Paris 2024 : après l’inauguration du bassin d’Austerlitz, la colère des proches d'Amara Dioumassy, mort sur le chantier
Une inauguration en grande pompe, pour une promesse vieille de plus de trente ans. Le 15 mai 1990, Jacques Chirac, alors maire de Paris, affirme qu'il se baignera dans la Seine "dans trois ans". Trente-quatre années ont passé, et c'est finalement Anne Hidalgo qui a inauguré l'immense chantier du bassin d'Austerlitz, jeudi 2 mai. Cet ouvrage colossal doit permettre le stockage des eaux pluviales et usées avant qu'elles ne se jettent dans la Seine. Objectif : rendre possible la baignade aux athlètes dans le fleuve pour certaines épreuves des Jeux olympiques et paralympiques de Paris, qui se dérouleront du 26 juillet au 8 septembre. Coût de l'opération : 80 millions d'euros, selon la mairie.
Mais pour la famille d'Amara Dioumassy, l'événement est associé à un drame. Cet ouvrier malien de 51 ans est mort le 16 juin 2023, écrasé par un camion alors qu'il travaillait sur le chantier du bassin. Son décès a été constaté au numéro 2 de la voie Mazas, dans le 12e arrondissement de Paris, juste en dessous de l'institut médico-légal, selon le certificat de décès que franceinfo a pu consulter. Les pompiers "sont venus constater son décès, il a été transporté directement à l'institut, d'où il a été renvoyé pour être inhumé au Mali", raconte Lyes Chouaï, délégué syndical CGT de la Sade, l'entreprise qui employait le conducteur du camion. Après un rassemblement organisé par la CGT et la famille d'Amara Dioumassy en sa mémoire, samedi 27 avril, Anne Hidalgo et Amélie Oudéa-Castéra, la ministre des Sports, lui ont rendu hommage lors de l'inauguration, jeudi.
Une famille désemparée
Amara Dioumassy laisse derrière lui douze enfants – dont le dernier est né quelques mois après sa mort –, une épouse et une mère restées au Mali, ainsi qu'une fratrie inconsolable. "C'était un frère aimant, venu pour nous rejoindre et aider sa famille", raconte à franceinfo sa sœur aînée, âgée de 56 ans, qui vit en France depuis les années 1980. "J'étais en béquilles quand mon frère est mort", se souvient Demba Dioumassy, qui a géré toutes les démarches administratives après le décès d'Amara. "Il venait me voir tous les jours. Mais il me parlait très peu de son travail. Notre mère pleure tous les jours la mort de son fils."
Arrivé en France en 2010, Amara Dioumassy, bijoutier de formation, enchaîne les contrats en intérim avant de signer un CDI comme ouvrier du bâtiment, en 2017, chez Darras & Jouanin, une société appartenant au groupe Fayat, prestataire de la mairie de Paris. Contrairement à de nombreux chantiers des Jeux, celui du bassin d'Austerlitz n'est pas géré par la Solideo, la société de livraison des ouvrages olympiques. L'établissement public, qui gère plus de 70 chantiers pour l'occasion, a élaboré une charte afin de limiter au maximum les accidents de travail. Sur les chantiers de la Solideo, "il n'y a eu aucun mort", souligne Lyes Chouaï. "En revanche, sur les chantiers qui ne sont pas siglés JO [dont celui du Grand Paris Express et du bassin d'Austerlitz], il y a des morts et des blessés. On voit bien que, quand les moyens sont mis, les conditions de travail sont meilleures."
Après la mort d'Amara Dioumassy, Darras & Jouanin s'est engagé à payer les obsèques, qui ont coûté plus de 17 000 euros à la famille, selon son avocate, Linda Sayah. L'argent n'a pas encore été transféré, précise cette dernière, mais elle a bon espoir que cela soit fait "prochainement". "Les proches sont un peu soulagés, car les obsèques ont coûté très cher, réagit l'avocate. Mais ce n'est pas le plus important à leurs yeux. Ils sont encore très tourmentés par cette histoire, car il reste de nombreuses zones d'ombre à éclaircir. Ils attendent avec impatience les résultats de l'enquête."
Des enquêtes en cours
L'accident pose la question de la sécurisation du chantier, qui a la particularité de se trouver sur une voie de circulation, le rendant bruyant et potentiellement dangereux. Amara Dioumassy est mort percuté par "un véhicule circulant en marche arrière", affirme la mairie de Paris, sans donner plus de détails. "Le camion n'avait ni bip sonore d'alerte ni caméra de recul" et il n'y avait pas d'"homme trafic" pour orienter les engins, assure pour sa part Lyes Chouaï, qui s'est rendu sur les lieux immédiatement après l'accident. Interrogée par franceinfo, l'entreprise qui employait Amara Dioumassy n'a, pour l'heure, pas donné suite à nos sollicitations, tout comme la mairie de Paris. Anne Hidalgo avait visité le chantier le 13 juin 2023 et avait posté les photos sur X. Trois jours avant la mort de l'ouvrier.
"Les JO ont été un accélérateur extraordinaire. Sans ça, on aurait mis dix ans de plus à rendre la Seine propre", déclarait l'élue au Parisien lors de cette visite. Pour Lyes Chouaï, c'est justement cette accélération qui aurait rendu le chantier plus dangereux. "Il y a tellement de contraintes de temps que des salariés se plantent, se coincent les doigts", dénonce-t-il.
Seules les enquêtes de l'inspection du travail et de la justice permettront d'établir si le chantier était aux normes et si la responsabilité de l'employeur doit être engagée. Sollicitée par franceinfo, l'inspection du travail affirme ne pas pouvoir communiquer tant que le dossier est en cours, mais assure que "la procédure sera transmise au parquet d'ici juin 2024". Un timing scruté de près par la famille d'Amara Dioumassy. "Ce serait bien qu'on puisse parler de ce dossier avant les JO, pour éviter qu'il ne finisse aux oubliettes", espère Linda Sayah.
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