Paris 2024 : bénéficiaires d'une bourse olympique, des athlètes étrangers construisent leur rêve de Jeux depuis la France
"Depuis que je suis arrivée au centre, j'ai amélioré mon niveau physique et mes temps. Ici, si tu as besoin d'aide, on est là pour toi." En juillet 2022, Natacha Ngoye, sprinteuse congolaise spécialiste des 100 et 200 mètres, a débarqué au Centre régional jeunesse et sports (CRJS) de Petit-Couronne, près de Rouen (Seine-Maritime). Bénéficiaire d'une bourse olympique, l'athlète, bonnet en laine noire floqué des anneaux olympiques sur la tête, s'entraîne depuis plus d'un an et demi en France afin de tenter de se qualifier pour les Jeux olympiques de Paris 2024.
Comme elle, ils sont onze autres athlètes africains à avoir obtenu cette bourse de la Solidarité olympique, initiée par le Comité international olympique (CIO) - faisant partie de ces vingt programmes d'aide afin de soutenir les athlètes défavorisés - pour les prochains Jeux. "La Solidarité olympique vise à garantir que les athlètes talentueux de tous horizons aient des chances égales d'atteindre et de réussir sur la scène olympique en fournissant un financement crucial pour les aider à financer leurs rêves olympiques", écrivait le 11 janvier dernier le site du CIO.
Seul centre d'accueil des boursiers olympiques en France
La bourse de la Solidarité olympique est accessible aux Comités nationaux olympiques (CNO) qui n'ont pas les moyens financiers d'aider leurs athlètes dans leur parcours sportif. Ces CNO proposent ainsi des noms d'athlètes, dont les dossiers sont ensuite acceptés ou refusés par la Solidarité olympique, en fonction d'un certain nombre de critères. La cohérence avec le projet sportif de l'athlète et ses ambitions, l'apport de ce séjour en fonction de sa discipline, la langue parlée, etc. Le Centre régional a ensuite le dernier mot : "Quand un dossier nous arrive, nous regardons si nous sommes en capacité de l'accueillir et de lui fournir ce dont il a besoin pour progresser", appuie Christophe Cornilleau, directeur du CRJS. D'ailleurs, l'infrastructure de Petit-Couronne est le seul centre en France à accueillir des sportifs bénéficiaires de cette bourse et placés par le CIO.
Grâce à cette bourse, les athlètes, tous issus de Comités nationaux olympiques étrangers, sont pris en charge à 100%. "Quand ils arrivent, ils sont seuls. Ici, ils sont hébergés, nourris, blanchis. Nous avons en charge la préparation physique au centre et nous avons des conventions avec des structures sportives locales pour la partie entraînement", détaille Christophe Cornilleau, le directeur de cette structure labellisée Insep, "ce qui lui reconnaît la capacité de recevoir un sportif et de le préparer au haut niveau", précise-t-il. Le centre reçoit directement le financement de la part du CIO et avec celui-ci, il doit couvrir l'ensemble des besoins de chaque athlète. Le CRJS, qui accueille ce programme depuis 2010 pour chaque JO d'été, peut accueillir jusqu'à trente athlètes.
L'objectif ? Se qualifier pour Paris 2024
Pour ces sportifs, que l'on surnomme ici, les athlètes "SO", l'objectif premier est simple : décrocher leur ticket pour les Jeux de Paris. Mais Natacha Ngoye ne s'empêche pas de rêver un peu plus grand. "Je veux accéder aux finales du 100 et 200 m, assume-t-elle. J’ai découvert les Jeux à Tokyo, puis j'ai participé aux Championnats du monde à Budapest en 2023. Aujourd'hui, j'ai l'expérience de l'événement, de l'organisation, ce qui est un atout pour Paris", poursuit la sprinteuse congolaise, qui avait passé le tour préliminaire sur le 100 m à Tokyo, avant de s'arrêter au premier tour.
Le judoka Andrew Mlugu (-73 kg), arrivé de Tanzanie en juin 2023, voit même encore plus grand : "Je vise la médaille, annonce sans détour l'athlète de 29 ans. Grâce aux infrastructures et équipements disponibles au centre, j'ai pu améliorer significativement mon niveau. Cela m'a amené à remporter une médaille d'argent à l'Open d'Afrique, à Dakar, l'année dernière", raconte celui qui s'est incliné au premier tour aux Jeux de Rio en 2016. Militaire de profession, il a obtenu une permission de la part de son gouvernement pour quitter son pays pendant un an afin de préparer les Jeux.
"C'est dur d’être loin de son pays et de sa maison, mais je veux aller au bout de mon objectif et je veux tout faire pour y accéder."
Andrew Mlugu, judoka tanzanienà franceinfo: sport
Resquin Mongondo, judoka centrafricain dans la catégorie des -60 kg, vise, lui, sa première qualification aux JO. "Dans mon pays, je n’avais pas le matériel nécessaire pour m’entraîner. Ni le temps, avec mon emploi à côté. Aujourd'hui, il n'y a pas photo, j’ai amélioré mon niveau technique de judo", se réjouit l'athlète de 26 ans, qui a donc mis son travail de vendeur en pause.
Surtout, Natacha Ngoye savoure aussi sa chance de pouvoir se préparer avec "sérénité". "Ici, je suis concentrée sur mon objectif, je suis venue pour ça. Je ne peux pas décevoir mon pays et le comité olympique. Au Congo, je devais gérer mon travail, chercher de l'argent pour les équipements, pour les soins, pour manger aussi. Je sens que je progresse, je suis proche des minima", explique fièrement, avec un large sourire, l'athlète, porte-drapeau de sa délégation à Tokyo en 2021. Arrivé en juillet 2022 à Petit-Couronne, Housni Thaoubani, judoka comorien de 27 ans (-81 kg), a lui aussi constaté sa progression technique et physique. Pour lui, il s'agit de l'opportunité d'une vie. "Deux choix s'offraient à moi : rester au pays et tirer un trait sur les JO, ou venir ici pour m’entraîner. J’ai choisi la deuxième option", tranche-t-il.
Car la réalité de leur quotidien est bien loin de celle des athlètes vivant dans les pays développés. "Un des nageurs du centre, un Guinéen, m'a confié qu'il n'y avait pas de piscine dans son pays, car cela coûte trop cher, raconte Christophe Cornilleau. Pour un sportif comme lui, s'entraîner en Guinée, c'est complètement illusoire. Un autre athlète, venu de Guinée-Bissau, a été victime d'une rupture des ligaments croisés lors de sa préparation ici. Il m'a dit : 'Si j'avais été au pays, j'aurai fini ma vie en boitant'. Voilà leur réalité."
Avoir 30 % d'athlètes aux Jeux, "une réussite"
Dans les faits, ces athlètes ont très peu de chances de monter sur le podium olympique. "À Tokyo, sur les 18 athlètes que nous avons eus, 14 sont allés au terme de leur préparation et sept étaient aux Jeux. Quand on est autour de 30% d'athlètes qualifiés aux Jeux, c'est une réussite. Notre mission est de les entraîner pour qu'ils aient le plus de chances possibles d'aller aux JO et que leur participation soit la plus pertinente possible", explique Christophe Cornilleau, en poste depuis six ans.
"Aux Jeux de Tokyo, 827 boursiers olympiques se sont qualifiés et ont participé aux Jeux, remportant au total 30 médailles d'or, 26 médailles d'argent et 47 médailles de bronze", écrit le site du CIO. Pour Paris 2024, près de 1 300 bourses individuelles ont déjà été attribuées à des athlètes de 145 CNO. Pour se qualifier, les athlètes doivent, comme tout autre athlète et selon les disciplines, réaliser les minima ou passer par des compétitions qualificatives. Ils peuvent aussi bénéficier d'invitations de la part du CIO.
Pour l'heure, aucun n'est encore officiellement qualifié. Ils devront patienter jusqu'au printemps pour savoir s'ils ont décroché le précieux sésame. En attendant, Andrew Mlugu s'applique pour réaliser son rêve avant de rentrer chez lui après les Jeux : "À mon retour au pays, j'espère pouvoir continuer le judo et réaliser un dernier objectif en allant aux JO de Los Angeles [en 2028]. Entre-temps, je vais reprendre mon poste de soldat. L'armée et le sport de haut niveau font partie de ma vie. Si je devais arrêter, qu'est-ce que je deviendrais ?"
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