Paris 2024 : relations amoureuses et sport de haut niveau, comment concilier les deux ?

Trois athlètes ont accepté de se livrer sur leurs amours, ce qu'elles peuvent leur apporter dans leur vie sportive ou parfois au contraire, les aspects négatifs qui en découlent.
Article rédigé par Sasha Beckermann
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 6 min
Paris 2024 : entre soutien inconditionnel et source de stress, comment les athlètes gèrent-ils leurs relations amoureuses ? (Margaux Moroch/Franceinfo)

L'amour à la plage, ou plutôt sur les pistes d'athlétisme, d'escrime ou les tatamis. Des sportifs et sportives français de haut niveau ont accepté de se livrer sur leurs relations amoureuses. Et d'en dévoiler les effets sur leurs performances. Moitié issue du monde du sport ou simple "moldu", en référence aux non-sorciers dans la saga Harry Potter ? À chaque sportif et sportive de choisir son âme sœur parmi les athlètes de haut niveau, ou de préférer une compagne ou un compagnon aux talents bien différents. 

Lila*, membre de l'équipe de France d'escrime, a rencontré son petit ami en dehors du milieu sportif, via les réseaux sociaux. Une modalité de rencontre parfaitement anticipée. "Je voulais être sûre de ne pas le rencontrer dans mon cercle d'entraînement ou dans le cercle de sportifs autour de moi. Je voulais avoir ma vie privée vraiment séparée de ma vie sportive et professionnelle", justifie l'athlète, ravie de trouver en son compagnon "une bulle à part sur laquelle (se) reposer" lorsqu'elle rate une compétition.

De nécessaires compromis

Pour Fabrice Allouche, préparateur mental et ancien triple champion du monde de kick-boxing et boxe thaï, ce type de couple permet d'apporter "un équilibre en dehors du monde sportif qui peut être rafraîchissant pour l'athlète". Mais c'est aussi un risque à prendre avec une gestion d'emploi du temps différente, sur le plan personnel comme professionnel. "Ce sont des compromis et de la patience", lâche-t-il. Compromis, parce que les deux individus ne mènent nécessairement pas la même vie et que cela peut avoir un impact sur leur relation.

"En tant que sportif de haut niveau, on vit quelque chose d'hors norme. On voyage beaucoup, l'absence peut créer du manque du côté de celui ou celle qui a une vie un peu plus 'classique' et qui reste à la maison. Il y a aussi énormément de rencontres, ce qui peut aussi créer du doute, des insécurités."

Lila*, escrimeuse de haut niveau

à franceinfo: sport

À l'inverse, l'athlète de haut niveau est confronté à une certaine incompréhension du métro-boulot-dodo de sa moitié. "Par exemple, j'ai du mal à comprendre qu'il a passé une mauvaise semaine parce qu'il a eu trois fois des problèmes de transports en commun. On n'a pas le même stress quotidien", illustre Lila.

Une vie souvent en vase clos

Il arrive que cette solution – de vivre une relation avec un "moldu" –, ne s'offre même pas à ces sportifs de haut niveau, qui vivent et évoluent majoritairement en vase clos. "J'avoue que je n'ai jamais cherché en dehors du monde du sport. Je ne me suis pas ouverte, on traîne toujours entre nous", concède la judokate Marie-Eve Gahié, en route pour Paris 2024 (-70 kg), en couple depuis trois ans avec un judoka de haut niveau.

"En partageant des expériences similaires, les partenaires peuvent se soutenir efficacement face aux défis spécifiques liés à la vie sportive. Ils comprennent les sacrifices nécessaires, la rigueur des entraînements et les exigences des compétitions", estime Fabrice Allouche. C'est ce qu'expérimente Nathan Ismar. Le champion de France du saut en hauteur 2021 et 2022 partage sa vie depuis bientôt trois ans avec la sprinteuse Mallory Leconte, elle aussi membre de l'équipe de France. Être en couple avec une sportive de haut niveau lui facilite la tâche, parce qu'ils ont les mêmes impératifs et obligations.

Avant Mallory Leconte, il partageait sa vie avec une femme sportive, mais dont ce n'était pas l'activité principale. "C'était compliqué parce qu'il y avait beaucoup d'incompréhensions. Si j'avais un week-end tranquille sans compétition, elle ne comprenait pas que je voulais rester tranquille et me reposer. Moi je veux végéter, ne pas aller à droite, à gauche, au cinéma… et elle me faisait des réflexions."

Un impact sur le sportif

En 2021, la judokate Marie-Eve Gahié avait pris la décision de laisser de côté les amours pour se concentrer sur Tokyo. "Je ne voulais pas être en couple avant les Jeux parce que je ne voulais pas avoir à gérer en plus ces émotions-là", confie-t-elle. Mais les sentiments ont finalement été plus forts.

"C'est une image erronée que celle du sportif de haut niveau qui compartimente toute sa vie et que rien n'atteint. On ne peut pas tout planifier."

Marie-Eve Gahié, judokate

à franceinfo: sport

La judokate confirme que la vie de couple peut exercer une influence sur les performances d'un sportif. "Si elle traverse des moments difficiles, elle [la personne qui partage sa vie] peut devenir une source de distraction. Et détourner l'attention des entraînements et des compétitions", dissèque Fabrice Allouche. "Nous, on est assez intelligents pour calmer les choses en cas de dispute. Si c'est avant une compétition et qu'on n'arrive pas à trouver un terrain d'entente, on se dit qu'on va en parler après. Mais, parfois, ça arrive qu'on ne puisse pas attendre et ça explose", détaille Marie-Eve Gahié.

Pour pallier ces risques, Lila a très rapidement posé les règles du jeu, notamment sur la gestion de ses émotions en période à enjeux. "On n'a jamais eu d'embrouille avant une compétition parce qu'il sait que ça pourrait me desservir." "Normalement, rien n'est censé nous dévier de la performance", abonde Nathan Ismar, qui concède pourtant avoir vécu auparavant une relation dont la fin a eu un impact sur le sportif. "Quand on s'est séparés, je dormais beaucoup mieux, j'avais moins d'appréhension à ouvrir mon téléphone. Ma tête était plus légère, raconte le sauteur. Mon coach me disait même qu'il me sentait plus apaisé. Du coup, on pouvait sauter un peu plus longtemps."

Pour Fabrice Allouche, il est capital que l'impact d'une relation amoureuse, négatif comme positif, soit considéré par ses acteurs. "Une rupture peut aussi stimuler et être un moteur pour l'athlète, qui va transformer cette rage et cette tristesse en détermination pour réussir et atteindre ses objectifs", analyse le préparateur mental.

De la compétition dans le couple ?

Si Lila refuse d'être en couple avec un sportif de haut niveau, c'est aussi pour éviter les situations inconfortables, notamment en cas de résultats différents. "Quand l'un performe et que l'autre non, on peut se sentir mal à l'aise. On va un peu cacher notre bonheur pour ne pas affecter l'autre, et on va devoir gérer les émotions négatives de son partenaire, parce qu'on a envie d'être là pour lui", liste l'escrimeuse.

La dynamique de rivalité, "surtout si les deux athlètes sont dans le même domaine ou sport", est un paramètre à ne pas omettre non plus, précise Fabrice Allouche. Marie-Eve Gahié n'y voit, elle, que du positif et parle de compétition très saine. "Quand j'ai été sélectionnée pour les Jeux de Paris en novembre, la première chose que mon compagnon m'a dite, c'est : 'Tu ne vas rien lâcher, ne crois pas que tu vas te reposer', retrace-t-elle. Mais c'est un esprit de compétition très sain, qui me tire vers le haut. J'ai besoin d'un support, pas d'un concurrent."

En 2021, lorsqu'elle n'a pas été sélectionnée pour les JO, elle a ainsi pu bénéficier du soutien de son compagnon, lui aussi resté à quai en raison d'une blessure. Il a été une oreille attentive, doublée d'une évidente compréhension de la situation. "On a eu des conversations très profondes pour savoir pourquoi je n'étais pas qualifiée, qu'est-ce qui avait péché, et comment le modifier pour la suite. Il m'a vraiment aidée dans mon introspection." "Le couple, c'est un travail d'orfèvrerie", conclut Fabrice Allouche. Comme le sport de haut niveau.

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