JO de Paris 2024 : 65 villes-étapes, des réticences financières et quelques déçus… Plongée dans les coulisses du parcours de la flamme olympique
"Cent quatre-vingt-mille euros, c'est toujours un gros effort financier." Lorsqu'ils ont vu la facture arriver, certains départements, comme le Val-de-Marne ou les Yvelines, ont hésité. Les deux départements franciliens ont finalement fait le choix de débourser la somme réclamée par le Comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojo) pour pouvoir accueillir la flamme olympique sur leurs terres.
>> CARTE. JO de Paris 2024 : découvrez le parcours de la flamme olympique
Le très attendu parcours de la flamme, dévoilé vendredi 23 juin, va se déployer du 8 mai au 26 juillet 2024, de Marseille à Paris, à travers 64 "territoires", dont cinq collectivités d'outre-mer (Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion, Polynésie française) et cinq regroupements de communes. Près d'un département sur trois, en revanche, a renoncé. Ce sont finalement 65 villes-étapes qui clôtureront chaque jour l'arrivée du relais. Plongée dans les affres de l'élaboration d'un parcours qui, contrairement à une promesse du Cojo en février, ne permettra pas à 90% des Français de "voir la flamme à moins d'une heure de chez eux".
Un prix prohibitif pour de nombreux territoires
Si une trentaine de départements ne figurent pas sur le tracé, la raison est avant tout financière. Pour accueillir la flamme olympique, chacun aurait dû débourser 180 000 euros. Un montant conséquent, surtout pour des départements ruraux comme la Creuse, la Haute-Vienne ou les Vosges. A Epinal, préfecture des Vosges, "la somme astronomique demandée" a tout de suite conduit la municipalité à mettre fin au projet.
Parmi les absents de marque, le département de la Savoie et sa sous-préfecture Albertville, hôte des JO d'hiver 1992. Après le refus du conseil départemental, celle-ci a reçu une demande du Cojo pour que la flamme passe quand même dans la ville. "J'ai présenté le dossier sans parler d'argent, tout le monde était pour, mais quand j'ai évoqué la 'douloureuse', environ 47 000 euros, les gens ont freiné", raconte Michel Batailler, adjoint aux sports de la ville. Plus de trente ans après, la cité alpine garde pourtant l'amour et la trace des Jeux.
"Les gens auraient été contents de voir passer la flamme, mais je ne suis pas sûr qu'ils auraient compris que des milliers d'euros soient dépensés pour cet événement."
Michel Batailler, adjoint aux sports à la mairie d'Albertvilleà franceinfo
D'autant que la commune a des chantiers en cours ou à venir : l'entretien du mât olympique, "qui coûte 230 000 euros", la transformation du parc olympique en espace pour les enfants et les familles. "Tout cela coûte réellement cher, et je préfère mettre l'argent de la ville ici", se justifie Michel Batailler.
Interpellé en février, le président du Cojo, Tony Estanguet, avait expliqué dans L'Equipe que cette "participation au coût" était loin de couvrir les frais générés par le passage de la flamme, soulignant que le montant avait été fixé en concertation avec les associations d'élus et que ces derniers avaient "trouvé que c'était un prix accessible à l'ensemble des territoires".
Pourquoi ne pas avoir modulé le tarif demandé en fonction des ressources financières de chaque collectivité ? Selon Michaël Aloïsio, porte-parole de Paris 2024, c'est l'Association des départements de France qui a plaidé pour un système de forfait. "Sinon, les négociations avec chaque département auraient été trop spécifiques et difficiles", assure-t-il.
Les espoirs déçus de villes "oubliées" du tracé
Ici ou là, certains maires s'estiment mis devant le fait accompli par la décision du conseil départemental de ne pas accueillir la flamme. A Tulle (Corrèze), on regrette que le département, pourtant engagé dans l'aventure olympique à travers le label "Terre de Jeux", n'ait pas donné suite aux sollicitations du Comité. "Je suis un peu déçu qu'on n'aille pas au bout", déclare le maire (PS) de la ville, Bernard Combes, tout en reconnaissant le coût élevé de l'opération. "La flamme reste un élément symbolique pour favoriser le sport, donc on aurait pu être intéressés. Mais 180 000 euros pour un passage de flamme… Il y a d'autres priorités."
>> Le tracé de la flamme olympique entre couacs et histoires insolites
"Avancer le prix comme argument est peut-être plus valable localement en termes de communication", suggère-t-on au Cojo, en soulignant que chaque département est aussi soumis à ses propres réalités politiques. A Limoges, la mairie LR ne digère toujours pas la décision du conseil départemental de la Haute-Vienne, tenu par le PS, d'avoir décliné la flamme olympique "de manière autonome, sans en parler aux mairies ou aux communautés urbaines". Résultat, "on se retrouve comme des cons", souffle Sylvie Rozette, adjointe aux sports au maire de Limoges.
"Le département a voulu dénoncer le coût de passage, mais si on avait pu unir nos forces... J'ai senti qu'il ne voulait pas nous faire ce cadeau de la flamme."
Sylvie Rozette, adjointe aux sports à la mairie de Limogesà franceinfo
L'adjointe constate que le Limousin va être privé du passage de la flamme, puisque la Creuse et la Corrèze ont, elles aussi, dit non. C'est également le cas dans de larges zones du centre-est de la France. Au point de susciter des regrets ? C'est l'intuition du Cojo. "Certains se diront peut-être en voyant le relais : 'c'est dingue, on aurait pu y aller'", avance Michaël Aloïsio.
Mais, en présentant un cahier des charges précis, avec un relais quotidien par territoire et la commune la plus importante désignée comme ville-étape à la fin de chaque journée, le Comité a aussi fait quelques malheureux. "On n'a pas pu contenter tout le monde", admet-on au conseil départemental du Maine-et-Loire, où "sept villes seront concernées". De son côté, le Val-de-Marne a fait son "maximum" en sollicitant 15 villes sur les 47 communes du département.
Des villes qui se sont battues pour la flamme
Certaines villes ont tout fait pour voir passer la flamme malgré le refus initial de leur département. C'est le cas dans l'Hérault, où Sète s'est alliée avec Montpellier et Millau (Aveyron), pour ne pas être privée de "l'expérience d'une vie". Les trois villes se sont réparti la somme demandée. Des alliances de ce type se sont nouées en Loire-Atlantique, entre La Baule, Vertou, Basse-Goulaine et Saint-Sébastien-sur-Loire, pour dépasser le refus du conseil départemental, rapporte Ouest-France.
Châteaudun non plus ne voulait pas rater ça. Le maire de cette sous-préfecture d'Eure-et-Loir, Fabien Verdier, n'a pas hésité au moment de débourser 20 000 euros pour s'associer avec Bonneval, Chartres et Dreux. "Si on regarde le prix des places, le seul moyen d'avoir les JO, c'est la flamme. Les gens auront l'impression que les Jeux seront passés dans notre ville", espère-t-il.
"C'est une façon de mettre en avant de manière positive ton territoire, donc 20 000 euros dans ce cas-là, c'est pas cher."
Fabien Verdier, maire de Châteaudunà franceinfo
Dans le sud-ouest, Saint-Emilion, elle, s'est rapprochée de Bordeaux et Libourne après le refus du conseil départemental de la Gironde. "Il y a eu une vraie déception générale", glisse Joëlle Manuel, première adjointe de la commune viticole. Une déception dépassée notamment grâce à l'appui de Bordeaux métropole, qui prend en charge la majeure partie de l'effort financier (100 000 euros). Saint-Emilion a participé à hauteur de 20 000 euros, Libourne et Bordeaux, 30 000.
"On a voulu contourner la décision du département", explique le maire de Libourne, Philippe Buisson. "On ne peut pas reprocher aux Jeux de s'enfermer dans un carcan parisien sans se mobiliser pour que la flamme passe partout. Je respecte les choix des uns et des autres, mais ça doit être un moment de concorde nationale", ajoute-t-il. Et même si "c'est beaucoup d'argent, c'était absorbable en plusieurs fois et ça reste moins cher que le Tour de France, par exemple."
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