Paris 2024 : "J'ai proposé des choses qui sortent de leurs habitudes", confie Mourad Merzouki, chorégraphe des Bleus de la natation artistique

Issu du monde du hip-hop, sans aucun lien avec la natation artistique, Mourad Merzouki s'est lancé, en 2022, dans l'aventure olympique auprès de l'équipe de France de natation artistique.
Article rédigé par Sasha Beckermann
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 6min
Mourad Merzouki à l'entraînement avec l'équipe de France de natation artistique à l'INSEP, le 7 décembre 2023. (JULIEN DE ROSA / AFP)

C'est la rencontre de plusieurs mondes qui, de prime abord, n'ont pas grand-chose à voir l'un avec l'autre. De l'école de cirque, à la chorégraphie de l'équipe de France de natation artistique pour les Jeux olympiques de Paris (épreuves du 5 au 10 août), en passant par le hip-hop, il y a Mourad Merzouki, 50 ans. L'ancien directeur du Centre chorégraphique national de Créteil (2009-2022), qui puise son inspiration dans plusieurs disciplines a eu la lourde tâche pendant deux ans de penser le ballet libre des Bleues, avec l'ambition d'apporter une nouvelle touche, tout en gardant à l'esprit les contraintes d'un sport jugé

Franceinfo: sport : Mourad, quel est votre lien à la natation ?

Mourad Merzouki. Mon lien avec la natation n'est pas évident. Je ne connais pas cet environnement. Mais ce qui m'a plu dans cette proposition que m'a faite la Fédération française de natation, c'est de s'intéresser, finalement, à un chorégraphe qui fait du hip-hop, de s'intéresser à la danse. C'est quelque chose qui m'a touché. Ça veut dire que, petit à petit, les esprits des uns et des autres s'ouvrent, on sort de nos zones pour aller voir ce qui se passe ailleurs. C'est encourageant que le monde de la natation s'intéresse à mon travail.

Comment avez-vous appréhendé les enjeux autour d'une éventuelle médaille olympique ?

Au départ, très franchement, j'ai évacué la pression en y allant de façon spontanée. C'est seulement maintenant que je mesure finalement dans quoi je me suis embarqué.

Je n'ai pas mesuré l'enjeu de ce rendez-vous. J'étais focus plutôt sur l'artistique et ce qu'on allait faire ensemble. Je ne me suis pas posé la question de ce rendez-vous qui est attendu par le monde entier.

La natation artistique est un sport jugé, considéré comme étant assez aseptisé, assez lisse. Comment avez-vous pu trouver l'équilibre entre l'apport d'une touche différente, en restant dans les clous ? 

La complexité, c'est vrai, c'est d'arriver à trouver sa place dans quelque chose de très cadré. Il y a des questions de notation, des choses qu'on peut faire et qu'on ne peut pas faire. J'ai découvert plein de choses au fur et à mesure.

"Il y a plein de moments pendant lesquels j'ai dû revoir un peu mes copies sur ce que l'on faisait. Il y a des figures avec des points plus ou moins hauts, on me dit qu'il faut qu'il y ait cette figure, qu'on la place à tel endroit, si on fait ce mouvement, ce n'est pas possible physiquement... Tout ça, c'était quand même complexe."

Mourad Merzouki, chorégraphe de l'équipe de France de natation artistique

à franceinfo: sport

J'ai été très souple avec la coach pour intégrer tout ça. Elle avait bien en tête que je découvrais cette organisation. Mais oui, à un moment, il faut que je serve, que je leur apporte quelque chose malgré toutes les contraintes. C'est un peu là-dessus que je me suis concentré pour qu'il y ait un intérêt pour elle. J'ai fait des propositions sur la thématique, sur les costumes, sur les mouvements... Des choses qui, visiblement, d'après la coach, sortent de leurs habitudes.

Est-ce qu'il y a eu des moments où, dans le processus créatif, vous vous êtes sentis parfois un peu frustré ou bridé par ce côté notation ?

Pour tout vous dire, par moments j'étais à la limite de baisser un peu les bras parce que c'est déstabilisant. On vous dit : 'Ça c'est génial, j'adore, on garde' et puis la semaine d'après on vous appelle, pour vous dire que 'ça ne peut pas passer pour telle ou telle raison parce que le juge va compter ça comme un porté et donc si on le fait, ce sont des points en moins'

C'est un peu comme si on disait à un peintre : 'Il y a trop de rouge, trop de vert, il faut en enlever un petit peu.' Au bout d'un moment on perd confiance aussi, on se met à douter de soi-même, on se dit peut-être que ce qu'on est en train de faire ça n'apporte rien.

A certains moments, je me suis dit : 'Si c'est pour faire ce qu'elles savent déjà faire, autant travailler avec quelqu'un qui connaît très bien le milieu.' Ça m'a traversé l'esprit à cause de ce cadre très strict mais après ça passe. Ça fait partie du jeu.

Qu'est-ce que vous estimez leur avoir apporté ?

En regardant des vidéos de ce qui se faisait ailleurs, il y a quelque chose qui se dégage de très académique, très lisse parfois. J'ai essayé d'aller chercher, peut-être, une attitude plus engagée. Quelque chose qui nous fait penser, finalement, aux danseurs de hip-hop. Ça peut être beau, aussi, de voir cette énergie-là. J'ai essayé de la transposer aux nageuses.

"Par exemple, à un moment, il y a des mouvements qui nous font penser au krump, une danse très tribale, très combative."

Mourad Merzouki

à franceinfo: sport

Il y a aussi dans le costume quelque chose qui... peut-être, va les singulariser par rapport aux autres. Mais je ne vous le dis pas !

Concernant la thématique, vous avez choisi celle des femmes, avec une chanson de Grand Corps Malade, Mesdames.

Depuis quelques années maintenant, ces questions de parité, de place des femmes dans la société... On y est tous sensibles et je me dis que c'est peut-être un moment pour évoquer, ou en tout cas partager aussi cette façon de soutenir finalement ces questions-là. 

Je me dis que ce n'est pas un thème qui est franco-français. C'est une question qui se pose dans le monde entier et je me dis qu'il faut le partager avec un jury international. Les artistes et les sportifs français se mobilisent ou en tout cas sont très sensibles à ces questions-là.

Quand on a l'habitude de danser sur terre avec nos jambes et nos bras, comment crée-t-on une chorégraphie dans l'eau ?

On a commencé à travailler en studio. Il y avait des moments où ça marchait très très bien, et puis, ensuite, quand on passait dans le bassin, ça ne fonctionnait plus du tout. Comme elles flottent, elles effectuent des mouvements en plus par le bas du corps. 

Parfois, à l'inverse, on avait des surprises. Mais souvent, elles me disaient assez vite, en studio, qu'elles ne pourraient pas le faire dans l'eau ou que si on faisait ce mouvement, il faudrait multiplier par deux le temps. 

La chorégraphie est désormais finie. Mais pour le moment on a travaillé les pastilles séparées, c’est-à-dire que plutôt que d'enchaîner les trois minutes d'une traite, on a toujours travaillé par petites séquences. Les prochaines étapes, ce sera de faire en sorte qu'elles arrivent à tenir techniquement et physiquement l'ensemble du module de trois minutes. 

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