: Témoignage Faux bénévole, il projette de "saboter l'esprit" des Jeux de Paris 2024
"Avant d’entrer, peux-tu me donner ton téléphone s’il te plaît ?" Pour Michel*, qui nous reçoit dans son appartement de bon standing, toutes les précautions sont bonnes à prendre. Notre smartphone finit son chemin dans le micro-ondes, en compagnie du sien et de celui de sa colocataire, pour cette première rencontre de quelques minutes. Michel est un "indigné radicalisé" face à l’organisation des Jeux de Paris 2024, comme il se définit. Un "faux bénévole", comme on les appelle. Sélectionné parmi les 45 000 bénévoles des Jeux olympiques et paralympiques (JOP), il a infiltré les rangs des volontaires dans le but de saboter l'organisation.
Depuis le début de l’hiver dernier, franceinfo: sport est parti en quête de ces "faux bénévoles", source d’inquiétude du Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop) et du gouvernement français. Combien sont-ils ? Personne ne sait. Plusieurs personnes, susceptibles de devenir des infiltrés au sein des volontaires, ont été contactées. Seul Michel a accepté d’expliquer cet engagement. Franceinfo: sport a pu consulter et authentifier les documents officiels de sa sélection en tant que bénévole des JOP, ainsi que son affectation et ses missions aux Jeux. "Je suis quelqu'un qui s'est lentement mais progressivement radicalisé, dans des idées d'extrême gauche", se définit-il.
Après plusieurs échanges indirects, via une tierce personne, et trois premières entrevues informelles, il accepte finalement de parler. Michel, trentenaire sans casier judiciaire, ingénieur informatique de profession, ressemble à Monsieur tout-le-monde. Ce semblant d'anonymat le sert dans son projet, mais il se montre particulièrement méfiant. Pendant plusieurs mois, toutes les correspondances avec lui ont été réalisées sur une plateforme de messagerie cryptée et sécurisée, pour ne pas mettre sa "couverture" en péril.
Car, depuis le début de l'année, les services de renseignement français ont déjà mis sur la touche pas moins de 1 618 personnes. Parmi elles, plusieurs centaines ont été identifiées comme des "bénévoles qui, manifestement, n’avaient pas de bonnes intentions", selon le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. En revanche, selon nos informations, les services de renseignement en charge des enquêtes de criblage concernant les 45 000 volontaires [1 million d'enquêtes ont été lancées au total] ont toutes les peines du monde pour identifier ces fameux "faux bénévoles". Contactée, la Délégation interministérielle aux Jeux olympiques et paralympiques (Dijop) n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Faux bénévole, vrai militant
Michel, lui, l'assure : il "ne prévoit, en aucun cas, une action violente et extrême". "Je ne risque pas la prison avec l’action que j’entreprends. A la limite, un peu de garde à vue ou une amende au pire, mais rien de plus", affirme-t-il.
Son but ? Un "sabotage. Le mot est fort, concède-t-il en marquant une longue pause. Mais je l’utilise un peu parce que l’idée, c’est surtout de saboter cet esprit de fête. Je veux provoquer la panique de l’organisation. Attention, pas la panique générale, se justifie-t-il. Car mon but ne sera jamais de mettre en danger autrui, mais de rendre mon action visible, aux yeux du monde si possible."
"L'idée, c'est plutôt de faire parler de soi, des messages que je veux faire passer, et de titiller les élans répressifs de l'Etat."
Michel, "faux bénévole" lors des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024à franceinfo: sport
Selon la "Charte du volontariat olympique et paralympique" de Paris 2024, les sanctions peuvent varier, selon la gravité des faits, d'un simple "avertissement" aux "poursuites légales et judiciaires" en passant par la "révocation du statut de volontaire".
Quelles sont ses motivations ? Pour Michel, le déclic est survenu il y a peu. "Je suis l’un des indignés à la suite de la réforme des retraites [mouvement social de janvier à juin 2023], et c'est suite à ça que j'ai voulu m'engager dans ce mouvement [contre l’organisation des JOP de Paris 2024]", confie-t-il. A ce moment-là, plusieurs collectifs lancent un appel sur les réseaux sociaux, autour du hashtag #PasDeRetraitPasDeJO. La crise du Covid-19 a achevé un phénomène de radicalisation chez lui : "En étant enfermé chez moi, tout seul, j'ai pris le temps de développer ma réflexion sur le monde en lisant beaucoup d'auteurs différents tels que [Jean] Jaurès ou [Pierre] Kropotkine", dans ce qu'il appelle "une retraite littéraire". "J'en suis arrivé à me dire qu'il fallait des actions concrètes, que je fasse quelque chose", conclut-il.
Des mots chocs
Son discours est rodé, centré sur les injustices sociales : "Le gouvernement [français] essaie de cacher la misère sociale, accuse-t-il, sauf que nous ne vivons pas dans le Paris du film Amélie Poulain". Michel fait notamment référence à l'expulsion de plus de 2 000 étudiants de leurs logements universitaires réquisitionnés par le Cojop, et au déplacement, vers d'autres villes, des sans-abri ou des migrants... "Moi, je parle de déportation, se risque Michel. Je sais que c’est un mot fort. Mais c’est un mot qui a un sens. Il suffit d'ouvrir un dictionnaire pour voir ce qu'il veut dire et on est littéralement dans la définition même de la déportation." Le Larousse définit pourtant une "déportation" par un "transfert et internement dans un camp de concentration situé dans une région éloignée". "Il y a une connotation, minimise-t-il. C'est aussi volontaire. C'est l'idée d'interpeller sur ce qu'on est capable de faire pour un loisir, et pour amuser la galerie à l'international."
Son discours va plus loin : "Le but, c'est aussi de montrer les dérives autoritaires des états dits démocratiques, incrimine-t-il. La France n'est pas celle qu'ils veulent montrer au monde !" Pour lui, "la France actuelle, ce n'est pas seulement celle de la cérémonie d'ouverture sur la Seine, c'est aussi celle qui vide et 'sanitarise' ses rues, qui expulse ses étudiants précaires de chez eux."
"Ce qui me révolte vraiment, ce sont toutes ces questions sociales. Mon objectif, finalement, c'est plutôt de rendre visible les invisibles."
Michel, sélectionné parmi les 45 000 bénévoles des JOP de Paris 2024à franceinfo: sport
Depuis plusieurs mois, Michel réfléchit aux différentes actions qu'il pourrait mener. Il refuse d'en dévoiler les contours, mais espère pouvoir mener "une action qui fera du bruit, et qui viendra perturber la bonne organisation et la diffusion TV" de l'épreuve à laquelle il a été affecté. Pour cela, il cherche à se rapprocher d'un collectif ou d'un groupe organisé, avec lequel il partagerait "certaines valeurs" et la volonté de porter des revendications communes. Mais dans le cas où ses prises de contact resteraient infructueuses, il se lancera dans une manifestation individuelle. Son choix n’est pas encore arrêté.
*Le prénom a été modifié
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