ENTRETIEN. JO de Paris 2024 : comment expliquer que l'on bat encore des records sportifs ?

Article rédigé par franceinfo - Simon Kremer
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Arnaud Duplantis a porté le record du monde de saut à la perche à 6,25 m, lundi 5 août 2024. (KIRILL KUDRYAVTSEV / AFP)
Saut à la perche, natation, saut en hauteur… Les Jeux olympiques de Paris sont le théâtre de nombreux exploits et de nouveaux records du monde. Mais jusqu'où ira-t-on ? Décryptage avec le directeur du laboratoire sport, expertise et performance à l'INSEP.

"Plus vite, plus haut, plus fort – ensemble", telle est la devise des Jeux olympiques. Et ce n'est pas le Suédois Armand Duplantis qui va déroger à cette "règle" : lundi 4 août, le perchiste a battu à nouveau son propre record à la perche. Et on a vu durant les Jeux plusieurs records tomber. Ces performances fascinent le public.

Mais Comment les sportifs peuvent-ils constamment repousser les limites humaines ? Explications avec Gaël Guilhem, directeur du laboratoire sport, expertise et performance à l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (INSEP).

Comment expliquer que des records aussi solides continuent d'être effacés dans ces JO ?

Gaël Guilhelm : En athlétisme, par exemple, il y a un facteur technologique qui s'accentue ces dernières années. Dans ces 83 disciplines, sur les trois ou quatre dernières années, selon mes souvenirs, on a entre 20 et 30% de ces records qui sont tombés. Ça peut s'expliquer notamment par l'intégration des nouvelles chaussures et des pointes dans les disciplines d'endurance. Elles ont aussi, depuis un an ou deux, pénétré les disciplines de sprint. On n'a pas battu le record du 100 m, mais il ne vous a pas échappé qu'on est sur la finale la plus dense de l'histoire des JO avec sept sprinteurs sous les 9,9 secondes. Il y a une intensification des performances de très haut niveau puisqu'avec 9,82 secondes cette année, vous n'êtes pas sur le podium alors qu'à Atlanta, en 1996, vous auriez été champion olympique. 

Mais il y a aussi l'amélioration de nos connaissances sur les facteurs discriminants et la performance. On n'a jamais vu autant d'entraîneurs et d'athlètes mobilisant sept jours sur sept, pendant quatre ans ou pendant toute une carrière, l'intégralité des connaissances disponibles pour réaliser les meilleures performances possibles. Et puis, on parle souvent des gains marginaux. On essaye d'optimiser la nutrition, le sommeil, la préparation mentale, la capacité à réaliser des performances dans des contextes avec beaucoup d'ambiance, beaucoup de stress, beaucoup de pression. 

"En additionnant tous ces petits plus, on continue à être en capacité de battre certains records."

Gaël Guilhem

à franceinfo

On voit parfois sur les réseaux sociaux des vidéos comparatives entre des compétitions de natation ou d'athlétisme datant d'il y a 100 ans et des compétitions actuelles. Les performances réalisées à l'époque sont pulvérisées. Les athlètes ne sont-ils pas tout simplement plus forts physiquement ?

Oui, bien sûr, c'est une évidence, notamment en natation. Mais comme dans beaucoup de disciplines. Le facteur majeur de progression dans le sport de haut niveau, c'est la prise de masse musculaire. Et ça, ça se voit aussi dans les sports collectifs. En football, si vous comparez le France-Allemagne de 1982 avec un France-Allemagne actuel, ça n'a plus rien à voir en termes de déplacements, de capacité à répéter les efforts. Donc évidemment, il y a clairement là une différence. Et vous parlez en plus de compétitions qui se déroulaient il y a un siècle : vous imaginez si on présentait dans plein de disciplines les athlètes de l'époque ? Avec les athlètes actuels, il y a eu des progrès colossaux réalisés dans la préparation physique et cela contribue à battre les records.

Aujourd'hui, le sport s'est largement professionnalisé, avec un partage de la connaissance et de l'amélioration technologique. Va-t-on assister à un plafonnement du nombre de records battus dans les années à venir ?

Il y a déjà des travaux qui montrent ce plafonnement des records. Je grossis le trait, mais ils sont analysés sur deux siècles à peu près. Je prends souvent l'exemple de travaux qui sont plutôt menés par des anthropologues, pour estimer la vitesse de déplacement de certains de nos ancêtres à partir d'empreintes dans des traces de boue. Certains de nos ancêtres étaient capables d'atteindre des niveaux de performance athlétique relativement corrects sans forcément s'entraîner pour ça. Cela permet de relativiser un peu l'analyse qu'on a quand on regarde sur deux siècles. Il est montré que cela plafonne.

Mais si l'homme est là dans un siècle ou deux, quelle taille fera-t-il ? Quelle sera la taille de ses tendons ? Quelles seront les propriétés élastiques de ses muscles ? Je n'en ai aucune idée. Et de quelle manière les entraîneurs seront-ils capables de se servir des connaissances disponibles ? Si on prend l'exemple du sprint, on sait depuis maintenant peu de temps quels sont les groupes musculaires discriminants. On sait que des sprinters qui ont des fessiers très développés où certains muscles extenseurs du genou ou fléchisseurs du genou plus développés que d'autres, ont plus de chances d'être performants. Et on sait aussi qu'il y a des déséquilibres au sein des groupes musculaires. Ces connaissances, on les a depuis peu de temps. Comment les entraîneurs vont s'en saisir pour individualiser l'entraînement ? On va continuer à progresser, peut-être à gratter un centimètre par ci, un centième par là, mais ce sera de manière plus lente qu'il y a 30 ou 40 ans.

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