JO 2024 : quête de l'amour, passion pour les muffins... Comment la vie au village olympique est devenue une téléréalité sur les réseaux sociaux

Article rédigé par Lucie Beaugé
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Depuis le début des JO de Paris 2024, les athlètes se mettent en scène au village olympique et partagent leurs vidéos sur TikTok. (DELLY / HENRIK CHRISTIANSEN / ANIA WEGRZYN / TIKTOK)
Depuis le début de la compétition, les athlètes partagent leur quotidien jusqu'aux anecdotes les plus intimes. Un moyen pour eux de désacraliser leur image et de se faire connaître du grand public.

Son appétit pour les muffins au chocolat enflamme plus les réseaux sociaux que ses performances. Le nageur norvégien Henrik Christiansen, désormais surnommé "Muffin Man" (y compris sur Wikipédia), ne tarit pas d'éloge pour cette pâtisserie servie à la cantine du village olympique. Au point que, sur TikTok, le sujet est devenu une trend ("tendance" en français) reprise à tout-va par les athlètes. D'autres objets du village ont pris la lumière ces derniers jours, comme les lits, avec des défis loufoques visant à tester la solidité des matelas. Le Sud-Africain Vincent Leygonie s'est carrément filmé en train de rouler dessus avec un BMX.

Depuis le début des JO de Paris, de nombreux sportifs se sont mis à partager, entre deux épreuves, leur quotidien dans le village olympique. Ils donnent à voir, sur les réseaux sociaux TikTok et Instagram principalement, la vie en communauté sur le site de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Des vidéos qui permettent de les humaniser et de faire oublier leur statut de sportif olympien. "Si la télévision montre l'athlète en tant que corps qui accomplit une performance, les réseaux sociaux permettent d'accéder au sportif en tant que personne à part entière", analyse la sociologue des médias Nathalie Nadaud-Albertini. 

Des scènes d'intimité partagées

Parmi les athlètes qui postent avec régularité, la joueuse de tennis australienne Daria Saville s'est fait remarquer. Sa spécialité : se filmer dans les lieux du quotidien, chez le coiffeur du village, à la laverie, ou encore à l'accueil de sa résidence, à la recherche de papier toilette. "Est-ce que je peux avoir trois rouleaux ?" demande-t-elle. La boulangerie n'a également plus de secret pour les internautes, tant elle a été filmée par les sportifs, y compris tricolores, alors que la baguette leur est familière. Quant à la cantine, qui suscite des critiques gastronomiques, elle fait aussi régulièrement l'objet de vidéos. L'escrimeur italien Alessio Foconi se plaint notamment d'assiettes trop vides à son goût. Devant le stand de cuisine asiatique, il s'exclame : "Les raviolis, je ne peux en prendre que trois, donc c'est une belle torture !"

@alessiofoconi Che ci crediate o no mangiamo anche #olympics #paris2024 #cibo @italiateam @Federscherma ♬ suono originale - ducketto89

Depuis le début des JO, Nathalie Nadaud-Albertini remarque que les athlètes adoptent un ton "très festif et humoristique", permettant de déconstruire l'imaginaire du sportif qui serait uniquement focalisé sur ses résultats en période de compétition. "Mais les JO, en fait, c'est un grand camp de vacances pour des jeunes adultes", commente un internaute sous une vidéo de la judoka française Romane Dicko, qui joue au uno avec des Canadiens.

D'autres moments où les athlètes font communauté ont été immortalisés, comme celle d'un volontaire qui joue du piano, accompagné d'athlètes jamaïcaine et australienne. Une scène qui rappelle la "Star Academy", lorsque les candidats se réunissent dans le salon.

@matthijsfortiman

In the Olympic Village today… sports brings people together.

♬ origineel geluid - matthijsvoortman6

Pour autant, la vie au village olympique contée par ses résidents est-elle comparable au narratif d'une émission de téléréalité ? Pour Valérie Rey-Robert, essayiste féministe spécialiste du sujet, "les codes de l'intimité" sont repris au village, "jusqu'à l'anecdote la plus banale", à l'instar du muffin. Les athlètes se confient aussi sur la manière dont ils vivent psychologiquement ces Jeux olympiques et le quotidien dans le huis clos qu'est le village. Une attitude qui rappelle "les passages au confessionnal" d'émissions comme "Secret Story", note Nathalie Nadaud-Albertini.

Mais la sociologue pointe aussi deux points de rupture avec les codes de la téléréalité : d'une part, les athlètes ont la main sur ce qu'ils veulent montrer, puisqu'ils ne sont pas filmés 24h/24 ; d'autre part, il est "difficile de les imaginer filmer eux-mêmes des disputes", alors que la culture du clash règne en maître dans ces programmes.

@ilonamaher Here to cause a ruckus @paris2024 @Team USA @SKIMS @Love Island USA @Love Island ♬ original sound - Ilona Maher

Certains athlètes s'amusent de la dimension téléréalité que peut représenter le village olympique. Sur TikTok, la joueuse de rugby à 7 américaine Ilona Maher se filme entrant dans sa chambre et imitant une voix off qui annonce qu'"une bombe vient d'entrer la villa". Sur Instagram, la joueuse a aussi déclaré, avec beaucoup de second degré, partir "à la recherche de l'amour" sur le site de Saint-Denis. Et écrit dans sa description : "Est-ce qu'il y a réellement une différence entre 'Love Island' [émission de téléréalité basée sur les relations amoureuses] et le village olympique ?"

Une communication maîtrisée

Sur les réseaux sociaux, les internautes semblent conquis par ces contenus, en témoignent les nombreuses vidéos qui dépassent le million de vues. "J'adore voir ce point de vue des Jeux olympiques. Merci pour le partage", commente l'un d'eux. Un attrait que les athlètes ont bien compris. Pour Valérie Rey-Robert, cela peut être "un moyen comme un autre pour les athlètes de se faire connaître du public et des sponsors"

"Ces vidéos peuvent plaire à ceux qui ne sont, à la base, pas intéressés par les Jeux olympiques. C'est une porte d'entrée qui peut ensuite leur donner envie de regarder les épreuves sportives."

Nathalie Nadaud-Albertini, sociologue des médias

à franceinfo

"Il y a aussi un aspect générationnel à ne pas négliger. Comme tout jeune, ces sportifs utilisent les réseaux sociaux par plaisir", ajoute Valérie Rey-Robert. Interrogé par franceinfo, le sociologue et historien du sport Eric Monnin, spécialiste de l'olympisme, y voit également une manière de "maîtriser leur image". Si le village olympique a toujours été un objet de curiosité, sa médiatisation sur les réseaux s'est encore accentuée depuis les Jeux de Tokyo en 2021. Eric Monnin n'est pas étonné : "Le village olympique subit les mutations de la société dans son ensemble. Les femmes y ont eu accès pour la première fois en 1956. Depuis les années 2000, il s'est fortement tourné vers l'écologie. Cette fois, il est complètement entré dans l'ère de l'instantanéité."

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.