De la première flamme à la reine d'Angleterre en parachute... Les cérémonies d'ouverture les plus marquantes de l'histoire des JO
Paris réussira-t-elle son entrée en Seine ? Comme d'habitude, rien n'a filtré quant au déroulement de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques que réserve la Ville Lumière au monde, si ce n'est son cadre fluvial. Secret des dieux de l'Olympe, sa mise en scène doit répondre à deux objectifs, comme le rappelle Sylvain Bouchet, historien et lauréat du Prix Coubertin pour sa thèse de doctorat sur les cérémonies olympiques : "sortir d'un temps normal, qui est celui de la vie de tous les jours, et imposer la trêve du pacifisme".
Aussi pieux soient ces vœux, une cérémonie d'ouverture doit pourtant jongler entre deux entités qui semblent antinomiques sur le papier : l'universalisme et le nationalisme. La première nommée "est vraiment l'ADN des JO, que l'on retrouve à travers le déroulé traditionnel, à savoir l'arrivée des athlètes avec leurs drapeaux, l'allumage de la flamme etc.", précise Sylvain Bouchet. Avant de nuancer aussitôt : "Une cérémonie n'est cependant absolument pas neutre, malgré toute la symbolique qui l'entoure. C'est aussi un instant politique considérable pour le pays organisateur."
Et pour cause. Avec des audiences qui se comptent en milliards de téléspectateurs lors des dernières éditions, "c'est l'occasion rêvée pour le pays de projeter une image de lui-même, bien réfléchie, bien pensée de sa culture et peut-être de son avenir. Bref une cérémonie d'ouverture c'est le cadre idéal pour faire du "nation branding" à travers des images du pays qui sont magnifiées, esthétisées, presque photoshopées". Des premiers Jeux de l'ère moderne, en 1896, à ceux que Paris s'apprête à accueillir, cette course contre le temps et les autres pays n'a cessé de s'intensifier. Pour le meilleur, souvent, comme pour le pire, parfois.
Athènes 1896-Londres 1908-Amsterdam 1928 : le temps des premières
Oubliez les chorégraphies et les feux d’artifice. Les premiers Jeux de l'ère moderne versent avant tout dans une rigueur quasi-militaire. On n'est pas là pour épater le reste du monde. "En 1896, il faut savoir que ce n'était pas simple de rassembler des chefs d'état autour d'un évènement sportif", recontextualise Sylvain Bouchet, "cette première édition était donc beaucoup plus protocolaire que spectaculaire". Témoin des balbutiements qui imprégnaient encore ces ébauches de cérémonies, la première fut orchestrée dans un stade d'Athènes qui n'était pas entièrement achevé le Jour J et où l'on avait peint des planches de bois en blanc pour donner l'illusion du marbre !
L'amateurisme qui règne encore, allié à la rigueur martiale des défilés des athlètes, ne sont pas du goût du baron Pierre de Coubertin qui œuvre pour introduire les premiers effets de mise en scène et une dimension plus poétique. Ses efforts de persuasion paient puisque Londres, en 1908, voit apparaître les premiers uniformes par délégation, lesquelles défilent désormais derrière leur drapeau. "Cela permet d'esthétiser, de rythmer et ritualiser la cérémonie", abonde Sylvain Bouchet.
Un premier pas vers les spectacles modernes comme nous les connaissons maintenant et qui se prolonge en 1928 avec l'apparition de la fameuse flamme. "Auparavant, à Anvers en 1920, il y avait déjà eu la création du drapeau olympique avec les anneaux", rappelle Sylvain Bouchet qui nuance la qualification de cette flamme "qui n'est pas encore olympique puisqu'elle n'est pas encore allumée dans la ville d'Olympie". Il faudra attendre les Jeux de 1936, à Berlin, pour assister à ce rituel, ainsi qu'au fameux parcours de la torche.
Berlin 1936 : innovation, confusion et répulsion
"C'est une idée nazie et c'est ce qui est dérangeant", confirme Sylvain Bouchet. L'historien revient sur la genèse de ce projet de parcours : "Ce sont les Allemands qui s'occupent des fouilles archéologiques à Olympie et ils se sentent chez eux là-bas. De plus, les membres du parti nazi ont toujours essayé d'ancrer leurs idéaux à de grands mythes anciens et l'opportunité de comparer leur régime aux divinités grecques était pour eux une véritable aubaine. Pour eux, Adolf Hitler était ainsi légitimé par toute cette symbolique".
D'autres circonstances vont contribuer à faire de cette cérémonie la plus funeste de l'histoire. Ainsi, dans un stade de Berlin rugissant et bardé de drapeaux à la croix gammée à la gloire du führer, la délégation française se jette dans la gueule du loup en effectuant, lors de son passage, un salut qui ressemble à s'y méprendre au bras tendu nazi. "En vérité, la France avait simplement repris le salut olympique qui existait déjà et qui, selon l'angle des photos ou des caméras, pouvait s'apparenter à celui du IIIe Reich". Une confusion des genres pour le moins malheureuse en ces temps déjà troublés. Elle soulèvera une immense polémique et amènera le CIO à supprimer ce salut devenu trop ambigu.
Moscou 1980-Los Angeles 1984 : les deux géants se répondent coup pour coup
Au début des années 80, une autre guerre mondiale couve. Celle-ci restera au stade de la menace mais cela n'empêche pas les deux superpuissances régnantes, l'URSS et les Etats-Unis, de s'intimider à distance. Même par le biais de l'olympisme. Le bloc de l'Ouest a donné le ton en boycottant les Jeux de Moscou, l'Union soviétique en fait de même quatre ans plus tard en refusant de se rendre en Californie. Débarrassée de l'ombre envahissante de son ennemi américain, Moscou frappe la première avec une cérémonie grandiose, mêlant démonstration de force et premiers tableaux "vivants".
Certainement impressionnés par le gigantisme de 1980, les organisateurs de Los Angeles n'ont pas le choix. Il faut faire encore mieux. "On rentre alors dans l'ère du 'toujours plus'", fait remarquer Sylvain Bouchet. En pleine époque de la conquête spatiale, les USA vont alors marquer les esprits en faisant atterrir un homme volant dans leur stade. Un symbolisme puissant selon l'historien : "Los Angeles fait passer ainsi le message que s'il y a une vie extraterrestre, elle se pose aux Etats-Unis, et pas en URSS".
Pékin 2008 : démesurée et manipulée
Bien des années ont passé depuis la guerre froide et une nouvelle puissance a émergé à l'Est. Fini le temps du "Quand la Chine s'éveillera". Le géant est désormais debout. Et après s'être éveillé, il va émerveiller. Notamment en investissant une somme record, plus de 100 millions de dollars, uniquement dans la cérémonie d'ouverture des JO de Pékin. A ce prix-là, tout est absolument grandiose, sublime, pharaonique. A l'échelle du spectacle pur, cette cérémonie demeure l'alpha et l'oméga. Tout simplement imbattable. Pourtant, derrière le show laser, deux anecdotes sont restées calfeutrées en coulisse. "La première était que Steven Spielberg devait co-réaliser cette cérémonie avec le metteur en scène chinois Zhang Yimou", révèle Sylvain Bouchet. "Mais quelques mois avant l'ouverture de ces JO, alerté par l'opinion publique de ce qui se passait au Tibet, il s'est retiré du projet. Dès lors, alors que l'on pensait que la Chine, avec Spielberg, allait créer une cérémonie ouverte sur le monde, elle s'est repliée sur elle-même et a proposé un spectacle certes spectaculaire mais finalement très autocentré".
Un hymne à sa propre gloire que l'on retrouve dans le chant cristallin de cette jeune fille qui aura ému des milliards de téléspectateurs. Problème, celle-ci a chanté en playback. Et l'explication est cette fois beaucoup moins valorisante pour la Chine, comme l'explique Sylvain Bouchet : "La vraie chanteuse, celle dont on entend la voix, n'était pas suffisamment belle pour passer à la télé..." Une polémique qui fera tache dans la partition parfaite que rêvait de jouer la Chine aux oreilles du monde.
Londres 2012 : flegme olympique
Conscients qu'ils ne pouvaient rivaliser, en termes de magnificence, avec Pékin, les organisateurs londoniens ont opté pour ce que les Britanniques savent faire mieux que tout le monde : rire d'eux-mêmes. Le résultat est une réussite totale et, à travers nos yeux d'Occidentaux, cette cérémonie reste à ce jour la référence absolue en termes d'humour et de pop culture. Mais, au-delà des mimiques de Mr Bean sur la musique des "Chariots de feu" ou du parachutage par James Bond de la Reine Elizabeth II, Londres a également su briser des codes pourtant bien établis.
"Le tableau principal de la cérémonie retrace l'histoire de l'Angleterre", se souvient Sylvain Bouchet, "et Londres y a fait une place à la révolution industrielle, très critiquée à l'époque, en faisant sortir du stade des cheminées qui crachaient de la fumée. Jusqu'alors, c'est typiquement ce que l'on cherchait à dissimuler aux jeux olympiques". Une narration osée que l'on n'a, par la suite, pas retrouvée à Rio ou à Pékin. Paris reprendra-t-elle le flambeau ?
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