JO de Paris 2024 : la chasse aux sponsors, nouvelle discipline olympique pour des athlètes contraints de jouer les influenceurs
"L'année dernière, j'ai performé pour zéro euro." Meba-Mickaël Zézé a pourtant carburé en 2022, avec un chrono sous les 10 secondes au 100 mètres au meeting de La-Chaux-de-Fonds, en Suisse. Le meilleur sprinteur français aux bilans mondiaux se débrouillait sans sponsor et sans subsides de l'Etat. Alors, l'athlète a lancé une cagnotte, qui se traîne à un rythme d'escargot (6 000 euros collectés sur les 50 000 espérés, grâce à quelque 250 donateurs en six mois).
Le sprinteur de 29 ans veut y voir un signe encourageant : "J'ai besoin de sentir un mouvement populaire derrière moi. Le fait que des gens que je ne connais pas m'envoient de l'argent, parfois sans même passer par la cagnotte, ça m'a beaucoup touché, ça me surmotive. Mon message a touché beaucoup de gens qui s'imaginaient que ce n'était pas ça le quotidien d'un athlète de haut niveau." Et pourtant si. Même dans le fameux sport roi qu'est l'athlétisme. Même en France. Même à un an des Jeux olympiques de Paris, qui débuteront dans un an jour pour jour, le 26 juillet 2024.
Ces Jeux, Mathilde Andraud les verra à la télé. Pas à cause d'un manque de niveau, mais bien à cause d'un manque d'argent. "Toute ma carrière, j'ai été aidée par mes parents", soupire la championne âgée de 34 ans. Elle parle déjà au passé de sa carrière, marquée par une palanquée de titres de championne de France de lancer du javelot entre 2012 et 2016, avec à la clé une qualification aux Jeux de Rio. Si la fédération paye son billet d'avion et son hébergement sur place, ce n'est pas le cas pour son entraîneur. Elle met alors sur pied une campagne de crowdfunding.
"Certes, j'ai levé 4 000 euros. Mais ce sont surtout mes potes qui se sont cotisés."
Mathilde Andraud, ex-championne de France de lancer de javelotà franceinfo
Embarquée dans des études à rallonge pour devenir kiné, elle ne peut pas prendre un job en plus de sa carrière sportive. Son niveau ne lui permet pas de toucher durablement les aides fédérales. Et quand elle tape à la porte des sponsors, "ils regardaient combien de followers j'avais sur les réseaux sociaux. Et clairement, quelques milliers, ce n'était pas assez pour eux. Quand j'allais à la salle, je me retrouvais à côté de nanas qui font du cross-fit et qui recevaient des vêtements à la pelle." Alors Mathilde Andraud a décroché, de guerre lasse. "J'ai eu mon diplôme en 2014, et la première année où j'ai été imposable, c'est sur les revenus de 2018. Vous vous rendez compte ?"
"C'est devenu un deuxième job"
Une situation loin d'être isolée. Aux Jeux olympiques de Rio, Dimitri Bascou a remporté une belle médaille de bronze sur le 110 mètres haies. Le hurdleur français pensait avoir franchi un palier en termes de notoriété et de contrats de sponsoring. Il a vite déchanté. "C'est compliqué de négocier avec un équipementier pour demander plus. Les marges de manœuvre sont réduites. Et il ne faut pas croire qu'on peut faire jouer la concurrence. Nike, Puma, Adidas, ils connaissent tous la grille tarifaire des uns et des autres et aucun ne va casser le marché."
Résultat : celui qui connaît une très belle deuxième partie de carrière se retrouve sans équipementier et sans sponsor majeur. La faute, entre autres, à une présence numérique jugée insuffisante. "C'est presque devenu un deuxième job. Je devrais y penser en allant à l'entraînement. J'aimerais pouvoir m'en passer." Mais il n'a pas le choix. Pourtant dix ans plus jeune que le hurdleur français et surtout champion du monde du 200 m l'an dernier à Eugene (Oregon), le sprinteur américain Noah Lyles a posé l'équation auprès du Guardian : "Je pensais que mon job, c'était de courir. Mais non, c'est de faire vendre des chaussures."
C'est le jour où son antique Peugeot a rendu l'âme que Margot Chevrier a franchi un cap sur les réseaux sociaux. Elle tourne une vidéo, légendée ainsi : "Je vais avoir du mal à sauter à la perche dans mon salon si je ne peux plus aller au stade." La championne de France de saut à la perche, redevenue piétonne, fait le tour des concessions qui entourent le stade de Nice où elle s'entraîne. "J'avais bien ficelé le dossier, j'avais l'accord d'un concessionnaire d'un grand groupe européen, séduit par la visibilité que pouvait donner une voiture floquée à mon nom avec mes perches sur le toit, ce qui ne passe pas inaperçu." Le siège de la marque en question, à Paris, bloque finalement le projet. Raison invoquée : la championne ne "pèse" pas assez sur les réseaux sociaux.
Une dure leçon pour Margot Chevrier qui, depuis, a fait de gros progrès (et récupéré une Toyota). Elle s'inspire des stories et des reels (des vidéos courtes et amusantes) qui cartonnent sur Instagram pour les revisiter à sa sauce. Lors de son dernier stage, elle embarque dans ses bagages un photographe plutôt qu'un kiné et revient avec "180 Go de contenus, de quoi voir venir pour programmer les posts en avance. Et tant qu'à faire, ne pas monter une vidéo dans la chambre d'appel des championnats de France."
A force de travail, celle qui concilie saut à la perche et études de médecine frôle les 17 000 abonnés sur Instagram. "Dont 85% de mecs. Et on va pas se mentir, il y en a un paquet qui ne sont pas spécialement fans de saut à la perche", reconnaît la championne. "Par rapport à ce que postent les athlètes américaines, j'en ai encore vu une tout à l'heure qui twerke sur un paddle... Ce que je poste sur les réseaux, c'est sage. Je fais un sport photogénique où je saute en culotte, pourquoi j'en aurais honte ?"
Les JO se jouent désormais sur LinkedIn
Instagram et LinkedIn sont les deux réseaux sociaux où les athlètes doivent "percer" pour plaire aux annonceurs – et glisser des placements produits plus ou moins discrets par l'image. "On a eu une formation organisée par la Fédération française, et ils nous ont conseillé d'être toujours positifs, de ne pas donner notre avis, de rester lisse..." Mais ce n'est pas du tout le style du coureur de demi-fond Hugo Hay, au ton décontracté sur Instagram et très (très très) décontracté sur Twitter (comme vous pouvez le lire ci-dessous). "LinkedIn, j'y suis parce qu'il faut y être, mais ce n'est vraiment pas mon truc", lâche-t-il. Le demi-finaliste du 1 500 mètres au derniers Jeux est allé frapper aux portes des entreprises de son département pour arrondir ses fins de mois. Quitte à troquer son éternel jogging. "Ça va, j'ai évité le costume-cravate, ça aurait sonné faux. Jean-chemise, c'est amplement suffisant."
Quelques posts et quelques interventions en entreprises sont le prix de la tranquilité d'esprit. Enfin presque. "Une fois, un de mes sponsors m'a reproché un post sur Facebook. Mon Facebook privé en plus. C'était au moment de la motion de censure contre la réforme des retraites..." Et sur Twitter ? "Non, Twitter, je ne le montre pas trop à mes sponsors. Il ne vaut mieux pas...", sourit celui qui s'est fait attraper par le CIO pour un gazouillis de fin de soirée arrosée pendant les Jeux de Tokyo.
"S'occuper de ses réseaux sociaux, penser comme un community manager en plus d'être un patron de PME, c'est devenu un pré-requis pour les athlètes d'aujourd'hui", explique Karim Bashir, ancien escrimeur britannique, qui a rédigé un cours en ligne sur la plateforme Athlete365 du CIO pour aider les athlètes à joindre les deux bouts. "Clairement, un sportif a beaucoup plus de choses à penser qu'à mon époque", abonde Emma Terho, ancienne hockeyeuse finlandaise devenue présidente de la Commission des athlètes du CIO. Le programme, qui propose des tutos Facebook comme des pistes pour créer sa marque ou penser sa reconversion, a rencontré un large succès : 80% des athlètes participant aux Jeux de Tokyo y étaient inscrits et, depuis 2021, le nombre d'adhérents "a augmenté de 50%". Parmi les facilités proposées pour aider les athlètes à exister sur les réseaux, un accord avec Meta (maison mère de Facebook et Instagram) pour obtenir un compte certifié en deux temps trois mouvements, ainsi que la possiblité d'obtenir un shooting professionnel pour proposer de belles photos aux annonceurs.
Les influenceurs dans les starting-blocks
"On a un retard considérable sur les Etats-Unis, où le sport universitaire permet de mettre en avant les athlètes toute l'année, estime Thibaut Perrillat, fondateur de Lactique, un incubateur visant à aider les athlètes à se mettre en valeur sur les réseaux sociaux, notamment LinkedIn. J'ai commencé par médiatiser l'histoire de mon frère, champion de France de marathon, dans une série de posts. Ça a attiré de nombreuses entreprises, désireuses de l'aider. On n'a pas tout signé. Mais sponsoriser un athlète, aujourd'hui, ça ne se limite pas à apposer un petit logo sur une bretelle du maillot. C'est de l'influence marketing de long terme." Un diagnostic qui se base sur quelques principes simples comme mettre en scène sa quête, assumer son expertise et ne pas cacher ses faiblesses.
Des pistes qui peuvent permettre de se différencier de la concurrence, qui déborde bien au-delà du tartan des pistes d'athlétisme. L'influenceuse Léna Situations et sa collection pour Adidas affichée en 4x3 dans le métro parisien n'est que la partie émergée de l'iceberg.
"Une marque de montres connectées préfère envoyer son matériel à des influenceurs" plutôt qu'à des sportifs, peste Hugo Hay. "On m'a déjà argué que j'étais désormais en concurrence avec des mecs qui font du breakdance, dont le côté plus artistique assure plus de visibilité à la marque pour des chaussures, par exemple", pointe le sprinteur Dimitri Bascou. Ce qui explique par exemple pourquoi la hurdleuse américaine Masai Russell, qui visera une médaille olympique aux Jeux de Paris, se présente sur son site d'abord comme "influenceuse et vloggeuse" avant d'évoquer son statut d'athlète. Ou qu'un des athlètes français les plus suivis de la jeune génération, Baptiste Cartieaux, se déplace sur les compétitions avec quatre personnes, dont un droniste, pour être filmé avant, pendant et après ses courses.
Le prix pour accéder à la gloire, à moins de croire aux miracles. C'est précisément ce qui est arrivé au perchiste britannique David King, qui ne pensait pas toucher le gros lot en lançant une cagnotte avant les Jeux de Tokyo, en 2021. "Quelques personnes qui ont participé à mon GoFundMe ont continué à me financer après." Une somme non négligeable – quelques milliers d'euros chaque mois – "sans rien demander en retour, si ce n'est des nouvelles de ma carrière. On espère se revoir au Stade de France en août 2024. C'est le plan en tout cas, raconte celui qui s'est expatrié dans l'Arizona. Mais je suis d'accord : tomber sur ces gens généreux qui ont de l'argent en trop, c'est un sacré coup de chance."
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