Natation artistique : "Pour entrer dans l’équipe, un nageur devra posséder le potentiel technique et la condition physique des filles", prédit Virginie Dedieu

Le duo mixte en 2015 aux Mondiaux, le solo masculin en 2022 aux Europe, une épreuve par équipes ouverte aux hommes aux Jeux olympiques de Paris en 2024. D'une discipline strictement féminine, la natation artistique poursuit son ouverture. Fin décembre, le Comité international olympique (CIO) a autorisé la participation de nageurs dans l'épreuve par équipes à partir de Paris 2024. Une première dans l'histoire olympique. 

Les nations pourront sélectionner jusqu'à deux nageurs dans un ballet, qui en compte huit. Mais la présence d'hommes sous les ors olympiques parisiens reste incertaine, rappelle Virginie Dedieu. Interrogée par franceinfo: sport, la triple championne du monde de natation artistique estime qu'il faudra encore du temps pour que les hommes rattrapent le niveau des nageuses et soient de fait sélectionnés. Mais selon la consultante pour France Télévisions lors des derniers JO et championnats d'Europe, le mouvement est enclenché. 

Franceinfo: sport : Comment avez-vous réagi lorsque le CIO a autorisé les hommes à participer à l’épreuve par équipes en natation artistique à partir de Paris 2024 ?

Virginie Dedieu : J’ai été très surprise car il existait une attente plutôt autour du duo mixte. C’est bien que les garçons entrent aux Jeux olympiques. Les choses avancent finalement assez vite par rapport au niveau et au nombre de nageurs [quatre participants au solo masculin aux championnats d'Europe en août 2022 et 13 duos mixtes aux Mondiaux en juin 2022]. Néanmoins, je suis surprise que cela ait été accepté, car cela peut créer un déséquilibre, un garçon étant forcément plus physique qu’une fille.

Les nations qui pourront sélectionner un ou deux nageurs seront avantagées sur certains moments du ballet, notamment lors des portés. Certains entraîneurs vont se dire qu’ils sont défavorisés car ils n'auront pas de garçon au niveau à présenter. Mais pour faire entrer des hommes aux JO, il faut passer ce cap. C'est un choix politique et les avancées se feront au fur et à mesure.

Pensez-vous que des hommes seront effectivement sélectionnés à Paris ?

Je n’en suis pas sûre, car les garçons ne possèdent pas encore le niveau technique des filles aujourd’hui. Mais j’espère que ce sera le cas, d'autant que notre sport ne bénéficie d'une visibilité que tous les quatre ans.

Pour entrer dans l’équipe, un nageur devra posséder le potentiel technique et la condition physique des filles. Or, aujourd’hui, Giorgio Minisini par exemple, l’Italien champion d’Europe en solo en août à Rome, n’est pas techniquement l'égal de la championne d’Europe Marta Fiedina. En revanche, il a une puissance supérieure. Pour intégrer l’équipe, il devra faire partie des huit meilleurs de sa nation. C’est faisable, tout comme pour le nageur russe, si la Russie est présente aux JO. A l’inverse, dans l’équipe de France, cela me semble compliqué car les filles ont énormément progressé en vitesse et technique par rapport aux garçons.

"En ballet, il faut de l’homogénéité. Il s’agira donc d’une vraie question tactique."

Virginie Dedieu, triple championne du monde de natation artistique

à franceinfo: sport

Jusqu'à aujourd'hui, les garçons ne s'entraînaient pas avec les coéquipières. En ouvrant cette possibilité, ils vont donc prendre des habitudes dans la gestion de la synchronisation, de déplacement, des formations. 

Pourquoi les nageurs sont-ils inférieurs aux nageuses ?

En France, on a toujours eu des nageurs en natation artistique. Mon coéquipier de Kazan, Benoît Beaufils, nageait déjà chez les jeunes à mon époque. Mais comme les garçons n’avaient pas d’objectif final, puisque les compétitions internationales se sont ouvertes aux hommes en 2015 seulement, ils s’arrêtaient souvent tôt. Ils étaient aussi, de fait, moins pris en charge par les entraîneurs. Et par ailleurs, sans épreuve, on ne pouvait pas les voir. Cette absence de suite possible, conjuguée aux préjugés sur ce sport, n’ont pas aidé les garçons à progresser.

Il ne s'agit pas d'une question de potentiel. On le voit aujourd’hui : la différence de niveau entre les garçons et les filles s’efface chez les plus petits. On a de plus en plus de garçons chez les jeunes et leur niveau augmente. Ils commencent plus tôt, sont davantage pris en charge. Le décalage est encore présent chez les seniors, un peu chez les juniors et moins chez les jeunes. Dans quelques années, je suis sûre que je ne ferai plus ce constat.