: Enquête franceinfo Paris 2024 : à un an des Jeux olympiques, faut-il craindre une "bulle Airbnb" sur le marché immobilier de la capitale ?
"Je me suis tout de suite dit : 'Il faut que j'achète un canapé convertible.'" En mai 2022, Emmeline, 28 ans, acquiert un appartement de 50 m2 à Nanterre (Hauts-de-Seine), avec une idée en tête : le rénover pour pouvoir le louer pendant les Jeux olympiques 2024. "C'est une opportunité à ne pas louper ! J'ai tout refait pour qu'il soit moderne, confortable et accessible", se félicite la jeune femme. Situé entre une gare de RER et la salle La Défense Arena, l'appartement pourra accueillir quatre personnes. "Je me dis que je peux me faire au moins 1 000 euros par semaine", estime cette responsable marketing. Et elle n'est pas la seule à vouloir profiter de cette manne financière providentielle.
A plus d'un an des JO de Paris, pas moins de 20% des Franciliens déclarent vouloir héberger des touristes sur Airbnb, selon une étude de l'Ifop. Environ 130 000 logements pourraient ainsi être proposés via la principale plateforme de locations de meublés touristiques. Une offre bienvenue afin d'accueillir les 15,9 millions de visiteurs cumulés attendus dans la capitale et sa région pendant les Jeux olympiques et paralympiques, selon l'office de tourisme de Paris.
" La location de meublés touristiques devrait permettre d'absorber en grande partie de ce fort choc positif de demande d'hébergements", analyse Julie Le Gallo, professeure d'économie à l'Institut Agro Dijon et spécialiste de l'immobilier. " Ce levier permet aux villes organisatrices d'utiliser des logements existants au lieu de construire de nouveaux hôtels qui seraient potentiellement sous-utilisés après les Jeux." Mais cet effet d'aubaine pourrait également avoir des conséquences sur le marché de l'immobilier parisien.
"C'est inédit dans l'ampleur"
Au standard de GuestReady, un service de conciergerie pour les locations de courte durée, les mots magiques "Jeux olympiques" sont déjà sur toutes les lèvres. "Les trois quarts des personnes qui nous contactent parlent des JO", explique Raphaël Oren, directeur général France de l'entreprise. " C'est inédit dans l'ampleur. On n'a pas eu d'événement similaire en France ces dernières années."
Si les Parisiens et les Franciliens sont si nombreux à réfléchir à louer leur logement, c'est que les tarifs pourraient bien grimper en flèche pendant les Jeux olympiques. En moyenne, un hôte qui met à disposition son logement sur Airbnb devrait toucher environ 221 euros de revenus bruts par nuit durant l'été 2024, contre 119 euros habituellement, selon une étude du cabinet Deloitte citée par la plateforme.
Cette augmentation des prix de 85% a été calculée sur la base de la hausse constatée du prix des chambres d'hôtels à Londres (Royaume-Uni) lors des Jeux olympiques de 2012. "A cette époque, le phénomène de ces plateformes collaboratives comme Airbnb commençait à peine, cette extrapolation doit donc être prise avec des pincettes", nuance Julie Le Gallo.
Sur Airbnb, les prix flambent déjà
Chez GuestReady, on estime que la hausse des tarifs devrait être encore plus importante pour les logements haut de gamme gérés par la conciergerie. "On espère des prix deux fois supérieurs à ceux d'un été normal", précise le directeur général France, Raphaël Oren. De quoi donner des idées à ceux qui peuvent se permettre d'investir, juge Marie Breuillé, chercheuse en économie à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae).
"Les JO, en raison de l'envolée des prix, pourraient faire sauter le pas à de nombreux propriétaires parisiens qui n'osaient pas se lancer dans la location de meublés de tourisme."
Marie Breuillé, chercheuse en économie à l'Inraeà franceinfo
Les prix constatés directement sur la plateforme sont, eux, encore plus élevés. Prenons un exemple. Deux voyageurs qui souhaiteraient passer une nuit dans un logement à Paris pour la cérémonie d'ouverture, du 26 au 27 juillet 2024, devraient débourser 523 euros, selon les données que nous avons collectées sur 230 annonces publiées sur Airbnb pour cette période, lors de notre relevé effectué le 24 juillet 2023.
Une somme bien plus importante qu'en dehors de la période des Jeux olympiques. Une semaine plus tôt, pour la nuit du 19 au 20 juillet 2024, ces deux voyageurs n'auraient à dépenser que 154 euros pour se loger, selon ces mêmes données. Du côté d'Airbnb, on nuance ces chiffres en expliquant que les annonces actuellement visibles sur la plateforme sont celles qui n'ont pas encore trouvé preneur, et on ajoute que la grande majorité de l'offre n'est pas encore disponible. Malgré nos demandes, Airbnb n'a pas souhaité nous transmettre les prix des biens déjà loués sur la période des Jeux olympiques.
Un engouement à double tranchant
Si son ampleur précise est encore difficile à déterminer, l'effet d'attractivité des Jeux olympiques a bel et bien commencé, un an avant les JO. "La formation d'une bulle n'est pas à exclure et elle se renforcera sans doute à mesure que l'on se rapprochera du début des Jeux et que l'offre de meublés de tourisme diminuera", analyse Julie Le Gallo, professeure d'économie à l'Institut Agro Dijon.
Un engouement à double tranchant pour les autorités. Ces dernières années, le développement des locations de meublés touristiques est pointé du doigt par de plus en plus de communes victimes d'une tension croissante sur le logement, à l'instar de Biarritz (Pyrénées-Atlantiques) ou de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine). À Paris, l'effet d'aubaine des Jeux olympiques pourrait accentuer ce phénomène.
"Le problème, ce n'est pas le propriétaire qui loue son appartement quelques nuits pour mettre du beurre dans les épinards", prévient d'entrée de jeu l'adjoint de la mairie de Paris au logement, Ian Brossat. "Le problème, ce sont ceux qui se professionnalisent et qui achètent des biens à dessein pour ne faire que de la location de meublés touristiques."
Effet inflationniste sur les prix et les loyers
Les Jeux olympiques pourraient servir de tremplin à cette tendance. "Après les Jeux, il y aura probablement des endroits où la rentabilité sera telle qu'il sera plus intéressant de continuer à mettre son logement sur Airbnb, d'autant plus si l'expérience de location pendant les Jeux a été concluante", explique Julie Le Gallo. Le nombre de locations saisonnières pourrait ainsi continuer de grimper. Elles représentaient déjà 6% du parc total de logements parisiens en 2019, selon l'Institut Paris région, contre 1% en petite et grande couronne.
Or, la densité de locations de meublés touristiques a des conséquences directes sur le marché de l'immobilier, renchérit Marie Breuillé. "D'après les premiers résultats de notre étude, la hausse de 1% de la concentration de locations Airbnb a augmenté jusqu'à 11% les prix des ventes immobilières en France sur les deux années pré-Covid", expose la chercheuse en économie.
Cette orientation s'observe aussi sur le prix des loyers, selon une autre étude, publiée en janvier 2019. "Nous avons montré qu'une hausse d'un point de pourcentage de la densité d'annonces de meublés touristiques a augmenté le montant des loyers de 0,52% à Paris. La hausse atteignait même 1,24% quand on se focalisait sur les seules annonces mises en ligne par des professionnels", explique Marie Breuillé.
Paris, ville-musée ?
Une tendance qui inquiète les associations de défense du droit au logement. "Si vous pouvez attendre un rendement important grâce à Airbnb, cela fait monter le prix à l'achat et cela raréfie l'offre de résidences principales à l'année", alerte Manuel Domergue, directeur des études à la Fondation Abbé Pierre. "Ce n'est pas seulement lié aux Jeux olympiques. Ce qui est inquiétant, c'est que certains aient ce raisonnement avec les JO et se disent qu'ils peuvent le faire tout le temps."
"Il faut ramener Airbnb à sa juste mesure. Cela peut être utile de temps en temps, mais si ça prend la place des habitants, ça ne va pas."
Manuel Domergue, directeur des études à la Fondation Abbé Pierreà franceinfo
Face à ce risque, la mairie de Paris a multiplié les restrictions. "Nous avons saisi tous les leviers qui existent !", affirme l'adjoint au logement, Ian Brossat. Le dernier en date : interdire la création de nouveaux meublés touristiques dans un certain nombre de quartiers déjà saturés, comme le Marais ou Montmartre. "Il n'y aura pas de répit pendant les JO, les règles s'appliqueront et les contrôles de la ville continueront", prévient l'élu communiste.
Interrogé à ce sujet, Airbnb assure que plus de 75% des annonces louées sur leur plateforme en 2022 à Paris étaient des résidences principales ou des chambres chez l'habitant, et rappelle que la France possède déjà le cadre réglementaire "le plus développé en Europe" en la matière. Reste que les Jeux olympiques pourraient tout de même encore amplifier ce type de locations dans la capitale. L'enjeu est de taille, selon l'économiste Julie Le Gallo : "La question qui se pose est de savoir si l'on veut faire de Paris une ville patrimonialisée pour les touristes, ou une ville dans laquelle on peut encore habiter."
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