Paris 2024 : "On essaie de faire le deuil de ces Jeux"... Retombés dans l'ombre des disciplines olympiques, les karatékas tentent de se projeter vers l'avenir

À six mois des Jeux de Paris, la déception est encore grande pour la famille du karaté, discipline olympique à Tokyo mais retiré du programme depuis.
Article rédigé par Apolline Merle, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 9min
Le karatéka français Steven Da Costa, champion olympique à Tokyo, célèbre son titre au Trocadéro, le 9 août 2021. (AGENCE KMSP / AFP)

Il sera le grand absent des Jeux olympiques de Paris 2024. Présent aux Jeux à Tokyo en 2021 pour la première fois de son histoire, le karaté n'a pas été retenu pour l'édition suivante, au grand désarroi des karatékas. Plus de deux ans après l'annonce officielle du retrait du karaté des sports additionnels olympiques, et à six mois des Jeux de Paris, l'amertume reste forte.

"On essaie de faire le deuil de Paris 2024, mais on ne pourra que réellement le faire après les JO. On reste des amateurs de sport, donc on ne va pas non plus bouder les Jeux cet été, mais il y aura un côté frustrant à les regarder sans le karaté", témoigne Olivier Beaudry, manager de l'équipe de France à la Fédération française de karaté, qui n'est pas sûr de "répondre à tous les messages que l'on recevra".

"Le deuil, c'est un bien grand mot, mais j'ai définitivement tourné la page, non pas des Jeux olympiques, mais de Paris, parce que nous n'avons pas choisi cette décision, confie quant à lui Steven Da Costa, champion olympique en 2021 et triple champion du monde de la discipline. Nous n'avons pas d'autre choix que de faire avec. Mais c'est forcément triste." La plaie est d'autant plus béante que les JO se déroulent en France, à domicile. "C'est la double peine, appuie ce dernier. Peut-être que la douleur aurait été un peu moins forte si les Jeux avaient été organisés dans un autre pays que la France en 2024."

Retomber dans l'ombre "plus sombre qu’avant"

Surtout, le coup de projecteur a été plus qu'éphémère. Car le karaté n'a pas été retenu non plus pour les Jeux de 2028. "Autant Paris a été une grande désillusion, autant je n'ai pas été surpris pour Los Angeles. Il était certain que les organisateurs allaient choisir des sports très pratiqués aux Etats-Unis, et ils ont raison car ils choisissent des disciplines où ils sont potentiellement médaillables [cricket, baseball-softball, squash, flag football et jeu de crosse]", analyse Steven Da Costa.

Si les Jeux ont eu le mérite de donner une exposition médiatique décuplée à la discipline ainsi que des retombées financières plus importantes (avec les sponsors notamment), le karaté est, depuis, peu à peu retourné dans l'ombre des disciplines olympiques. Une ombre "un peu plus noire qu’avant, regrette Steven Da Costa. Après avoir connu une très grande lumière à Tokyo, le retour est plus sombre qu'avant, parce que nous avons perdu plus que ce que nous avions déjà", abonde le karatéka. 

"Auparavant, nous étions un sport qui se battait pour être aux Jeux. Nous nous sommes habitués pendant quatre ans à vivre comme un sport olympique. C'est pourquoi le retour dans l'ombre, après la lumière, est un peu plus profond."

Steven Da Costa, champion olympique en titre de karaté

à franceinfo: sport

Le revers de la médaille se ressent également sur le plan financier, et ce, même pour l'unique champion olympique de l'histoire dans sa catégorie (-67 kg). "J'ai perdu 50 % de mes sponsors, constate-t-il. Certains sont, malgré tout, revenus à l'approche de Paris 2024 parce que, même si je ne suis pas aux Jeux, je reste le champion olympique et on parlera de l'absence du karaté."

Une incompréhension toujours vive

Si le CIO a tranché dès décembre 2020 et donc validé l'ajout de quatre nouveaux sports (escalade, surf, breaking et skateboard) pour Paris 2024, Olivier Beaudry a pourtant cru jusqu'au dernier moment que la décision pouvait s'inverser. "Nous nourrissions l'espoir que si les Jeux étaient bien organisés à Tokyo, que le spectacle était à la hauteur des attentes et que l'engouement était au rendez-vous, alors la décision pouvait en être autrement. Surtout avec la médaille d'or de Steven, on s'est dit que ça pouvait faire bouger les choses", se remémore le manager de l'équipe de France.

Le Français Steven Da Costa (à gauche) affronte le Turc Eray Samdan, lors de la finale de karaté en kumite -67kg aux Jeux olympiques de Tokyo (Japon), le 5 août 2021. (CHINE NOUVELLE / SIPA)

"J’étais sur un petit nuage. Le réveil fait mal. En 2024, avec votre soutien, je veux défendre mon titre olympique à Paris", revendiquait même le karatéka français sur X (ex-Twitter), le 12 août 2021, alors que Paris 2024 annonçait de nouveau le retrait de la discipline. Même le président de la Fédération française de karaté n'a rien pu faire. "C'est impossible [d'interférer dans la décision], assure Francis Didier. C'est comme au Vatican, il faut attendre la fumée blanche ou noire." Encore aujourd'hui, l'incompréhension est immense au sein de la famille du karaté.

"On s'est senti un peu esseulé et démuni. On ne comprenait pas pourquoi."

Olivier Beaudry, manager de l'équipe de France de karaté

à franceinfo: sport

"On n'a pas eu une véritable réponse sur ce choix du Cojop de ne pas proposer au CIO le karaté comme sport additionnel. Si ce n'est qu'il fallait des disciplines qui soient populaires auprès des jeunes. On a ressenti de l'injustice au regard du profil de cette discipline universelle, dont les valeurs collent à celles de l'olympisme. C'est frustrant", regrette Olivier Beaudry. 

"Là où je leur en ai voulu, c'est qu'ils n'ont pas proposé le karaté dans leur liste des nouveaux sports. Ensuite, le décisionnaire reste le CIO. Mais ils ne se sont pas battus pour nous alors que je venais de ramener l'or olympique", déplore Steven Da Costa.

Pourtant, le Comité d'organisation a assuré à franceinfo: sport avoir rencontré le champion olympique ainsi que le président de la Fédération à ce sujet. Le Cojop s'est même exprimé publiquement, dès février 2019 pour justifier son choix : "Paris 2024 propose ainsi au CIO l’intégration de quatre nouveaux sports connectés à la jeunesse, qui valorisent la créativité et la performance des athlètes : le breaking, l’escalade, le skateboard et le surf. Ces quatre sports, accessibles en termes de pratique et avec des communautés fortement mobilisées sur les réseaux sociaux, pourront, grâce aux Jeux, et pendant les cinq prochaines années venir inspirer des millions d’enfants à faire du sport", écrivait le Cojop.

Un nombre de sports et d'athlètes limité

Puis, le 12 août 2021, contraints de réagir après le titre olympique de Steven Da Costa et sa mobilisation dans les médias pour tenter d'inverser la tendance, les organisateurs ont de nouveau motivé leur décision. Tout en rappelant que "depuis décembre 2020, le programme des épreuves aux Jeux de Paris 2024 est définitif et ne pourra plus subir de modification", le Cojop précisait que "depuis les Jeux de Tokyo 2020, le CIO offre l’opportunité aux comités d’organisation des Jeux olympiques d'ajouter des sports additionnels sans garantie d’inclusion dans la prochaine édition des Jeux".

Le champion olympique de karaté Steven Da Costa participe à la grande fête organisée par Paris 2024, lors du retour de la délégation française des Jeux de Tokyo, le 9 août 2021. (AGENCE KMSP / AFP)

Mais surtout, Paris 2024 insiste sur les nouvelles règles édictées concernant la proposition de sports additionnels. "Les athlètes des nouveaux sports sont désormais intégrés au quota global des athlètes, au nombre de 10 500, et non plus dans un quota additionnel comme c’était le cas à Tokyo 2020. En conséquence, le nombre de sports additionnels pour les Jeux de Paris 2024 est de 4 et non de 5 comme à Tokyo, et le nombre d’athlètes pour ces sports est plus de deux fois moins important, passant de 474 (dont 80 pour le karaté) à 232."

Un dernier argument qui n'a pas convaincu Francis Didier. "Nous sommes une petite délégation mondiale. Il y avait largement de quoi faire", conteste-t-il. Si les Cojop ne sont pas limités en nombre de disciplines, ils doivent toutefois respecter certains plafonds : 10 500 athlètes, 5 000 entraîneurs et personnels d'encadrement, et 310 épreuves. C'est pourquoi Paris a proposé quatre sports additionnels alors que Tokyo et Los Angeles sont montés à cinq. De son côté, le CIO a pour priorité de "s'assurer que le programme olympique reste pertinent, en incluant des éléments d'innovation tout en respectant l'histoire et la tradition des sports", a souligné à franceinfo: sport l'instance internationale. 

Objectif Brisbane 2032

Bien que le sujet soit encore vif, la Fédération française veut désormais se tourner vers l'après Paris 2024. "Le sujet est clos, il faut refermer le livre. Si vous ne le refermez pas, vous ne pouvez pas avancer et regarder vers l'avenir", affirme son président Francis Didier.

Pour la Fédération, l'ambition est à présent d'obtenir le retour du karaté aux Jeux olympiques de Brisbane (Australie) en 2032. "Le combat continue, lance Olivier Beaudry. Nous sommes toujours engagés à ce que le karaté soit un jour aux Jeux olympiques et la prochaine opportunité est 2032."

Mais le chemin est encore long. "C'est encore un peu tôt, d’autant plus qu'il s'agit du dernier mandat du président du CIO, Thomas Bach [jusqu'en 2025]. Il y aura donc du changement au sein de l'instance", souligne-t-il encore. Mais les karatékas n'ont pas dit leur dernier mot.

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