Paris 2024 : ils ont décroché une qualification pour les JO mais en seront peut-être privés, le crève-coeur des sélections olympiques
"Je ne vais pas mentir, je ne suis pas sûr et certain d’être aux Jeux". A moins de cinq mois de l’ouverture des JO de Paris 2024, Sébastien Guerrero est dans l’expectative. Le tireur, spécialiste de la fosse olympique, a débloqué un quota pour la France dans sa discipline grâce à sa médaille de bronze aux derniers championnats d’Europe.
Mais il n’est pas encore assuré que le ticket olympique lui revienne. Il s’agit d’un quota non nominatif, distribué en tir comme dans d’autres sports, et qui est attribué par les fédérations à ses athlètes selon des critères plus ou moins établis.
Taekwondoïste, Mickaël Borot se souvient d’une "désillusion terrible". En 2008, alors qu’il avait remporté le tournoi mondial de qualification olympique, ce qui avait offert une place pour les JO de Pékin à la fédération française, c’est son rival Pascal Gentil qui avait été sélectionné.
"Quatre ans plus tôt, pour Athènes, c’est Pascal qui avait qualifié notre catégorie, et ce n’était pas nominatif. Je l’avais battu dans un combat juste avant la sélection, 11 à 7, le score est encore gravé dans ma mémoire. J’étais l’homme en forme, mais je n’avais pas été choisi, raconte-t-il. Alors en 2008, quand je ramène le quota et que, rebelote, on choisit Pascal, je l’ai pris de façon très dure, j’ai pensé à arrêter ma carrière".
Des critères de sélection parfois flous
Emma Vuitton, kayakiste qui espère encore participer aux JO de Paris 2024, a connu la même déception, mais avec une concurrence plus apaisée au sein du groupe France. Avec sa 14e place lors des Mondiaux 2023, elle a obtenu un quota olympique en kayak slalom mais n’a pas été sélectionnée au profit de Camille Prigent, qui s’était manquée ce jour-là (29e), mais qu'elle ira encourager au bord des bassins cet été.
"J’étais assez déçue, parce que si j’ai décroché le quota, ça montre que je peux répondre présente le jour J, quand ça compte. Mais notre sélectionneur a regardé les résultats sur d’autres compétitions, dont la Coupe du monde à Vaires-sur-Marne (qui sera le lieu de compétition du canoë-kayak aux JO 2024). J’ai été plutôt régulière mais il m’a manqué un gros résultat, un coup d’éclat, ce que Camille a réussi (5e à Vaires-sur-Marne, Emma Vuitton avait terminé 9e), donc je peux comprendre", explique-t-elle.
La kayakiste regrette tout de même une absence de règles pour l’attribution du quota. "On sait que certaines échéances majeures de la saison comptent, qu’il faut être forte dessus. Maintenant, dans quelle mesure les places comptent ? Une cinquième place ? Une troisième place ? C’est assez flou, ce n’est pas mathématique", s’interroge-t-elle.
Mickaël Borot a lui aussi fait les frais d’une sélection à la discrétion de sa fédération. "J’avais imaginé ce scénario de non-sélection, parce qu'à peine le quota décroché, le directeur technique national était venu me voir en me disant que les compteurs étaient remis à zéro.
"Imaginez-vous l’inconfort psychologique dans lequel on m’a mis pour ensuite endurer une année à ne pas savoir si je pourrais faire les JO ou non".
Mickaël Borot, ancien taekwondoïsteà franceinfo: sport
"Finalement ils ont fait à leur sauce, avec des critères qui n’ont pas été précisés. Ils m’ont dit que Pascal avait une forte expérience avec des médailles à Sydney et Athènes. Mais je l’ai pris comme une injustice parce que le DTN, qui faisait la sélection, venait du même club que Pascal Gentil, donc pour moi il y avait conflit d’intérêts. Et la démission du coach olympique hollandais recruté pour nous préparer m’a conforté dans mon impression".
Pour éviter de telles situations, d’autres fédérations, comme celle de tir, ont établi des règles claires. Pour Paris 2024, "celui qui prend son quota sur un grand championnat en étant médaillé doit reconfirmer sur la saison à venir en atteignant une finale (les huit premières places) sur une compétition. Si on prend un quota en étant non médaillé, alors il faut valider sur une compétition internationale en glanant une médaille", explique Sébastien Guerrero, qui se réjouit de connaître les conditions de qualifications.
"Mais on me l’a appris en décembre, donc il a fallu se préparer pour attaquer les Coupes du monde en février, qui n’étaient pas prévues dans mon calendrier. Donc les résultats n’étaient pas très bons. Ça met la pression et peut-être qu’avec ce poids sur les épaules, j’ai très mal tiré. Mais maintenant, il faut que je me bouge", affirme-t-il.
Prime au meilleur athlète du moment ?
Même si cette règle des quotas non nominatifs pourrait ne pas lui sourire, si jamais son coéquipier et "concurrent" Clément Bourgue est finalement choisi, Sébastien Guerrero y est pourtant favorable. "L’équipe de France c’est le haut niveau. Pour viser les médailles, ce n'est pas la fête du village et les remerciements", assure-t-il.
"Paradoxalement, avant d’obtenir le quota, j’aurais dit : 'celui qui le prend, part aux Jeux, c’est normal'. La question ne se pose pas pour les quotas obtenus quelques mois plus tôt, la même année que les Jeux, mais il y a aussi des obtentions de quotas un an avant les JO. Est-ce que cette personne-là sera encore en forme aux JO ?", se questionne-t-il.
Tireur également, mais dans la discipline du skeet, Eric Delaunay n’avait lui pas réussi à valider le quota qu’il avait décroché pour Londres 2012, avec son sacre de champion d’Europe en 2011. "Il y a forcément la déception de ne pas aller aux Jeux, mais je connaissais les règles et ce n’est la faute de personne d’autre si en 2012, j’ai tiré comme une quiche, concède-t-il.
"Anthony Terras a eu de meilleurs résultats que moi, et il avait une meilleure place au classement mondial, ce qui a joué en sa faveur pour la sélection. Il avait été médaillé de bronze aux JO de Pékin, c’est aussi une expérience qui a dû jouer. Je comprends l’intérêt de la fédération de choisir le meilleur athlète du moment pour avoir le plus de chances de faire un résultat".
Changer le système de l'intérieur
Même s’il a eu du mal à regarder les JO de Londres à la télévision, Eric Delaunay a depuis digéré cette non-sélection et a participé aux Jeux olympiques de Rio et de Tokyo, et espère être de la partie à Paris.
Mickaël Borot avait lui connu un rebondissement, puisqu’en 2008, Pascal Gentil avait dû déclarer forfait en raison d’une blessure au pied droit. Il avait alors été rappelé pour finalement participer aux JO. "Et quelques années plus tard, je suis passé de l’autre côté de la barrière. Je suis devenu entraîneur national pour changer le système de l’intérieur", raconte celui qui s’est depuis reconverti comme préparateur mental.
"J’ai essayé de me reposer sur des critères clairs et solides pour faire les sélections. Pour les JO de la jeunesse, mon principe de sélection était : celui qui qualifie la catégorie allait aux JO. Et ça s’est bien passé puisqu’on a ramené l’or olympique."
Mickaël Borot, ancien taekwondoïsteà franceinfo: sport
Emma Vuitton, Eric Delaunay et Sébastien Guerrero doivent encore patienter pour savoir s’ils participeront à Paris 2024, puisque des quotas sont encore en jeu. La kayakiste se trouve dans une situation paradoxale : "Comme j’ai décroché le quota en kayak slalom, je ne peux pas prendre part au tournoi de qualification olympique en juin, où il y aura de nouveaux quotas à aller chercher en kayak cross", dévoile Emma Vuitton.
"Des kayakistes françaises seront au départ pour en décrocher, donc il faut qu’elles soient fortes pour cela. Mais en même temps, si elles le sont trop, elles pourraient attirer l'œil du sélectionneur qui l’attribuera". Emma Vuitton, qui a connu cette situation à ses dépens, pourrait à son tour se voir attribuer un quota qu’elle n’a pas obtenu.
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