Paris 2024 : pourquoi la Seine sera théoriquement baignable pour les Jeux… et après
Fin mai, quand Anne Hidalgo et Emmanuel Macron ont annoncé qu’ils plongeraient dans la Seine le 23 juin, les réseaux sociaux se sont emballés. Sur X (ex-Twitter), #JeChieDansLaSeineLe23Juin est vite devenu le hashtag le plus partagé, surfant sur une vague de moqueries plus ou moins fines.
Pourtant, lorsque l’on se penche sur le fond du sujet, tout a été pensé pour que la Seine soit baignable pour les épreuves de triathlon, paratriathlon et natation marathon cet été (même si le plongeon inaugural vient d’être reporté à cause du débit du fleuve). En théorie.
Un dispositif à peine en service
"Ce n’est pas un sujet pour nous", tranche immédiatement Dorian Coninx, champion du monde français de triathlon, agacé par cette question. "On sait que tout a été mis en place pour que la Seine soit propre cet été, puis pour la population à l’avenir. C’est une fierté d’apporter cet héritage d’une Seine baignable aux Parisiens", ajoute Benjamin Maze, DTN des triathlètes tricolores. "Le scepticisme, c’est celui du public, pas des sportifs", note de son côté Pierre Rabadan, adjoint aux Sports et aux Jeux olympiques et paralympiques à la mairie de Paris.
“On n’a pas de plan B pour le triathlon, parce qu’il n’y en a pas besoin. Au pire, on peut décaler la compétition en cas d’orage, mais la Seine sera baignable, c’est sûr"
Pierre Rabadan, adjoint aux Sports à la mairie de Parisà franceinfo: sport
Lassé des moqueries, Pierre Rabadan dresse un parallèle avec la piétonisation des voies sur berges en 2018 : "Tout le monde se moquait de la maire de Paris. Aujourd’hui, si on voulait faire marche arrière là-dessus, les mêmes diraient qu’on est fous. Cette reconquête de la Seine a été un combat virulent". Mais un combat qui porte ses fruits, avec aujourd’hui 35 espèces de poissons dans la Seine, qui n’en dénombrait plus que trois dans les années 1980.
"Le plan baignade est la dernière pièce de cette reconquête, puisqu’il va rendre la Seine aux Parisiens dès l’été 2025, glisse Pierre Rabadan. Grâce aux JO, on a gagné 15 ans sur ce projet à 1,4 milliard d’euros." Car pour permettre aux athlètes, puis aux Parisiens, de nager dans le fleuve, il a fallu investir, et pas qu’intra-muros. "Pour que la Seine soit baignable au pont Alexandre III, il faut qu’elle rentre propre dans Paris, et qu’elle reste propre. Et ça se joue bien en amont", résume Samuel Colin Canivez, ingénieur en chef du bassin d’Austerlitz, l’un des édifices construits dans le cadre du plan baignade.
“Le plan baignade implique une trentaine de collectivités, c’est 1,4 milliard d’euros. Il implique tous les territoires en lien avec la Seine et la Marne”
Samuel Colin Canivez, ingénieur responsable des grands travaux du réseau d'assainissement parisienà franceinfo: sport
Concrètement, pour rendre la Seine baignable pour les Jeux (et après), il a fallu agir sur plusieurs terrains. "Les 255 bateaux et logements sur la Seine sont désormais tous raccordés à un port. Leurs eaux usées s’évacuent maintenant vers les égouts, ce qui n’était pas le cas avant", avance Pierre Rabadan, qui ajoute : "On avait aussi dénombré 20 000 logements qui déversaient, consciemment ou pas, leurs eaux usées dans la Seine et la Marne en amont de Paris. La moitié a été correctement rebranchée."
La pluie comme principale ennemie
Toujours en amont de la capitale, une station de dépollution des eaux fluviales a été inaugurée fin mai, à Champigny-sur-Marne. Mais le cœur de ce projet, ce sont les bassins construits autour et dans Paris, à l’image du bassin d’Austerlitz, "star" de ce plan baignade. "En gros, c’est une salle d’attente pour les eaux de pluie pour éviter la saturation des égouts, en attendant de que ces eaux soient traitées puis rejetées", explique Samuel Colin Canivez. "On peut aujourd’hui stocker 100 000 m3 de plus à Paris."
Cet ensemble de bassins comparables a donc vu le jour pour contrer la principale source de pollution de la Seine : les eaux usées domestiques. "Ce qui pollue l’eau en bactéries, ce sont les chasses d’eau qui se retrouvent dans la Seine", simplifie l’ingénieur. Il poursuit : "En vérifiant les branchements et en raccordant les bateaux, on a limité ces déversements des eaux usées lors d’un temps sec : c’était la première étape". Restait à régler le problème des épisodes pluvieux.
"Quand il pleut trop. les égouts saturent. Pour éviter que cela déborde sur la place publique, on utilise le milieu naturel qu’on a sous la main si l’on n’a pas de système de régulation des flux"
Samuel Colin Canivezà franceinfo: sport
Or, l’ensemble des bassins de stockage remplit ce rôle de système de régulation des flux. Leur but est simple : faire en sorte qu’aucune eau usée ne soit déversée dans la Seine, même en cas de fortes pluies. "Il y aura toujours des événements météorologiques qui dépasseront la capacité des infrastructures, prévient toutefois Samuel Colin Canivez. On tire trois millions de chasses d’eau par jour dans quelques kilomètres carrés, à Paris. En plus de cela, le débit de la Seine est très faible, ce qui la rend très vulnérable à la pollution.”
Malgré tous ces efforts, l’ONG Surfrider – qui effectue des prélèvements réguliers depuis septembre 2023 – "s’alarmait" de l’état des eaux de la Seine début avril. "Ce qui ne voulait rien dire, puisque tout ce qui a été construit entre en service là, début juin", balaye Pierre Rabadan, à la mairie de Paris. D’ailleurs, Marc Valmassoni, hydrogéologue, l’admet : "Sur le papier, on est très favorable à ce qui a été fait. On ne peut que se réjouir que des aménagements soient mis en place. Maintenant, on attend la mise en service complète de tous les équipements pour voir les effets concrets."
Un héritage concret dès l'été 2025
Si l’on "attend de voir tout cela en fonctionnement avant de juger" chez Surfrider, Marc Valmassoni est tout sauf sceptique. L’hydrogéologue regrette toutefois que la mairie de Paris se soit concentrée uniquement sur la pluie : "Ils n’ont pas travaillé sur la désimperméabilisation et la revégétalisation des sols. Une goutte d’eau qui tombe sur le béton se charge de matériaux et de bactéries, alors que si elle tombe sur de la terre, elle enrichit le sol sans se charger."
Malgré tout, l’heure est donc à l’optimisme dans tous les camps, bien loin des mauvais souvenirs des test events annulés à l’été 2023. "Ces annulations nous ont permis de déceler des oublis. Le jour du triathlon, par exemple, on a eu une panne électronique, une vanne s’affichait fermée alors qu’elle était ouverte. Ca nous a permis de mettre en place un système de surveillance du réseau souterrain beaucoup plus pointilleux", détaille Pierre Rabadan.
Comme beaucoup à la mairie de Paris, l’adjoint aux Sports espère que la tempête est passée. "Maintenant, les gens vont comprendre que tout cela dépasse les Jeux. Dès 2025, on aura trois sites de baignades dans Paris à Bercy, Grenelle et dans le bras Marie. Et on a déjà eu 27 demandes d’ouverture de baignade ailleurs qu’à Paris", assure l’élu, qui imagine déjà organiser des compétitions pour le grand public, dans la Seine.
Un succès que salue l’ONG Surfrider. "Il va faire de plus en plus chaud, les gens vont avoir besoin d’accès à la fraîcheur, donc la baignabilité en ville est un enjeu capital", apprécie Marc Valmassoni. De quoi rendre Pierre Rabadan un brin taquin : "Tous ceux qui se moquent de ce plan baignade, je suis sûr qu’on les verra bientôt en maillot de bain…"
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