: Reportage Paris 2024 : après une nouvelle évacuation d'un camp de sans-abris, les associations dénoncent un "nettoyage social" de la capitale pour les Jeux
"Bonjour, c'est la police. Il faut sortir monsieur." Il est à peine 6 heures du matin, mardi 23 avril, quand une douzaine de policiers s'approchent d'une trentaine de tentes igloo disposées le long d'un mur aux abords du campus de Jussieu, rue des Fossés-Saint-Bernard, dans le 5e arrondissement de Paris. Sous la structure métallique du bâtiment universitaire, de jeunes migrants venus du Mali, du Burkina Faso ou encore de Côte d'Ivoire sortent doucement de leur sommeil et de leurs abris de fortune. A quelques mètres, dans la pénombre, un bus attend, la porte ouverte. Les services de la préfecture proposent une solution de relogement à Besançon (Doubs), mais peu de migrants semblent intéressés par une aventure dans l'Est de la France.
"On a des recours [juridiques] ici, pourquoi vous voulez nous envoyer à Besançon ?", répond avec anxiété un homme en émergeant de sa toile de tente, avant d'emporter ses affaires dans un baluchon de fortune. "Vous allez nous abandonner, on veut un vrai endroit", lance un autre. "Il n'y a plus de places à Paris", martèle une fonctionnaire des services de la préfecture. Mais à trois mois des Jeux olympiques de Paris, les associations venues sur place pour apporter une aide aux personnes à la rue dénoncent une nouvelle opération fragilisant les plus précaires, une semaine après l'évacuation du plus grand squat de France à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne).
"On le sent bien, actuellement, le 'nettoyage social', à coups de deux évacuations par semaine", insiste Aurélia Huot, de Barreau de Paris solidarité, une structure qui encourage le bénévolat des avocats parisiens. "Avant, les mises à l'abri pour les mineurs, c'était toujours en Ile-de-France, et pour les familles, il y avait aussi régulièrement des solutions ici. Mais là, depuis presque deux ans, ils ne proposent presque plus de solutions en Ile-de-France", constate également Luc Viger, de l'association Utopia 56.
Les autorités maintiennent que ces évacuations, confiées à la police, n'ont aucun lien avec l'organisation des Jeux cet été à Paris. "Cela fait de nombreuses années que nous menons à bien ces opérations de mise à l'abri. Non pas du tout pour faire place nette, mais pour faire en sorte que les intéressés ne soient pas à la rue", assurait Marc Guillaume, préfet de la région d'Ile-de-France, en octobre sur France Bleu Paris. "Evidemment, [ce travail] se poursuit alors que les JO dans le même temps doivent être organisés, mais ces deux questions n'ont pas de rapport."
"Quasiment une expulsion toutes les semaines"
Sur le terrain, le ressenti est tout autre. "En un an, tous les squats où on intervenait et où il y avait plus d'une centaine de personnes ont été évacués. Ils expulsent tellement que pendant les Jeux, il n'y aura plus rien à voir", assure Paul Alauzy, coordinateur de Médecins du monde et membre du collectif Le Revers de la médaille. "Il y a eu quasiment une expulsion toutes les semaines, avance Elias, bénévole de l'association Utopia 56. Ici, on est sur un lieu passant, devant une université, donc ils veulent faire place nette."
"Quand les touristes, lors des JO, iront se promener sur les quais de Seine, il faut que ça soit comme une carte postale."
Elias, bénévole de l'association Utopia 56à franceinfo
A proximité de l'Institut du monde arabe et des bords de Seine, Elias et les autres bénévoles ramassent les toiles de tente et les couvertures pour éviter qu'elles ne soient jetées par les services de police. Un bénévole d'Utopia 56 cherche des solutions avec l'un des migrants et indique un endroit boisé en banlieue, où les évacués du jour pourront replanter leurs tentes. "On fait du repérage lors des maraudes pour trouver des endroits où ils ne seront pas harcelés par la police", explique-t-il à franceinfo. Quelques sans-abris ont accepté de se rendre dans un hébergement temporaire situé dans le 18e arrondissement, mais pour les autres, la rue reste le seul horizon.
"Les associations ne proposent aucune solution"
Assis sur un rebord en béton, Assane (dont le prénom a été modifié) a le regard dans le vide. "Je ne sais pas où aller, je ne connais pas d'autres endroits, mais j'ai rendez-vous avec l'avocat le 25", confie ce Burkinabé, arrivé en France il y a deux mois. Les services de la préfecture d'Ile-de-France sur place mardi matin tentent bien de vanter les mérites de Besançon : "C'est à deux heures de Paris et les trains ne sont pas si chers que ça." Il faut, en réalité, plutôt compter trois heures, et les prix varient de 20 à 80 euros.
"Ce n'est pas si terrible d'aller en province, ni de faire un aller-retour Besançon-Paris, surtout pour des gens qui ont déjà traversé de nombreux pays", juge une fonctionnaire rencontrée par franceinfo sur place. "Les associations ne proposent aucune solution, elles proposent juste aux gens de continuer à dormir dans la rue". "Mais ce sont eux les services de l'Etat, c'est à eux de trouver une solution !", s'emporte Aurélia Huot, de Barreau de Paris solidarité. "On a tout à fait moyen d'héberger toutes ces personnes en France. Il manque plus de 20 000 places d'hébergement et les fonds, on les a", estime Elias, de l'association Utopia 56.
La préfecture assure aussi aux migrants qu'ils bénéficieront, loin de Paris, d'un hébergement durable et d'un accompagnement social. "C'est faux", s'agace Aurélia Huot. Les associations assurent avoir des retours différents de jeunes migrants qui ont accepté cette option lors de précédentes opérations. Selon l'avocate, "lors d'une récente évacuation d'un square du 16e arrondissement, trois jeunes ont accepté de partir en sas d'accueil à Rouen, mais à leur arrivée, ils n'ont pas été pris en charge, car la structure n'était pas adaptée aux jeunes mineurs en recours. Ils ont été remis à la rue et ont dû revenir à Paris."
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