Paris 2024 - Petites histoires des Jeux : le drôle de parcours de José Beyaert, champion olympique devenu trafiquant en Colombie
Guidée par son sélectionneur Thomas Voeckler, l'équipe de France de cyclisme sur route s'écharpera avec la fine fleur des meilleurs pays du monde. En ligne de mire, une potentielle médaille sur une épreuve qui ne l'a plus vue sur le podium depuis près de 68 ans et l'argent décroché par Arnaud Geyre à Melbourne. Et pour retrouver la trace du dernier cycliste tricolore champion olympique sur l'épreuve en ligne, il faut remonter jusqu'en 1948 avec la victoire de José Beyaert, à Londres.
Les décennies ont passé et aucun des monstres du cyclisme français - de Louison Bobet à Julian Alaphilippe, en passant par Bernard Hinault - n'est venu mettre à jour le palmarès. Au fil des exploits réalisés par ces derniers, le nom de Beyaert a été peu à peu recouvert, presque écrasé, jusqu'à tomber dans l'oubli. Il faut dire que le titre olympique est à peu près la seule trace sportive laissée par le Nordiste en France, à une époque où le grand public n'a pas encore accès aux images en direct.
L'exil et l'oubli
Peu de monde peut se targuer aujourd'hui d'avoir vu ce jeune coureur de 22 ans aux lunettes rondes braver la pluie londonienne et survivre à une course dantesque. Si le plus grand exploit de José Beyaert n'est pas resté dans les mémoires, le reste de sa carrière est encore plus flou. Un seul livre lui a été consacré et il n'existe qu'en version anglaise. Il est intitulé Olympic gangster : the legend of José Beyaert (2011).
Son auteur, le journaliste britannique Matt Rendell, a dû se démener pour sortir de l'oubli un personnage dont il a découvert le nom en faisant des recherches pour son tout premier ouvrage, consacré à l'histoire du cyclisme en Colombie.
Le champion olympique 1948 a beau avoir régulièrement fait la couverture de L'Equipe au début des années 1950, et même participé à deux éditions du Tour de France (1950 et 1951), c'est à l'autre bout du monde qu'il a passé la plus grande partie de sa vie, loin de son vélo. Vexé de ne pas avoir l'autorisation d'ouvrir un bar tabac sur le sol français parce que son père est un immigrant belge, José Beyaert s'est senti lésé dans son identité.
"Je suis monté sur le podium à Londres. J'ai crié la Marseillaise, et vous me dites que je ne suis pas assez français ? Allez vous faire voir". Voilà ce que José Beyaert a retracé à Matt Rendell lorsque ce dernier est venu l'interroger chez lui pendant huit jours d'affilée l'année de sa mort à La Rochelle, en 2005. Alors, quand il a reçu une invitation pour être la star de l'inauguration du vélodrome de Bogota, Beyaert s'est envolé pour la Colombie le 4 octobre 1951 et s'y est installé définitivement avec sa femme.
Du bar tabac à l'héroïne
Après avoir remporté la deuxième édition du Tour de Colombie, la même année, et enfin ouvert son bar tabac, il a mis fin à sa carrière de cycliste en 1955. "Sa femme prenait soin de leur argent, mais José n'était intéressé que par l'aventure. Il a alors passé son temps à dépenser son pécule ou à parier avec", explique Rendell.
Déjà, en France, son fort caractère avait été pointé du doigt par l'iconique directeur du Tour de France, Jacques Goddet, qui lui aurait dit "Beyaert, avec vous il y a toujours des problèmes" après que le peloton du Tour 1950 s'est arrêté pour le suivre dans une baignade rafraîchissante à Sainte-Maxime.
Dans sa soif d'aventure et de self-made man, "Rossé Béyaèrte" comme l'appellent les Colombiens, a fini par tremper dans des trafics en tout genre, du bois précieux à l'émeraude en passant par l'héroïne. Dans un cliché tiré par Paris-Match en 1976, on le voit aux côtés de José Rodriguez Gacha, l'un des hommes de main du célèbre trafiquant Pablo Escobar.
"Il prenait l'avion de Bogota pour la Martinique, puis direction Paris, avec l'objectif de surveiller les mules. Quand elles arrivaient à Paris, il les suivait et notait la plaque d'immatriculation de leur taxi à l'aéroport. Il passait alors un coup de fil et se rendait dans la capitale française pour chercher des cadres de vélo qu'il ramenait ensuite en Colombie", narre Matt Rendell.
En interrogeant des dizaines de personnes dans les rues violentes de Barrancabermeja, ou Laurent Fiocconi en Corse, l'une des célèbres têtes pensantes de la French Connection, le journaliste britannique a confirmé les "on dit". Une seule rumeur reste en suspens, parce qu'il n'a pas trouvé de preuve. Il pense que José Beyaert a dû commettre des meurtres pour rembourser ses dettes, ce qui demeure l'une des seules choses que l'intéressé ne lui a pas confessées.
Impliqué dans la professionnalisation du cyclisme colombien
"Au début, il m'a dit qu'il avait fait des choses dont il ne pourrait jamais parler. Et puis, il m'a tout raconté. Il voulait toujours raconter des bonnes histoires et faire de lui-même ce personnage impitoyable, même s'il était gentil, sociable et protecteur", analyse Rendell. Mais la vie de gangster n'a pas empêché ce fils de mineur (devenu cordonnier) de continuer à avoir une influence dans le milieu du vélo jusqu'à son départ d'Amérique du Sud, dans les années 90, à cause des menaces d'enlèvement des Farc (Forces armées révolutionnaires de Colombie).
Beyaert a participé à la professionnalisation du cyclisme colombien dans un rôle d'entraîneur. Devenu bilingue, il a été commentateur pour la radio nationale. Il était présent sur le Tour de France 1983 pour défendre les coureurs colombiens visés par les critiques acerbes de Laurent Fignon.
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