Paris 2024 : la promesse de Jeux écologiques est-elle crédible ?
C'est un changement de discours aussi discret que révélateur de la sensibilité du sujet. Il y a deux ans, les organisateurs des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 promettaient les premiers Jeux à "contribution positive pour le climat". L'idée était d'aller au-delà de la neutralité carbone, en projetant d'éliminer davantage d'émissions de gaz à effet de serre que celles produites par l'événement. Ces gaz, libérés par notre consommation d'énergies fossiles, sont la principale cause du réchauffement climatique.
En mai 2023, cette construction comptable, critiquée par plusieurs scientifiques interrogés par franceinfo pour son caractère trompeur, a disparu de la communication officielle. "On ne parle plus de contribution positive pour le climat", confirme à franceinfo Benjamin Lévêque, responsable climat et biodiversité au sein du comité d'organisation (Cojo). "Nous trouvons que ce n'est pas raisonnable scientifiquement et compte tenu de l'urgence."
Un impact "significatif, mais très inférieur" aux précédentes éditions
Le mot de "neutralité" carbone, qui n'a de sens qu'à l'échelle de la planète ou d'un pays, est également banni. "Cela montre au moins que le Comité pour la transformation écologique sert à quelque chose et que nous sommes écoutés", réagit Benoît Leguet, membre de cette instance consultative et directeur de l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE).
Les organisateurs de Paris 2024 ne veulent plus "laisser penser" qu'une compétition de cette ampleur "n'a pas d'impact" sur le climat, poursuit Benjamin Lévêque. Le bilan carbone prévisionnel a été établi par leurs soins à 1,58 million de tonnes équivalent CO2 (CO2éq), l'unité utilisée pour mesurer les émissions de gaz à effet de serre. "C'est un impact significatif, mais très inférieur à ce qui se faisait avant", contextualise le responsable. Leur objectif est à présent de "diviser par deux l'empreinte carbone des Jeux" par rapport à ceux de Londres (2012) et de Rio (2016), qui ont émis en moyenne 3,5 millions de tonnes CO2éq. Tokyo (2020), qui s'est déroulé en pleine pandémie de Covid-19 et sans spectateurs (1,96 million de tonnes CO2eq), est écarté de l'analyse.
Les déplacements, premier poste d'émissions
Les détails du bilan carbone prévu pour Paris 2024 ne sont pas publics. Devant la presse, jeudi 11 mai, Georgina Grenon, directrice de l'excellence environnementale, a renvoyé à un bilan final publié après les JO. Pour le moment, l'organisation ne communique qu'une évaluation à la louche de la répartition des émissions estimées : 34% pour les déplacements des spectateurs, des athlètes et des officiels, 33% pour les constructions et 33% pour les opérations (restauration, hébergement, logistique, produits sous licence, etc.). Les réductions d'émissions par rapport à Londres et Rio reposent, selon le Cojo, sur une série de choix : 95% d'infrastructures existantes ou temporaires, des constructions moins carbonées (700 kg de CO2éq par mètre carré, contre une tonne en moyenne), pas de groupes électrogènes (qui tournent au carburant) pour alimenter les sites olympiques, 60% de l'offre de restauration végétarienne pour les spectateurs, etc. Voilà pour le plan de communication.
Mais dans le même temps, le premier poste d'émissions (les déplacements des spectateurs, des athlètes et des officiels pour rejoindre la France) ne fait pour l'instant pas l'objet d'une action spécifique : "C'est clairement un sujet sur lequel on a moins directement la main", reconnaît Benjamin Lévêque, en promettant, malgré tout, de prochaines initiatives pour limiter le recours à l'avion.
Que pensent les experts de ces chiffres ? Professeur à l'université de Lausanne (Suisse), siège du Comité international olympique (CIO), Martin Müller a étudié de près la durabilité sociale, environnementale et économique des Jeux. S'il salue la mise au point d'un bilan carbone prévisionnel, il est plus sceptique sur le chiffre avancé. "Ce sont les premiers Jeux où je vois un engagement de ne pas dépasser un maximum d'émissions de CO2. Mais il y a un manque de transparence autour des 1,58 million de tonnes de CO2éq. Je n'arrive pas à comprendre, en tant que chercheur, sur quelle base cela a été calculé", regrette-t-il, en martelant qu'"un seul chiffre ne suffit pas". De son côté, Paris 2024 reste flou sur sa méthodologie, mais met en avant un travail progressif, réévalué régulièrement, pour être le plus précis possible.
La compensation, "une façon de se donner bonne conscience"
Martin Müller déplore également que Paris 2024 promette de "compenser" son impact climatique. Un engagement "problématique" à l'efficacité douteuse, selon lui. "C'est une façon de se donner bonne conscience", appuie la climatologue Valérie Masson-Delmotte, coprésidente du groupe de travail 1 du Giec. Elle souligne qu'il n'existe "pas encore un cadre suffisamment strict sur ces actions dites de compensation pour s'assurer de leur crédibilité".
Ce marché de la compensation repose sur les "crédits carbone". En théorie, le principe est simple : après avoir émis des gaz à effet de serre, une entreprise va financer un projet – une plantation d'arbres, par exemple – capable de retirer la même quantité de gaz de l'atmosphère. Dans la pratique, "il est très difficile de mesurer l'impact réel d'un projet", resitue Gilles Dufrasne, expert du secteur à l'ONG Carbon Market Watch. A cette incertitude s'ajoute le fait que chaque acteur, rémunéré en fonction de la quantité de crédits émise, a un intérêt financier à "exagérer" l'impact réel des projets, explique le spécialiste.
Des changements "plus radicaux" proposés par les scientifiques
Conscient du problème, Benjamin Lévêque préfère parler de "contribution, pas de compensation", même si le site officiel de Paris 2024 continue de promettre "de compenser plus d'émissions que nous n'en émettons". Il affirme que l'intermédiaire choisi, dont le nom n'est pas encore public, répond aux meilleurs standards du secteur et que des vérifications seront menées sur place. "Nous sommes vraiment à l'aise avec notre sélection de projets", assure-t-il. De son côté, Georgina Grenon évoque deux programmes, l'un en France, l'autre à l'étranger. "Pour le second, on est en plein appel d'offres, ça dépendra des prix qu'on va nous proposer", explique la directrice de l'excellence environnementale, sans donner de détails.
Des changements "plus radicaux" dans la manière d'organiser un tel événement auraient été plus efficaces pour réduire l'impact des Jeux, estime Martin Müller. En 2021, dans une étude publiée dans Nature Sustainability (en anglais), le scientifique avait proposé, avec ses collègues, plusieurs pistes pour des Jeux plus écologiques : réduire leur taille (moins de spectateurs, d'athlètes, d'entourages), organiser la compétition dans les mêmes "deux-trois villes hôtes" et confier l'évaluation de la durabilité de l'événement à un organisme indépendant. "Les JO ne sont pas essentiels pour la vie humaine, même si c'est très agréable à regarder", souligne le chercheur, avant de rappeler la menace que fait peser le réchauffement climatique sur l'avenir de nos sociétés.
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