue un lien particulier avec l'olympisme. Et pour cause : en 1954, le CIO devient la première instance internationale à reconnaître le régime de Mao Zedong, cinq ans après la fin de la guerre civile. Ce qui ouvre le pas à la reconnaissance progressive de la Chine communiste par la communauté internationale. De fait, depuis cette époque, le sport s'est peu à peu mué en instrument de démonstration de la montée en puissance de la Chine sur la scène internationale.
"Les premiers succès de la Chine sont aux JO de 1984 à Los Angeles, boycottés par l'URSS. La Chine est 4e au classement des médailles et s'impose alors comme puissance sportive", raconte Lukas Aubin. Il ajoute : "Les politiques chinois vont dire que le sport doit être pris comme un élément très positif pour améliorer l'image du pays à l'international, et pour montrer les succès internes. Tout cela est validé par l'obtention des JO 2008, qui consacre la Chine comme l'une des principales puissances sportives de la planète".
Quatorze ans après le triomphe de 2008 – la Chine domine pour la première fois le tableau des médailles – place à des Jeux d'hiver qui s'annoncent bien moins glorieux pour les athlètes chinois.
L'émergence d'une classe moyenne
En 2022, on devrait être loin de la démonstration de 2008. D'abord parce que les choses ont changé entre-temps :"Il y a quelques années, il y avait une vraie volonté de la Chine de montrer qu'elle pouvait organiser des grands évènements. Maintenant c'est fait. Ce volet politique est beaucoup moins important. C'est évidemment flatteur de faire les JO d'hiver en Chine, mais c'est beaucoup moins important que Pékin en 2008, surtout avec le boycott", analyse Jean-Louis Rocca, sociologue spécialiste de la Chine.
Il ajoute : "La Chine a profondément reculé sur ces questions de présence sur le sport international. Il y avait de grandes ambitions, notamment pour l'équipe de football. Mais c'est une catastrophe absolue avec pas mal de corruption et de problèmes. Sur le ski c'est encore plus compliqué. Il n'y a pas de champions chinois, et on est loin d'en avoir".
Au-delà de l'organisation des Jeux, le développement des sports d'hiver en Chine envoie un autre message : celui d'un pays suffisamment développé pour avoir une classe moyenne qui découvre les joies de la glisse. Jean-Louis Rocca développe : "Ça commence tout à la fin des années 1990, quand les Chinois se sont mis à avoir des vacances et à entrer dans la société de consommation. Il fallait en faire des consommateurs. De là s'est développée toute une industrie du tourisme avec l'aménagement de sites touristiques. Et puis des gens se sont lancés dans le ski."
Si le sport a longtemps été un "outil d'émancipation du joug bourgeois", comme l'explique Lukas Aubin, le ski est lui le symbole d'une Chine moderne, aisée, et mondialisée dont l'objectif est d'être la plus grande puissance mondiale dans tous les domaines en 2049, pour le centenaire de la révolution communiste. "En dehors des victoires sportives, avoir une classe moyenne qui va au ski, c'est signe d'une société prospère. Il n'y a aucune culture ski à la base en Chine, comme pour le football d'ailleurs, c'est créé de toutes pièces", note Lukas Aubin. Et en pratique, ça se voit dans le développement pharaonique des stations chinoises.
Un modèle chinois hybride
Pour créer son réseau de stations de ski, la Chine a d'abord pris le temps d'analyser les différents modèles autour du monde. Une habitude locale, explique Lukas Aubin : "La Chine a longtemps observé et reproduit le mode de fonctionnement soviétique. Dès les années 1960, la Chine s'est éloignée de l'URSS et a cherché de nouveaux alliés avec la fameuse diplomatie du ping-pong : des rencontres entre joueurs chinois et américains qui ont abouti à une rencontre entre dirigeants chinois et américains".
En libéralisant son sport pour s'ouvrir au monde occidental, tout en conservant sa tradition et les héritages soviétiques, la Chine a alors donné naissance à un modèle syncrétique qui prend le meilleur des autres modèles, à l'image de son régime mêlant communisme et capitalisme.
Sauf qu'en ski, malgré les nombreux partenariats avec les pays occidentaux de sports d'hiver (envoi de moniteurs, jumelages de stations, etc), ce n'est pas si simple. "Toutes les grandes nations de sport d'hiver ont des équipes, des structures depuis le début du XXe siècle, rappelle Jean-Louis Rocca. C'est un peu compliqué de sortir des équipes chinoises du chapeau en dix ans surtout qu'ils n'ont pas encore l'équipement pour ça".
Et le sociologue de dépeindre le réseau de stations de l'empire du milieu : "Le tourisme blanc en Chine est destiné aux débutants. Ce sont des stations pour apprendre aux gens à faire du ski, parce qu'il n'y a pas du tout de culture ski. Les Chinois y vont pour le ski, mais aussi pour manger, faire du shopping, aller au spa, etc." Le tout dans des grosses collines où la neige naturelle se fait rare. On est loin des immenses domaines des Alpes.
Dans ces conditions, difficile pour la Chine de sortir des athlètes médaillables skis au pied pour ces Jeux de Pékin. En dehors du patinage artistique, ou du freestyle, les ambitions chinoises seront mesurées dans ces Jeux. "Ça n'intéresse pas les Chinois. Ils s'intéressent aux sports où la nation est forte. Ils vont peut-être jeter un œil comme ça, mais ce n'est pas du tout le grand enthousiasme", annonce Jean-Louis Rocca, "Les Chinois sont sportifs, mais pas supporters".
Encore moins pour des Jeux où la délégation chinoise ne brillera pas au tableau des médailles. "Ils vont reporter le succès de ces Jeux sur le côté sanitaire, pour montrer qu'ils ont réussi à organiser des Jeux propres, sans contamination. Ce sera ça la fierté des Chinois : que tout se passe bien", annonce le sociologue. De toute façon, ce sera bien là le seul espoir d'un peuple qui découvre le ski depuis dix ans à peine. La preuve quand on demande à Luc Alphand son avis sur les chances de médaille chinoise en ski alpin : "Aucun espoir. S'il y a une médaille chinoise en ski alpin, je reviens à pied de Pékin. Vous pouvez le noter !". L'ancien vainqueur de la Coupe du monde peut commencer à enregistrer son vol retour.
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